HUMEUR
Mireille Diaz-Florian,
nous offre son humeur
Extérieur -Jour (in Croquis)
J’ai une certaine habitude de choisir le lieu de mes
déambulations, avec cette prescience qui rend soudainement le
réel conforme à mes attentes. C’est ainsi ;
l’écriture est pour moi d’abord un déplacement, une
marche hors direction. Et tout autour pourtant, se mobilisent des
forces, des glissements du temps, des vibrations dans l’air. Me
voilà, à mes dépens, placé au coeur de
l’imprévu, comme si à mes côtés, une muse
urbaine, capable de me suivre dans tous mes détours, mes haltes,
mes hésitations, dirigeait mes pas, cernait l’espace propice
à déclencher la nécessité de
l’écriture.
Ce jour est comme les autres dans ma ville. Le passage des
autobus est un signal, à partir duquel le volume de bruit
augmente nettement dans toute la rue. La montée exige un
changement de vitesse dont je perçois le crissement
significatif. Puis ce sont des voix, des bruits de pas de mes voisins,
l’ouverture d’une fenêtre, à l’étage du dessus.
Justement,
l’histoire de ce jour est en train de s’élaborer en partant de
la locataire du dessus. J’ai vu, il y a quelques semaines, les cartons
d’un déménagement s’entasser dans l’entrée. J’ai
croisé quelquesn jeunes gens pleins d’énergie au point
d’ignorer l’ascenseur. Mais depuis, je n’ai jamais croisé la
locataire. J’ai vu un prénom Mira, sur la boîte aux
lettres. C’est tout. Je pense que c’est un prénom
féminin. J’ai envie d’en connaître l’origine.
Ce jour, je
sors. Je décide d’ignorer le patron du café, à
l’angle de ma rue. Je le salue d’un geste. Il paraît surpris. Je
le suis aussi. Je romps sans vraiment l’avoir décidé,
avec un rituel matinal. Je tâte l’appareil photo qui est toujours
au fond de ma poche. Un bus vient de s’arrêter au feu rouge. Je
traverse rapidement pour l’intercepter. Derrière moi, j’entends
les pas pressés d’une femme qui monte dans le même bus.
Elle serre contre elle un étui de violon. Le bus est plein. Je
me demande pourquoi je me suis précipité pour prendre ce
bus. Je n’ai a priori aucune urgence, sinon celle qui doit
décider de mon récit.
Près
de moi, se tient la femme au violon. Je remarque qu’elle ne se tient
à aucune rampe, aucune poignée. Elle semble se laisser
porter par les seuls mouvements du bus. Elle tangue
légèrement. Mais aucun freinage ne la déstabilise.
Elle joue ; elle se joue du mouvement. Je pense qu’elle a le «
pied musicien », celui qui arrime à la terre, le
violoniste ou le chanteur, pour que l’envol des sons soit possible. Je
n’ose la dévisager. Je regarde ses mains croisées sur
l’étui. Je peux deviner la longueur de son chemin. Je
détourne mon regard. Je me sens soudain avec ces mains
croisées, prisonnier de son histoire. A la station suivante, je
descends.
J’aurai ce jour marché loin, sans trop savoir
où je voulais aller. Mais cette incertitude me plaît. Je
m’arrête
plusieurs fois pour faire des photos. Je vais m’asseoir sans doute dans
un jardin. Je pourrai commencer à regarder mes photos, à
supprimer la majorité d’entre elles et repartir. Je suis
arrivé par de petites rues sous les galeries du Palais Royal.
Les bourgeons des tilleuls sont crispés dans leur gangue.
Pourtant tout annonce dans ce lieu le printemps à venir.
Lorsque je me suis assis, j’ai eu juste envie d’observer les
mouvements des oiseaux dans les buissons. Quelques pigeons
s’approchent. Mais je n’aime pas les pigeons. Je les repousse du pied.
En faisant défiler mes photos, j’ai eu l’impression de voir
à la vitre d’un bus à l’arrêt, la femme au violon.
J’ai zoomé. Mais un éclat de lumière laissait
juste un visage en transparence. Puis j’ai réfléchi que
je n’avais pas vu son visage, seulement ses mains croisées sur
l’étui.
Extérieur
-Jour (in Croquis)
par Mireille Diaz-Florian
février 2016
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