"En attendant un
Godot"
Vue du dehors
Les couples se forment et l'un dans l'autre se
déforme, comme les miroirs de cirque dans lesquels on fait
subitement 300 kilos ou deux mètres, ou les deux. C'est
très curieux.
Je retrouve les copines pour un thé ou un gin tonic
selon l'heure, mais quel que soit le moment, je suis bien
obligée de remarquer qu'elles se plaignent de leur compagnon.
Elles se plaignent, mais elles restent. Ne le prenons pas mal, essayons
de comprendre.
De quoi ces plaintes sont-elles faites, au juste? Il y a
Charlotte, qui trouve son copain égocentrique et irresponsable
(il est musicien); elle est enceinte et ne le gardera pas (voir
l'explication ci-dessus). Il y a Christine, qui guette le moment
où son talentueux concubin gagnera de l'argent (il est
photographe), surtout maintenant qu'ils attendent un enfant, ce serait
mieux. Plus loin se profile Eléonore, qui attend bien sagement
que son amoureux "décide où il en est", pour savoir
"où ils en sont" et qu'elle sache enfin "où elle va". Je
crois que Samuel Beckett a écrit une pièce sur la
patience (dont un des synonymes est "résignation",
rappelons-le)…. Polies, elles concluent toutes par un gentillet "bon,
moi aussi, j'ai mes défauts…"
Vite, une citrate de béthaïne où mon
estomac va jaillir de ma bouche et s'écraser sur mon
interlocutrice….
Qu'est-ce que c'est que cette tendance? Qu'est-il
arrivé au bon vieux largage, à la dureté, au mot
"non"? Attention, je ne préconise pas les relations courtes ni
la cruauté gratuite, pas du tout. Je voudrais juste voir mes
amies préoccupées par le renforcement d'autres muscles,
comme les abdominaux qui permettent d'appeler un chat un chat, le
biceps de l'impatience et de l'impétuosité ou encore la
dorsale de l'exigence éthique. Mais voilà. De nos jours,
nous sommes toutes (plus ou moins) éduquées,
compétentes, autonomes, en un mot, triomphantes. Ce serait donc
le parfait moment pour ne pas avoir à "supporter ça".
Alors pourquoi? Pourquoi elles préfèrent rester et se
plaindre plutôt que partir ou se taire? Je suis trop
méfiante pour avaler le mièvre "mais je l'aime" en guise
d'explication. Non. Je crois que dans ce manège infernal, dans
ce cirque du ménage, on préfère une surface qui
reflète, même mal, plutôt que rien. Et je
soupçonne que l'amour commence quand la plainte se tarit, et pas
le contraire. Alors voici nos options: choisissons mieux nos
mâles, taisons-nous et aimons-les, ou partons loin pour rire
entre filles. Ce sera bien, un temps.
Nancy Reid Knezevic
pour Francopolis mars 2006
Vous voulez nous envoyer des billets d'humeur?
Vous
pouvez soumettre vos articles à Francopolis? par courrier
électronique à l’adresse suivante :
à sitefrancopcom@yahoo.fr.