S’il est besoin d’un rendez-vous pour
écrire en atelier, notre rapport au temps ne se commande pas.
L’atelier est un lieu où l’on confie son temps à un
animateur qui va nous guider sur le fil des mots, sur la trame de son
expérience, il offre en partage une “révélation”
une interrogation, une exploration de la langue commune.
Autant l’animateur doit commander au temps ; il le mesure
et l’utilise pour mener les participants vers un temps qui se finit
où la séparation arrive. Son temps est contraint, il doit
faire passer l’atelier par des chemins prévus où chacun
pourra explorer des temps dilatés. Du temps retroussé aux
mots nouveaux.
Des temps d’odeurs sensibles où la langue va se
livrer et si différentes que parfois nous n’osons pas
l’accepter. Le participant lève le temps, le détrousse,
il va voir dans son temps autre chose. Et la piste exploratoire de
l’animateur crée un monde où le temps
protégé dans des limites connues peut s’étendre,
se diluer, se comprimer, devenir cahot autant que lumière, se
précipiter et donner du temps aux mots pour venir, leur laisser
le temps de naître de se faire verbe, de créer son espace
temps personnel, intime, profond, humain dans le groupe de l’atelier.
Et nous prenons le temps pour ne faire que cela, se consacrer à
un temps donné, exister pour soi avec seulement des mots pour le
dire, pour le faire en partage. Accès direct à l’espace
où le temps ne compte guère, espace intérieur du
temps du dedans, s’endort-il jamais ? Cela nous tient debout face au
temps. Plutôt que laminé ou couché sous ce temps
qui excède du trop d’un quotidien. En retroussant le temps en
atelier d’écriture on vide les trop-pleins, pour élargir
la place aux mots nouveaux, appel aux dérangements, il desserre,
il permet, il tend la place à l’étranger, aux
arrangements neuf de sens, à la poésie de l’instant
où on pourrait croire que le temps n’existe plus qu’il ne nous
tient plus au garrot à vieillir. Il nous porte alors, nourrit
les mots que nous ne connaissions plus, nous extrait de nos routines
comprimées d’un rôle en société, d’un masque
durci aux indifférences. L’humanité se perd ou se gagne
au prix du temps, au mépris du temps peut-être ?
L’atelier est un espace temps poétique en lui
même, aucune définition pour nommer ce qui se noue dans le
temps de l’atelier. Rien d’autre à chercher qu’un partage sans
ambiguïté d’une humanité en mots, en langues, en
pensées, toute autre raison d’un atelier serait veine.
Le perdu n’existe plus quand on ne cherche pas à gagner ! Il n’y
a rien à gagner en atelier, rien de commun avec le commerce du
monde il s’entend, juste y trouver la chance de conquérir sa
langue, d’apprendre l’usage des mots pour eux même, donnant
à la langue la nécessaire créativité qui
l’habite, donnant à chacun des participants l’usage d’un outil
d’humanité réelle, un outil de construction de sa
réalité, donnant de l’usage de sa langue autre chose
qu’un “sans cesse repeindre de la même façon qu’hier, la
vitrine d’un rôle préétablis”.
Alors retroussons le temps en atelier il nous le rendra bien.
P.V.
Affaire de Poésie
Je ritualise l’émotion
pourquoi me donne-t-elle tout ce temps ?
Elle conteste la révolution de tous les lieux
le hors jeu des marges
le dehors des langues du silence
l’entêtante à se décrire
posture de barre au sexe oblique
protée du mutisme.
Regimbe à ne pas te nommer
mal famée de naissance
aurait-elle la vérité enfermée ?
De l’éloignement sans ombre
la bascule te bouscule la langue des dieux
l’interrogation divergente du "peut-on mourir ?"
Fâché à ne pas te nommer
chacun à vivre ses façons
d’un geste la faim
la surprise du boire aux sens
laper le monde!
L’écart où témoigner
une attache pour reprendre autant
puisse soudain vivre seulement
nourrir la fragmentation
cette lice du chaos
à l’espace de la besogne de nos racines
elles s’enfouissent
s’apostrophent
se déterrent les mots.
Refuse de te nommer
chamboule l’existence au monde
sens dessus dessous de territoires et d’inconnus
dans le blanc des inter-mots je nargue les inter-dits
du sang les intuitions toutes les raisons !
Elever des frottements de peau
se livrer plus que nu
mettre à jour petits bouts d’obscurs.
“Sait-on où je suis ?”
Résiste à ne pas te nommer
oublie la lettre
elle baptise pour appartenir
laisse s’enfuir la langue
elle grimpe sur les têtes
escalade tous les corps
les mots de cadavres
les mots de l’être
une résurgence en bouillonnement
la résonance d’une liberté
la densité sensitive.
Du chaos au monde il faut combien de temps ?
et l’inverse ?
un instant ?
un instant de Poésie ?
Résiste à ne pas te nommer.
Je dois presser les tourments de l’histoire
le retournement de l’écorce du quotidien de surface
dans l’enveloppe s’agitent les lettres
le monde est ses hommes.
Mers et océans, étoiles aussi,
comment tenir tout cela
Materia prima d’un potentiel seulement
d’un atelier bien construit ?
P.V.
Philippe
Vallet
pour Francopolis, novembre 2005