JUIN 2010
Prononcer vingt-cinq aphorismes par jour et ajouter- : [Tout est là] (Jules Renard)
par Aaron de Najran
Aphorismes de RENÉ CHAR
L'art est une route qui finit en sentier, en tremplin, mais dans un champ à nous.
*
Toute action qui engage l'âme, quand bien même celle-ci en
serait ignorante, aura pour épilogue un repentir ou un chagrin.
Il faut y consentir.
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Tout en nous ne devrait être qu'une fête joyeuse quand
quelque chose que nous n'avons pas prévu, que nous
n'éclairons pas, qui va parler à notre coeur, par ses
seuls moyens s'accomplit.
*
On ne peut pas commencer un poème sans une parcelle d'erreur sur
soi et sur le monde, sans une paille d'innocence aux premiers mots.
*
Le poète ne retient pas ce qu'il découvre; l'ayant
transcrit, le perd bientôt. En cela réside sa
nouveauté, son infini et son péril.
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La lumière a un âge. La nuit n'en a pas. Mais quel fut l'instant de cette source entière?
*
La beauté fait son lit sublime toute seule, étrangement
bâtit sa renommée parmi les hommes, à
côté d'eux mais à l'écart.
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Celui qui invente, au contraire de celui qui découvre, n'ajoute
aux choses, n'apporte aux êtres que des masques, des entre-deux,
une bouillie de fer.
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On n'enfonce pas son pied dans la source pour paraître l'égal de l'amandier.
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On ne donne pas la lanterne à lécher au chien.
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Ceux qui regardent souffrir le lion dans sa cage
pourrissent dans la mémoire du lion.
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La nuit porte nourriture, le soleil affine la partie nourrie.
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Au regard de la nuit vivante, le rêve n'est parfois qu'un lichen spectral.
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La nuit déniaise notre passé d'homme, incline sa
psyché devant le présent, met de l'indécision dans
notre avenir.
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Il est insupportable de se sentir part solidaire et impuissante d'une beauté en train de mourir par la faute d'autrui.
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Si ce que je te montre et ce que je te donne te semblent moindres que
ce que je te cache, ma balance est pauvre, ma glane est sans vertu.
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La poésie est à la fois parole et provocation
silencieuse, désespérée de notre
être-exigeant pour la venue d'une réalité qui sera
sans concurrente. Imputrescible celle-là.
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La seule signature au bas de la vie blanche, c'est la poésie qui la dessine.
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Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience.
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Nombreux sont ceux qui attendent que l'écueil les soulève, que le but les franchisse, pour se définir.
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Ne te courbe que pour aimer. Si tu meurs, tu aimes encore.
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La poésie est de toutes les eaux claires celle qui s'attarde le moins aux reflets de ses ponts.
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La poésie vit d'insomnie perpétuelle.
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L'imaginaire n'est pas pur, il ne fait qu'aller.
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Qu'est ce qu'un nageur qui ne saurait se glisser entièrement sous les eaux?
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Ce n'est pas l'estomac qui réclame la soupe bien chaude, c'est le coeur.
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Qui a creusé le puits et hisse l'eau gisante risque son coeur dans l'écart de ses mains.
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Il faut deux rivages à la vérité; l'un pour notre aller, l'autre pour son retour.
glanés dans "Commune présence”, aux éditions Gallimard
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