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Aglaé - Michel Duprez - Michel Ostertag...  et plus




Trilogue
TOUT SAVOIR

par Michel Ostertag

MARCEL. L’autre jour, j’ai croisé un ami que je n’avais pas vu depuis plusieurs années. Il m’a raconté qu’il était gravement malade, un cancer et il m’a donné une multitude de renseignements que les médecins lui avaient transmis. Bien sûr, il avait été cherché sur Internet dans les pages de doctissimo tous les traitements possibles, les évolutions de la maladie, enfin, un vrai cours de médecine… Je n’ai pu m’empêcher de lui demander « mais comment tu fais pour ne pas être doublement malade ? Tu te mets dans la peau d’un médecin qui est malade et qui sait comment va évoluer, en bien ou en mal, la maladie dont il est atteint. Mais moi, je flipperai ! »

GEORGES. Pour tout savoir sur le mal dont on est victime, d’abord, il faut rester fort au plan cérébral et mental, sinon…

PAUL. Sinon, cela peut vous démolir complètement, vous paniquer encore plus avec une tendance à vérifier ce que prescrit votre médecin, du style : « le traitement qu’il me donne est-il aussi efficace qu’il le dit, ne me traîne-t-il pas en longueur ? »

MARCEL. Une double peine, en quelque sorte. Non, vaut mieux ne pas trop en savoir, mais un peu quand même. J’ai connu comme tout le monde des personnes âgées et malades. De quoi ? Ils n’en savaient strictement rien, oui, une douleur permanente ici ou là, ce que disait le médecin ? Le type ne savait pas trop. Grave ? Peut-être, bah, on verra bien…

GEORGES. Ce n’était pas mieux. Ces gens du passé avaient une certaine dose de fatalisme. Malade, mais tout le monde l’est un peu ou beaucoup, c’est dans l’ordre des choses de la nature… Voilà ce qu’ils pensaient, les anciens…
PAUL. Aujourd’hui, on « consomme » la médecine avec abondance et exigence. On veut tout savoir sur le moindre de ses maux, petits ou grands et la guérison doit être assurée, de suite.

GEORGES. On croirait que c’est devenu un bien de consommation.

MARCEL. Oui, mais il faut dire aussi qu’il y a des médecins peu bavards, de ceux à qui il faut tordre le bras pour qu’ils vous expliquent votre problème de santé et vous aident à mieux prendre les médicaments qu’ils vous prescrivent…

PAUL. J’en ai connu un personnellement, du style : « Prenez cela », en tendant son ordonnance et point barre ! Aux questions que je ne manquais de lui poser il me répondait pas un grognement inaudible. J’adorais !

GEORGES. Dans ces cas-là, on a l’impression d’être pris pour un benêt, incapable de comprendre la moindre de ses explications.

MARCEL. Comme en toutes choses de la mesure ! Juste ce qu’il faut pour apaiser sa curiosité naturelle…

PAUL. Mais pas trop pour ajouter du stress à sa maladie. C’est comme dans la vie courante, il y a les bavards et les autres, les « diseux » et les « faiseux » comme disent les Normands…

GEORGES. Et puis, il y a ceux qui ne savent pas…

PAUL. Ceux qui ne savent pas et qui le disent et ceux, les plus nombreux, qui ne savent pas, ne le disent pas et font semblant de savoir, les plus traîtres, en somme !

MARCEL. Et pour les débusquer, pas facile. Ils savent feindre. On s’en aperçoit quand ils ne répondent pas à vos questions… Le dialogue reste comme en suspend.

GEORGES. C’est sûr que pour un médecin peu bavard, cela doit être un supplice d’avoir comme patient une personne qui réclame un maximum de renseignements sur sa maladie, son traitement, son avenir…

PAUL. D’autant qu’avec le Net le malade se renseigne, il écoute la radio et dans chacune des stations de radio il y a un médecin attitré qui fait chaque jour une chronique sur les maladies et il est très écouté. Alors, le patient croit tout savoir quand en fait il ne sait qu’une toute petite partie de ses problèmes de santé.

GEORGES. Mais alors, attention, surtout ne pas montrer ses petites connaissances sinon cela peut énerver le médecin susceptible et le rendre acariâtre. Garder cela pour soi pour un meilleur jugement sur son diagnostic.

MARCEL. Je me demande si finalement il ne vaut pas mieux rester dans l’ignorance, un peu comme une précaution contre soi-même…

PAUL. Mourir dans l’ignorance… Bah ! pourquoi pas ! Quelque part, c’est ce qui nous attend tous. Pour se consoler on peut penser que la vie est faite plus d’ignorance que de savoir, non ?

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Trilogue
par Michel Ostertag
pour Francopolis juin 2015


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Créé le 1 mars 2002

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