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Aglaé - Michel Duprez - Michel Ostertag...  et plus



Le sac aux croyances

par

Michel Ostertag

MARCEL. À la naissance, j’ai l’impression qu’on nous distribue un grand sac rempli de croyances, un sac énorme. Dedans, il y a toutes les croyances possibles et inimaginables, des plus invraisemblables aux plus plausibles. À commencer par le Père Noël, croire que les plus grands sont les plus forts, croire à la gentillesse des gens, à leur désintéressement, à l’Église grande pourvoyeuse de croyances et à l’Amour Éternel…

GEORGES. Tu parles ! Et petit à petit, goutte à goutte, le sac se dégonfle.

PAUL. Il faut dire que certains adultes y mettent de la bonne volonté. Ils ne manquent pas une occasion pour nous ouvrir les yeux. Du genre : « Sois pas naïf, tu te rends bien compte que ce que tu dis n’est pas réaliste… » Et ils en remettent une couche pour te faire toucher du doigt la trop grande naïveté qui t’anime… Alors, tu t’endurcis, tu évites d’écouter ta petite voix intérieure qui subsiste encore, du temps de ta jeunesse, tu veux croire encore et encore au Père Noël, n’est-ce pas ?

MARCEL. Et ça prend toute une vie, cette lente décantation, cette remise à zéro. Et puis, avec l’âge, un drôle de phénomène surgit, petit à petit, il semblerait que l’on récupère tous les éléments de notre sac d’origine 

GEORGES. Bien observé, ma foi !

MARCEL. On finit sa vie dans à peu près le même état que nous l’avons commencée : croire à l’irréel, au rêve, à une planète où tout le monde serait gentil et souriant, où les riches s’occuperaient des pauvres,  où l’attention portée aux autres serait à son comble 

PAUL. Que du rêve, quoi ! Et si c’était une des clés pour finir sa vie heureux.

GEORGES. Et si cela expliquait pourquoi les anciennes personnes et les toutes jeunes personnes s’entendent si bien 

PAUL. Il y a du vrai dans cette remarque. L’église a compris cela dès les premiers jours : Laissez venir à moi les petits enfants, le royaume des cieux leur est ouvert.  Tout est dit.  

MARCEL. Oui, mais si l’église souhaite que nous gardions notre âme d’enfant, ad vitam æternam, là, le bât blesse. Dans notre monde si cruel, avoir les yeux grands ouverts est une question de survie 

PAUL. Pour bien faire, il nous faudrait  un décodeur !

MARCEL. C’est-à-dire ?

PAUL. Oui, un truc dans la tête qui ferait que nous ne mettrions pas en péril notre capital d’innocence ; continuer à croire au Père Noël, – c’est tout le sel de la vie – mais aussi savoir que la réalité fera tout pour nous mettre des bâtons dans les roues.

GEORGES. J’aime mieux ça que de voir tous ces gens complètement abattus, ne croyant en plus rien, regardant la politique en baissant les bras avant d’avoir eu l’occasion de les lever bien haut, nés démoralisés, on dirait…

MARCEL. En amour, c’est là que le champ d’expérimentation est le plus riche. Les gens se marient, divorcent au bout de quelques années, se remarient, chacun apportant ses propres enfants, on forme à nouveau un foyer familial, on vit tous ensemble et c’est devenu une habitude, on se sépare encore… Il faut avoir le cœur bien accroché, non ?

GEORGES. Et les gens continuent d’avoir le moral d’enfer ; continuent de croire au Père Noël de l’amour ! La femme de ma vie, la seule, c’est celle qui va venir demain… Et tout le monde repart de plus belle dans les liens de la vie conjugale. 

PAUL. Oui, c’est très bien, mais imaginez l’inverse : pas de sac aux croyances, tous avec une tête fermée qui ne regarde que la dure réalité des choses de la vie. Quelle tristesse, mon Dieu ! Disparu de notre planète le moindre gramme de fantaisie, la poésie, je n’en parle même pas ! C’est le néant complet. La vie en rose, une idiotie, les serments d’amour éternel, foutaise. Quand je serai riche, je te promets… Foutaise ! Quand j’aurai divorcé de ma femme, je t’épouserai… Suprême foutaise  

MARCEL. Au secours  

PAUL. Tout au long de notre vie, il faudrait créer un baromètre des croyances. Où nous pourrions nous situer, un peu plus haut ou plus bas, ça serait bien, non ?

MARCEL. Oui, pourtant, je peux vous assurer qu’au moment des grandes élections présidentielles, dans les trois mois qui suivent, le baromètre serait au trente-sixième dessous 

GEORGES. C’est bien vrai, avec tout ce qu’ils nous ont promis, on ne peut qu’être déçus !

MARCEL. Et malgré tout ça, les gens continuent à croire  aux jours meilleurs…

PAUL. « Demain, on rase gratis », c’est comme ça que nos parents disaient, déjà à leur époque, ils n’étaient pas si naïfs que cela, les anciens  

GEORGES. C’est vrai, ils en ont avalé des couleuvres. C’était peut-être pour eux une question de survie.

PAUL. On ne peut pas vivre sans rêver 

GEORGES. Certes, mais il faut bien savoir à quel moment on rêve, c’est là tout le problème. Savoir que l’on rêve. Ne pas confondre rêve et réalité 

PAUL. La ligne est souvent imperceptible et entre les deux, notre esprit penche vers le facile, l’agréable, rien à faire, c’est plus fort que nous 

MARCEL. Et le réveil est d’autant plus brutal que nous ne voulons pas voir la réalité, c’est comme ça. Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent… disait un homme politique connu et j’ajouterai qu’elles n’engagent que ceux qui croient en elles. Au tamis du temps, toutes ces croyances se décantent et finissent au fond du sac 

PAUL. Et nous n’avons que nos deux yeux pour pleurer…

MARCEL. Ne plus croire à rien, qu’à soi  

PAUL. Non, non, c’est trop pessimiste. Revenons à mon idée de baromètre où suivant les moments, nous puissions nous situer dans une sorte d’échelle des croyances, car, avouons-le, il suffit qu’un beau parleur, présentant bien, vienne à la télévision pour qu’aussitôt nous repartions dans les croyances les plus délirantes 

MARCEL. Forgeons notre propre baromètre de façon à garder la clairvoyance la plus aiguë possible ! Question de survie  

PAUL. Je vous suis !

GEORGES. Moi aussi !


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Créé le 1 mars 2002

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