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Une sacrée bonne idée

Les Petites Sœurs de Sainte Xavière en Bassinois constituaient une modeste communauté très catholique dont le diocèse n’était pas peu fier. Certains d’entre nous, les plus âgés, se souviennent de leurs robes noires en drap épais et de cette large coiffe blanche si singulière. Un jour, j’ai confondu l’une d’elle, de loin, avec un plombier portant un lavabo sur sa tête Aujourd’hui, les sœurs sont vêtues de cet uniforme gris sans attrait, et d’un voile ingrat du même gris, imposés par le Vatican depuis des années à toutes les congrégations.
 
Les bâtiments conventuels dataient du dix neuvième siècle. Ils étaient sobres, sans intérêt, mais entretenus avec le plus grand soin. Ils abritaient une trentaine de cellules pour les moniales au rez-de-chaussée, et au premier étage, deux grands ateliers. Là, on fabriquait divers objets dont la vente, chaque année, à la sainte Xavière,  équilibrait  bon an, mal an, les finances toujours chancelantes de la communauté. Ce jour là, les religieuses préparaient  des gâteaux secs, très appréciés, à l’exclusion des pets de nonnes dont la mère supérieure avait interdit la confection.
 
Sœur Gudule, tellement stricte d’allure, qu’on avait peine à croire qu’elle avait suivi les cours des Beaux-Arts, avant son noviciat. ,assumait la responsabilité des ateliers. Elle était à l’origine d’un projet réussi où des ailes de papillons finement collés sur un support de liège, figuraient la robe de la vierge, le turban de saint Joseph et la barboteuse de l’enfant Jésus. Plusieurs années de suite, le stand  papillons,  comme on l’appelait, avait marché très fort. Les plus jeunes sœurs de la communauté, en juin et juillet, se faisaient une joie de chasser les indispensables papillons, brandissant bien haut leurs filets et gambadant comme des petites folles dans la campagne. Elles étaient plus ou moins escortées par la sœur Aglaé qu’une arthrose de genoux rendait un peu lente et souvent râleuse. Ensuite, avec un peu d’éther, on euthanasiait les petites bêtes avant de les épingler bien à plat sur du papier hygiénique. La mère supérieure détestait qu’on verse une larme sur la mort des papillons.
 
Avec l’emploi intensif des insecticides, les papillons se raréfièrent, puis disparurent. Le bénéfice de la vente manqua cruellement à nos sœurs. Un autre projet naquit après que sœur Gudule eut fait une retraite de huit jours dans un monastère voisin où le recueillement total et la bien maigre chère  propulsaient les âmes ainsi allégées, à une hauteur vertigineuse.
De retour à la maison mère, Sœur Gudule entretint la mère supérieure de sa nouvelle trouvaille :

- Ma mère dit-elle,  je brûle de vous soumettre quelques idées nouvelles pour la fête annuelle de Sainte Xavière.

- Je vous écoute, ma fille, et d’autant plus attentivement  que le niveau de nos réserves financières est si bas que nos vœux de pauvreté seront très faciles à suivre cette année.

- Je vous apporte donc le dessin à peine terminé d’un Enfant Jésus au maillot. Comme vous voyez, il  mesure environ quinze centimètres, le maillot et le capuchon sont d’un seul tenant, le visage de Jésus est tourné vers le ciel,  et un ruban doré, croisé sur le corps de l’enfant, maintient doucement le vêtement.

- C’est très joli, sœur Gudule. Dites moi ce que nous pouvons faire de cette esquisse.

- Je sais, ma mère que vous ne répugnez pas devant les techniques modernes, quand elles sont au service de notre maison bien-aimée…

- Bien sûr, bien sûr, continuez ma fille.

- J’ai donc pensé réaliser en terre, par modelage, cet enfant jésus. Puis, je le ferai cuire dans un four, par un potier, à une température convenable. Ensuite, il faudra faire un moule très précis de la statuette, et, à partir de ce moule, nous obtiendrions autant de Jésus qu’il nous en faudra pour la Sainte Xavière.

- J’entends la cloche de la chapelle qui nous appelle. Allons prier le Seigneur de nous guider vers de bonnes décisions, aussi bien pour le salut de nos âmes que pour les problèmes matériels auxquels  nous sommes confrontés sur cette terre.

- Je vous rejoins, ma mère, et je serai de toute façon, votre fille obéissante.
 
Dans les couloirs un peu frais qui desservent les cellules, eut lieu, ce soir là la suite de cette conversation.

- Vous m’appelez, ma mère ?

- Oui, Gudule. Pendant la prière, à la chapelle, et je m’en confesserai, je me suis demandée comment nous y prendre  pour obtenir les enfants Jésus à partir des moules ?

- C’est une technique très simple et très connue, ma vénérée mère.  Le moule est coupé en deux, chaque moitié est remplie d’une résine fine à l’état liquide et,  lorsque la résine est suffisamment durcie, on démoule les Jésus, les demi- Jésus pour être précis, que l’on réunit par un encollage invisible après un  polissage soigneux.

- Merci ma fille. Dormez bien.
 
C’est ainsi que le projet Jésus en résine vit le jour. Monsieur l’archevêque, mis au courant, promit d’honorer de sa présence la fête de la sainte patronne et les petites sœurs se mirent joyeusement au travail. Entre terre, modelage, résine, colle, les ateliers bourdonnaient en permanence. Les cuissons nécessaires  pour réaliser ce qu’on appelle un biscuit à une température de 7OO degrés étaient faites  au village, dans le grand four du potier. Deux sœurs désignées pour cet office, portaient et rapportaient les précieux objets dans un grand panier que prêtait en ronchonnant la petite sœur préposée à la cuisine et qui ressemblait elle-même à une religieuse du pâtissier.
 
Quand vint la Fête De Sainte Xavière, presque cent Jésus de quinze centimètres, d’un joli blanc cassé, une empreinte dorée entourant délicatement les langes de l’enfant, posés sur un velours bleu ciel, attiraient tous les regards vers le stand numéro neuf. Le succès fut immédiat. Mis à part quelques erreurs de caisse, du au nouvel euro encore mal intégré par les visiteurs, et malgré les frais d’investissement dans le matériel, le bénéfice de cette année là, fut assez joli.
 
L’année suivante, tout en s’y étant pris très à l’avance, nos religieuses furent débordées de travail. Elles offraient au Seigneur le temps passé dans les ateliers au-delà des trente cinq heures par semaine prévues par la règle de la communauté. La vente des Jésus dépassa toutes leurs espérances. Les visiteurs, plus nombreux d’année en année achetaient les statuettes pour offrir à leurs amis et décorer la crèche de Noël. C’était un véritable engouement, un peu comme on avait vu la mode des nains de jardin quelques années auparavant. Une religieuse assurait fermement la comptabilité du monastère et malgré sa discrétion proverbiale, le bruit courait un peu partout, que les caisses étaient pleines. Comme le toit de la cathédrale était en mauvais état, Monseigneur était aux petits soins auprès de notre prieure.
 
L’année suivante, Sœur Gudule retourna faire une retraite. Cette fois, il fallait trouver, non pas une nouvelle idée, mais plutôt la bonne façon d’exploiter la précédente. Les pauvres petites sœurs, exténuées, ne pouvaient plus faire face à la demande.
 
La prieure et Gudule discutèrent soir après soir, avant de rejoindre leurs cellules et prirent leurs  décisions en grand secret. Personne ne leur posa de questions,  bien entendu.
               
Au printemps, à la date où généralement les soeurs se mettaient au travail, la mère supérieure dit simplement qu’on n’ouvrirait pas les ateliers cette année. Ce fut la stupéfaction Si chacune échafauda des hypothèses, ce fut dans le secret de son cœur. On approchait de la Sainte Xavière, les stands furent repeints comme d’habitude, on réalisa les pâtisseries et les confitures habituelles. le temps était magnifique cette année là, on avait presque oublié les Jésus en résine.
 
Or,  un matin, quand les nonnes empruntèrent comme de coutume le long couloir qui conduit des cellules à la chapelle, elles virent, posées à terre, une dizaine de grandes caisses fermées sur lesquels on pouvait lire en grosses lettres rouges :"FRAGILE " et en plus petites lettres : " made in china ".
           


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Aglaé Vadet
pour Francopolis décembre2006
recherche Juliette Clochelune



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Créé le 1 mars 2002

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