Trilogue
par Michel
Ostertag
VIEILLIR OUI
MAIS PAS TROP LONGTEMPS
GEORGES.
Plus je vais en âge et plus j’ai besoin d’aide pour soutenir ma
mémoire que je trouve défaillante un peu trop souvent…
PAUL. Moi, je viens d’acquérir une
tablette numérique, grand format. C’est devenu une aide de
premier plan et dès que j’ai un trou de mémoire sur les
noms et plus encore les prénoms d’une personnalité,
aussitôt je prends ma tablette et je cherche. Wikipedia est
devenu mon grand ami. L’autre jour, je ne me souvenais plus du
nom de la femme d’un comédien, elle-même
comédienne, eh ! bien, en allant sur le Net, sur la page du
comédien, j’ai trouvé le nom de son épouse !
GEORGES.
Pareil pour moi ! Une tablette, Wikipedia, c’est mieux que n’importe
quel dictionnaire…
MARCEL
Moi, j’appelle mon frère plus jeune de dix ans. Il a une
mémoire phénoménale ! Un coup de
téléphone, je lui explique mon absence et c’est bien rare
qu’il ne sache pas.
GEORGES.
Le pire, c’est quand on croise une personne, on sait parfaitement que
c'est une de nos relations mais comme on ne la voit pas souvent,
là, c’est le trou de mémoire. On se souvient plus
exactement de son nom et encore moins de son prénom. On
tergiverse, on l’écoute que d’une oreille et pendant le temps
qu’elle parle le cerveau fait un scan effréné, je joue la
montre et juste au moment de conclure notre discussion son nom me
revient. L’honneur est sauf, ouf !
MARCEL.
Ce n’est pas seulement ces engins numériques qui nous aident
mais aussi toutes ces assistances qui sont mises à notre
service, canne, fauteuil roulant, portage de repas… que sais-je encore !
PAUL.
Cela s'appelle « Aide à la personne », l'appellation
veut tout dire.
MARCEL.
On nous aide de toutes parts. C'est à croire que vieillir n'est
pas naturel, comme si c'était un défi pour la
société de voir de plus en plus de personnes très
vieilles, battre des records: telle dame est morte à 120 ans
passés et peu importe si elle était en fauteuil roulant
depuis 40 ans!
PAUL.
A croire que notre société moderne a quelque
chose à se faire pardonner : mourir vieux, c’est comme donner
quitus à la manière de vivre qui nous est
proposée. Ne vous plaigniez de rien, vous vivrez très
vieux !
GEORGES.
Partant du principe que personne ne désire mourir et que nous
sommes tous attachés à notre vie, il est normal que nous
adhérions unanimement au système mis en place.
PAUL. Sauf que parfois cela confine à un
acharnement thérapeutique.
GEORGES.
Mais comment situer la ligne au-delà de laquelle il est interdit
de s’aventurer ? Difficile, non ?
MARCEL.
Vieillir est pourtant une chose des plus naturelles, que diantre !
PAUL.
Vieillir, oui, certainement, mais pas trop longtemps ! Il y a aussi un
vieil adage qui dit
« place aux jeunes !
»
GEORGES. Comment voulez-vous que les Anciens
aient un bon moral quand ils se rendent compte que vieillir les rend de
plus en plus dépendants des autres ?
PAUL.
Sans compter le suivi médical et les soins souvent très
lourds avec des petites retraites pour y faire face.
GEORGES.
D'autant que dans certains pays, on leur refuse, passé un
certain âge, des soins trop onéreux ! Vieillir coûte
trop cher !
PAUL.
D’un côté, la société nous aide à
bien vieillir et de l’autre côté elle nous explique que
vieillir coûte horriblement cher. Totalement contradictoire, non !
MARCEL.
Le monde va au-devant d'une drôle de civilisation : d'un
côté une population de retraités énorme ; de
l'autre des jeunes dont le nombre ne cesse de croître et au
milieu de tout ça des millions de chômeurs, de mieux en
mieux formés mais sans emploi pour exercer ce qu'ils ont appris
à l'école…
GEORGES. Elle est pas belle la vie !
Trilogue
par Michel Ostertag
pour Francopolis décembre 2014
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