Billet d'humour ou ballade d'humeur
Ici dire vaut mieux
que se taire...

 Humeur :

Poissons d’avril

                         Aux vieux poètes

                                     

Longs cheveux grisâtres
crasseux
yeux fixés ailleurs
grand sourire perché
sur un escabeau à tâtons
sur ses trois pieds
espiègleries inutiles
dans les plis du coin de l’œil                                 
œillades brillant furtivement
voix tremblantes
embrassures
accolades
empoignements
voudrait bien aller prendre une bière
après la lecture
mais on ne reste plus aussi tard
en ville
peur du RER de nuit
y a plus de bus après
et on n’est pas motorisé
alors on s’estompe au plus vite
pour retrouver son chez soi de banlieue
auprès d’un chat
les lendemains sont durs
les disputes politiques – oubliées
telles des blessures anciennes
les souffrances d’amour cicatrisent tardivement
sous l’anesthésie du temps
petits enfants en pagaille
ne comprenant rien
à leurs mamies papys
et vice-versa                                                           

Eux les vieux poètes seuls portent encore
accrochés à leur dos
tels des poissons d’avril
les contours des anges
l’air de ne même pas
s’en apercevoir


Dana Shishmanian

***

Les vieux poètes boivent le rhum des défaites
ils ont des tempêtes plein les yeux
et des cicatrices d'ailes dans le dos
ils portent des amours de plomb sur leurs épaules
Les vieux poètes ouvragent des années mortes

Les vieux poètes prient entre les pages de livres
dont ils tirent les couvertures contre leur coeur
lorsque celui-ci leur manque et que des flammes vives
les carbonisent sur le bûcher des mots d'amour
Les vieux poètes rêvent d'immortalité dès l'aube
 

Les vieux poètes vivent dans des résidences secondaires
entre l'Odyssée d'Homère et les horizons d'une langue brisée
ils vont à la pêche sur les rives d'un obscur Léthé
pour méditer peut-être sur le sens illusoire de l'existence
Les vieux poètes souffrent d'intraduisibles ménopauses

Les vieux poètes ont des rancunes d'enfants gâtés
ils mâchent des idées, caressent des images ouvrent
les tiroirs de leurs souvenirs d'enfance et se risquent
entre deux crises d'arthrite sur des chemins de gloire
Les vieux poètes aiment à se retrouver entre eux.

AC, La Colle s/ Loup, le 7 avril 2013

pour Francopolis Avril 2013
texte Dana Shishmanian
+ Écho d'André Chenet