Billet d'humour ou ballade d'humeur
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L’OEIL  ÉTAIT ….

par Éliette Vialle


Mais qu’allais-je faire dans cette galère ?

Nous venions de quitter le chemin vicinal, pour un chemin privé aboutissant à une impasse.

-          C’est là que se termine la civilisation ! s’écria Kate, mon amie prof d’anglais et New-Age : ce qui n’est pas incompatible.

La voiture abandonnée-là, nous partîmes sac à dos le long d’un sentier à travers une châtaigneraie.

Mais qu’allais-je faire dans cette galère ?

Au fin fond de l’Ardèche, entre Privas et Aubenas, nous avancions vers l’aventure de notre vie : un stage de sophrologie caïcedienne chez les rosicruciens ! Rien de grave en apparence, mais qui sait ? Toutes mes défenses paranoïaques se mirent en place immédiatement. Où était le piège ? Car, forcément il y en avait un !
À l’orée de ce bois, nous aperçûmes la bâtisse grise et massive d’une ferme ancienne ; des annexes l’entouraient qui devaient être les emplacements des fours à pain, remises diverses et poulailler ; je connaissais bien cette région qui était la mienne …

Qu’allais-je faire dans cette galère ?

Notre but était de se retrouver entre copines et de bien rigoler ; mais voilà que nous étions délestées de tout : chèque d’inscription et le carnet qui allait avec, carte bancaire, papiers d’identité, portables et I-Pad. Là en effet se terminait la civilisation !  
On nous indiqua le dortoir : quatre lits superposés pour dix personnes ! Stoïques et supérieurement au-dessus des contingences matérielles, nous étalâmes à même le sol nos tapis du même nom ; sauf Mémée, mon amie astrologue, dont la bonne étoile et le renoncement des copines lui permirent de s’installer sur une couche moelleuse avec un soupir de satisfaction que nous nous empressâmes d’oublier. On peut être astrologue et avoir les pieds sur terre. Depuis que nous fréquentions Mémée nous savions que sous ses airs éthérés, elle était une vraie hédoniste : ce qui n’est pas incompatible.

Qu’allais-je faire dans cette galère ?

-          Tout est végétarien, me souffla, à l’heure du souper, Juju ma troisième et dernière amie du groupe, femme au foyer et féministe : ce qui n’est pas non plus incompatible.

Des vacances en Ardèche sans saucisson ni picodon : là, c’est vraiment incompatible !
Puis ce fut l’heure de la MÉDITATION… ! Chacun médita seul avec lui-même et puis s’en alla… tout seul ! Nous devions toutes être hantées par la même pensée : « Mais qu’allons-nous faire dans cette galère ? », car nous nous endormîmes sans un mot !
Une cloche grêle sonna le réveil : toutes à la fontaine (ancien abreuvoir à vaches) où l’eau pure de la montagne nous revivifia (nous glaça !), puis re-méditation solitaire et sortie idoine.

Mais qu’allais-je… ?

Le cours commença par une présentation de Caïcedo, qui, par la force de la méditation (solitaire ?) repoussa l’âge et les rides ; je comprenais mieux pourquoi il n’y avait que des femmes dans ce stage et j’envisageais une vengeance en avertissant la fédération des chirurgiens esthétiques de cette concurrence déloyale.

Mais qu’allais-je… ?

Toutes en tenue de sport, on commença la pratique : il s’agissait de visualiser… son troisième œil !
Bigre, bien que comprenant théoriquement le défi, je n’en voyais pas la réalisation, et les bavardages des copines plus expérimentées m’en firent sentir la difficulté !!!
Sans vouloir me répéter, je m’écriais en moi-même : 

Mais qu’allais-je…. ?

Et l’on prépara la méditation qui avait ce but mirifique : visualiser son troisième œil ! Pour cela, on s’agita frénétiquement en tous sens comme des poules hystériques, chaque membre de notre corps secoué, étiré et tordu, séparément et avec les autres, puis repos, yeux clos et visualisation…
- Silence –

Un cri nous tétanisa, c’était Juju, mon amie femme au foyer et féministe : ce qui n’est pas incompatible, (je le répète) qui hurlait :

-          Je l’ai vu ! Je l’ai vu…

Soulagement des copines et rage des rivales !!!

-          Il ressemblait à un buisson ardent !

Félicitations de la monitrice, jalousie des autres et on repart dans la méditation ponctuée de nouveaux appels, chacune voyait son troisième œil : tantôt comme un tourbillon lumineux, tantôt comme une silhouette opalescente ; une, le vit même sous les traits de sa grand-mère.

Moi, seule, je n’avais encore rien vu !

Regards en coin des participantes, presque haineux : je retardais la pause.
La méditation reprit, je poussais un léger soupir de découragement… mais l’animatrice l’entendit d’une oreille différente :

     -     Enfin tu l’as vu !

Je n’osai la décevoir.

-          Comment était-il ?

-          Rond et creux, répondis-je au hasard.

-          Bien, bien, c’est un début, dit-elle.

Détente générale, chacune parlait de sa vision avec véhémence, on comparait les expériences…
Mais, MOI, je n’avais rien vu !

Il y avait quelque chose qui n’allait pas chez moi… je me sentais soudain exclue, décalée, bref, inapte ! Au déjeuner, toujours végétarien – ce qui est et je le maintiens : incompatible avec la civilisation ardéchoise, mon amie astrologue et hédoniste : ce qui n’est pas incompatible, sortit sa calculette et y entra mes coordonnées natales, puis plongeant ses yeux (pas le troisième, heureusement !) dans les miens et m’annonça d’un air dubitatif :

     -    Lune en Verseau ! Tiens, tiens, tiens…

Elle venait de mettre à jour le Problème ! Ma lune en verseau m’inversait et me cachait ce que le soleil des autres mettait en lumière !
Les expériences de visualisation durent se poursuivre dans le sommeil des participantes puisqu’au matin, chacune avait vu dans la nuit : qui, une forme blanche, qui, une langue lumineuse, une sainte vierge ou une sorcière !
Ayant dormi comme un loir, moi, encore moi, je n’avais rien vu !

Encore une fois, Mémée, mon amie astrologue et hédoniste : ce qui…  me sauva la mise, expliqua que d’après les étoiles, j’étais un esprit simple et non une âme tourmentée et que j’avais déjà accédé à une forme de sérénité sans avoir besoin de m’adonner à ce genre de quête !

Finalement, les participantes et même l’animatrice : ce qui n’est pas incompatible, acquiescèrent et je remerciai mentalement mon amie astrologue et hédoniste de m’avoir si facilement réintégrée dans cet univers de visionnaires, moi, la pauvre aveugle !

Oui, à vous de me demander : qu’allais-tu faire dans cette galère ?

N’empêche que j’aurais bien aimé le visualiser mon troisième œil !!!


(P.S. Tout ce que j’ai écrit n’est pas de la fiction mais du vécu : pauvre de moi !)


L'OEIL ÉTAIT
par Éliette Vialle
pour Francopolis octobre 2011



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Créé le 1 mars 2002

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