Billet d'humour ou ballade d'humeur
Ici dire vaut mieux

que se taire...










 
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Il y a encore des beaux jours

1/     Faisons de la balançoire.
2/     C’est pour les enfants.
1/     Et bien, promenons-nous.
2/     Oui.
         Tiens, là, regarde par la fenêtre, la plage.
1/     La plage, et après, plus loin, les gros rochers. Du basalte je le sais. On peut se couper les mains, s’arracher les ongles, s’écorcher la peau et se faire très mal si on s’amuse à grimper dessus.
2/     La plage, c’est bien. Oui ? Non ?
1/     Non. Regarde la ville, le centre-ville, pour les rencontres c’est pas mal.
2/     Je vais me reposer, là, sur le sable.
1/     Attends, tu as le temps.
2/     Le temps pour se reposer est compté, j’ai pas l’intention de le gaspiller. Quoi ? Tu ne penses pas que j’ai raison ?
         Je vais dégager ce coin de plage, étendre mon paréo par-dessus le sable et m’y allonger. Et que personne ne vienne me déranger.
         Non mais tu crois quoi ? Hein !
1/     Rien. Je suis agnostique.
2/     Je ne te demande pas en quoi ou à qui tu crois, je te demande, tu crois quoi ? Que j’ai tout le temps devant moi ?
1/     Je ne me prononce pas sur ton devenir. Si tu veux dormir tu dors.
2/     Je ne dors pas, je me repose, il y a nuance.
1/     Tiens là, regarde, c’est pas une montagne qui passe devant la fenêtre ?
2/     J’espère qu’il y a des crevettes dans le creek parce que après la sieste j’ai bien envie de m’en faire un saladier entier, rien que pour nous deux.
1/     La dernière fois, c’était quand ? Trente ans, vingt cinq ans ?
2/     Là tu comprends qu’il faut pas gaspiller le temps imparti au repos.
1/     Tu la reconnais ? Le Kaala. Tu peux lire l’heure rien qu’en la regardant, les tonalité de vert de disent l’heure ; six heures du matin, dix heures, midi, quinze heures, dix-huit heures. Après tu te couches à l’ombre de la montagne, ta journée s’est bien passée.
         Fais-moi une place.
 
2/     Tu n’as rien dit depuis tout à l’heure. Plus rien ne t’intéresse ?
3/     Passe moi la clef de dix, j’ai la batterie à fixer.
2/     Ca marche encore ce genre de truc.
3/     Sans problème. Je l’ai récupéré sur une station. Il est plus vieux que toi et moi, les « Wipoun » y’a que ça de vrai.
         Avec ça, je peux tirer le tracteur jusqu’à la rivière, après je passe l’autre côté et là, tout est plat sur quatre hectares.
1/     C’est parti pour une semaine de labourage intensif. Adieu la plage, adieu la montagne, adieu la ville, le repos, les rencontres.
         Tu veux quoi : on t’accompagne ou tu y vas seul.
3/     Je sais pas lire ce genre de texte. Un homme est un homme, ce qui compte c’est c’qu’il vaut, pas d’où il vient.
2/     Voilà. Le soleil va se coucher. J’ai du sable plein les doigts de pieds, dans le camion ça ne fera pas désordre j’imagine.
3/     Pas si tu touches pas à la mécanique, et le camion c’est pas pour tout de suite.
         J’ai bien dormi moi aussi, sous le jamelonier, deux heures, d’une seule traite, je ne risquais pas d’attraper un coup de soleil. La plage ça peut être dangereux.
1/     La ville c’est ce que je préfère. Les montagnes par derrière, l’eau par devant et sur les côtés. Il manque les pieds de jamelons mais on ne s’ennuie pas. La balançoire c’était sérieux ?
2/     Tout va devenir très sérieux, la balançoire ce sera un élément du décor incontournable très bientôt.
3/     Descend et viens par ici, j’entends des voix.
1/     Silence, j’entends plus rien.
2/     T’a jamais rien entendu. Vraiment, t’as déjà entendu quelque chose de correct. Je veux dire quelque chose qui a du sens. Quelque chose qui transforme ton être profond, le temps d’un soupir, le temps d’être quelqu’un d’autre, être toi, vraiment.
3/     Là, tu entends quelque chose non.
2/     Non.
1/     Non, comme c’est simple à dire : NON. Et ensuite ?
3/     Quoi, ensuite ?
1/     Ensuite il doit rajouter quelque chose, une appréciation, un commentaire, une espérance. Oui une espérance.
2/     En quoi, espérer encore ? La planète s’échauffe, la connerie se répand, le soleil se couche et je n’aime pas les petites lunes.
 
 
4/     La balle, avec le pied. Avec le pied tu attrapes ballon. La main, jamais. Tu comprends ? C’est avec pieds qu’il faut jouer, il faut aller chercher balle, avec pieds.
5/     Il y a le goal.
4/     Oui mais c’est le goal. Lui c’est autre chose.
5/     Je crois que je préfère faire le goal.
4/     Alors c’est autre chose. Va jouer avec ton frère.
 
 
 
1/     Marions-nous ?
2/     Encore une connerie. Une autre raison de n’espérer en rien.
3/     Avec qui tu veux te marier, l’un d’entre nous ?
1/     Peu importe, avec tout le monde.
2/     Dis-lui la vérité.
3/     Il y a une vérité que je dois savoir ?
2/     Dis-lui tout simplement que tu ne veux pas mourir trop tôt, c’est pas compliqué la vérité ; quelques mots, une phrase ou deux bien construites, et l’affaire est dans le sac. Maintenant tu te sans mieux, non ?
3/     Ne parle pas à sa place. Dis-nous avec qui et pourquoi tu veux te marier. Là tout d’un coup ça te prend, tu balances ça comme ça et il faut suivre. Moi je vais à la vitesse du 6/6, et c’est pas rapide.
1/     Une phrase passe dans mon esprit et je la dis, c’est aussi simple. Je jette une sonde, la vigie à l’avant du bateau de Christophe Colomb, vous connaissez.
2/     On connaît Christophe Colomb, nous vivons avec lui depuis des siècles.
1/     Donc tu me comprends.
3/     On s’est toujours compris tous les trois, mais là je marche pas, comme si les gosses nous empêchaient de mourir, faut pas fantasmer, il faut rester dans le réel sinon la balançoire elle va nous revenir dans la figure et ça va faire mal. Christophe Colomb je l’aime bien mais il était déjà marié quand il a rencontré les indiens et ça ne l’a pas empêché de mourir trop tôt. Il n’a pas rencontré le continent.
2/     Maintenant tout le monde se tait, trois secondes ; une et deux et trois. Là regardez c’est pas la montagne qui repasse ?
1/     Non c’est la plage.
3/     La plage au pied de la montagne c’est pareil il faut profiter du bon temps qui passe ; un gyrobroyeur qui débrousse ou l’ombre du cocotier quand il fait chaud.
 
 
5/     Mais si je veux prendre le ballon avec les mains, je peux ?
4/     Si tu fais ça tu changes de jeu, c’est comme tu le choisis. Moi je te redis : tu prends ballon avec pieds, gauche ou droite, c’est comme tu veux mais c’est comme ça. Et reviens pas me parler du goal, lui il est seul devant sa ligne et il vient pas nous emmerder avec ses mains.
 
1/     « L’angoisse du gardien de but au moment du penalty », vous connaissez ? Non ! C’est de ça qu’il parle et le gosse il risque pas de comprendre.
 
 
 
1 /  La boue est partout.
2 /  D’abord c’est l’eau qui vient de partout. Elle reste un peu au sol avant de s’écouler, si il y a de la pente.
3 /  Puis elle va se changer en boue, y’a rien à faire contre ça.
1 /  Non y’a rien à faire. Cette saloperie de boue va jusque sous les lits.
2 /  Elle se colle à la porte, aux murs, aux pieds de la table, aux chaises. Elle salit mon linge en moins de deux quand je vais dehors, quand je vais dans une autre cabane, voir quelqu’un.
3 /  Pourquoi t’as quelqu’un à voir dehors ?
2 /  Et pourquoi pas ? Toi tu t’emmerdes toujours mais moi, je sais faire quelque chose de ma journée.
1 /  Y’a de la boue et on n’a même pas l’eau courante.
3 /  Ah bon ! Et l’eau qui coule dehors, par terre, dans tous les chemins, c’est pas de l’eau courante ?
2 /  Laisse tomber pour aujourd’hui, c’est peut-être pas le moment.
1 /  Pas de gouttière, l’eau coule par devant et ça fait encore de la boue.
2 /  C’est celle-là qui entre dans la cabane et envahit tout.
3 /  On devrait mettre des pilotis sous la baraque. La maison sur pilotis avec vide sanitaire par en dessous.
2 /  Ouais ce serait l’idéal.
1 /  Pour le moment, y’a de la boue et il pleut encore.
3 /  Il y a les gosses, ils ne savent pas ou jouer.
2 /  Ils jouent dehors près de la route.
1 /  Ils courent.
3 /  Dehors trop près de la route.
2 /  Entre les palétuviers.
3 /  A marée basse.
1 /  Pieds nus.
3 /  C’est bon pour la santé.
2 /  C’est le mieux. La sensation de la boue entre les doigts de pieds, c’est merveilleux. Je plains ceux qui ne l’ont jamais éprouvée.
3 /  Pourquoi pas dehors sous la pluie ?
1 /  Ils prennent une planche.
2 /  La font flotter dans la marigot.
3 /  Lèvent le nez à la lune.
2 /  Font la conquête du monde.
1 /  Jusqu’à la nuit totale.
2 /  Naviguent sur un galion espagnol.
1 /  Sur la pirogue qui découvrit la Nouvelle Zélande.
2 /  Sur le radeau de la Méduse.
1 /  Sur le Tour de Côtes.
3 /  Le Cap des Pins.
2 /  Le Lady Géraldine.
1 /  Escaladent la montagne aux nuages blancs.
2 /  N’ont peur de rien, ils vont ramer avec leurs mains.
3 /  Pousser sur des perches qui vont se casser.
1 /  Mettront les pieds dans l’eau et tireront le radeau comme Humphrey Bogart.
3 /  Abandonneront la planche pour s’asseoir dans la vase.
2 /  Les gosses vont revenir affamés.
3 /  Ils mangeront tout ce qu’ils peuvent, sans se poser de question, cassoulet, pilchards, tomates en boîtes, bananes.
2 /  Sauf quand y’a de la boue.
3 /  Pourquoi sauf quand y’a de la boue. Ils ont pas faim quand y’a de la boue ?
1 /  La boue nous tue, elle nous épuise, elle fait qu’il y en a marre de tout, de jouer, de courir sous la pluie, de rire à la lune, d’avoir faim et de bouffer.
2 /  Voilà, c’est tout à fait ça, avec la boue, la vie n’est plus la même, elle ne répond plus aux mêmes exigences. Elle n’est plus vivre, elle est résister, vivre en vitesse, sans y penser.
1 /  La boue fait la vie comme mourir pare que y’a plus rien à faire de la vie. A part rester assis ici, à rien faire, y’a rien à faire.
3 /  On peut parler comme maintenant ?
2 /  On parle des gosses là.
1 /  Jusqu’à ce qu’il y en ait un qui annonce l’anniversaire de Léa.
3 /  D’un coup, en un mot, sec, sans bavure.
2 /  Et pourquoi pas faire l’anniversaire de Léa ? Elle le mérite, non ?
3 /  Ils trouvent toujours un mot sec pour dire ça.
2 /  Je répète, pourquoi ne pas faire l’anniversaire de Léa, elle le mérite. Ce n’est pas une question. Je le dis. Qui plus qu’elle le mérite, parmi nous, qu’on fête son anniversaire. Il faut y penser.
3 /  J’y pense.
1/ Elle ne me quitte jamais.
3 /  Il y aura des guirlandes.
1 /  Des ballons multicolores.
3 /  De la musique.
1 /  Des serpentins multicolores.
3 /  De la danse.
1 /  Des paquets de cadeaux.
2 /  Il faudra qu’il y ait des pommes.
3 /  Des œufs mimosa.
1 /  Des crêpes, des pêches.
3 /  Du poulet.
1 /  Du bougnat.
3 /  Du sorbet.
2 /  Des paquets de gâteaux. Les meilleurs ce sont les Arnotts.
1 /  De la joie.
2 /  Du rock.
3 /  Du kaneka.
1 /  Des amis.
2 /  De partout, des blancs, des chinois, des tahitiens.
3 /  De partout ils viendront.
2 /  Ce sera l’anniversaire de Léa.
3 /  Mais s’il pleut ? Et la boue alors ?
1 /  Il ne pleuvra pas.
3 /  Tu as vu la météo ?
2 /  Pas besoin de météorologiste pour savoir d’où vient le vent.
3 /  Il vient droit sur nous.
1 /  Nous l’éviterons.
2 /  Il soufflera son eau ailleurs, il épargnera les pauvres parce qu’il a des yeux et un cœur.
3 /  Comme les cocos qui ne tombent jamais sur un crâne.
1 /  Parce qu’ils ont des yeux et un cœur.
2 /  Et parce que personne n’est assez con pour se coucher au pied d’un cocotier.
3/ L’anniversaire sera grandiose.
 
 
 
4 /  Je rentre maintenant.
5 /  Alors ?
4 /  Alors je vois qu’on prépare un anniversaire.
5 /  Et alors ?
4 /  Alors je pense que c’est le mien. Un peu en avance mais je suis content quand même.
5 /  Alors non, tu te trompes.
4 /  C’est Léa !
5 /  C’est le moment. Il y aura de tout, tous les copains, elle racontera son voyage.
4 /  Oui…L’anniversaire, c’est déjà le moment.
3 /  Faits attention, ne lui dit rien, ne le laisse rien deviner.
5 /  Je fais attention, ce n’est pas simple.
4 /  Je veux organiser quelque chose. Alors quoi ?
5 /  D’abord te calmer, qu’on en discute.
4 /  Oui, vous vous discutez, moi je fais. J’aimerai être un dessinateur.
3 /  Tu peux dessiner où tu veux. Tiens, prends ce mur, il est à toi.
                   Il dessine de la nourriture.
4 /  Des paquets de cadeaux.  Il faudra qu’il y ait des pommes, des œufs mimosa, des crêpes, des pêches. Là, il faut du poulet.  Et là, du bougnat.  Et là, du sorbet, des paquets de gâteaux. Les meilleurs ce sont les Arnotts.
3 /  Rien ne me soulagera. Cet anniversaire, en parler me porte un coup fatal.
                   Il se couche et ne bouge plus.
1 /  Couché il ne fera rien pour l’anniversaire.
2 /  Nous n’avons pas besoin de lui. Fatigué comme il est il vaut mieux qu’il se repose.
1 /  Le camion, ça peut être une chance à la fin de la journée.
2 /  Ne dit pas ça, tu ignores la fatigue véritable.
1 /  Toi également tu ne sais pas ce que c’est.
2 /  Non.
1 /  Alors préparons l’anniversaire. Plus que quelques jours.
2 /  J’ai hâte qu’on y soit, Léa sera heureuse, les gamins aussi.
 
 
 
2/     Allons sur le fleuve salé.
3/     La mer, tu veux dire.
2/     Oui, je veux dire : « la mer », et alors, n’est-elle pas comme un immense fleuve, il fait le tour du Monde, il va du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, par lui les Hommes se rencontrent.
1/     Oui, ou-bien il s’isolent et l’érigent en frontières inviolables, créent des brigades fluviales, des Eaux Continentales infranchissables sans autorisations, passeports, tampons et drapeaux. Allez hop, la marine suit, les bateaux gris, arraisonnements et piraterie, que vivent les « boat people », les combattants de l’échappée permanente, ceux du Viet Nam, de Rapa Nuit, du Monde entier pendant que j’y suis.
2/     Là, c’est le Kaala de tout à l’heure. C’est imparable on y revient toujours.
1/     Le Ouen Toro, tu le vois d’aussi loin, il suffit d’être à sa fenêtre et de regarder les gens passer dans la rue. La vie, l’agitation, monter, descendre, nous les hommes on survit comme on peut. Allez les sportifs poussez sur la planche, faites monter cette balançoire, on va décrocher la lune et il y aura encore des beaux jours, c’est certain.



* * *
 
 

par Nicolas  Kurtovitch
pour Francopolis septembre 2007



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Créé le 1 mars 2002

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