VERS OU VA LA VIE
Vient ce temps d'une pensée vers toi,
vers l'autre, vers tous les autres, temps d'interrogation sur le sens
des choses, de se lever le matin à s'engager pour une cause en
passant par se brosser les dents, s'occuper des enfants, manger, boire,
dormir, payer les factures, pester contre la télé, faire
l'amour, se regarder dans la glace, lire un quotidien, écouter
la radio, regarder pousser le géranium et toujours se
demander... ce que sera demain alors qu'hier et aujourd'hui sont
troubles troublés troublants, troubles dans les faits et leurs
réinterprétations, troublés dans les mots et leurs
sens réinterprétés, troublants dans le vertige,
les lumières, le brillant, les paillettes et leur contraire
inégalé. Trou noir. Mille sept cent cinquante… mille sept
cent quatre vingt neuf… mille huit cent quarante huit… mille huit cent
soixante et onze… mille neuf cent dix sept… mille neuf cent trente six…
mille neuf cent quarante quatre… mille neuf cent soixante huit… mille
neuf cent quatre vingt un… mille neuf cent quatre vingt dix… mille neuf
cent quatre vingt quinze… deux mille cinq… vers où va la vie…
Mille cinq cent soixante douze… mille huit cent quatre… mille huit cent
cinquante deux… mille huit cent quatre vingt onze… mille neuf cent
quatorze… mille neuf cent trente trois… mille neuf cent quarante… mille
neuf cent soixante treize… mille neuf cent quatre vingt onze… deux
mille sept… vers où va la vie…
Vers où va la vie ? 1er
mouvement
Ne t’excuse pas de ne pas savoir. A quel point cardinal, tu gagneras
ton nord. Pas celui de la boussole. Le nord de la nuit, le nord de la
vie, là où est l’étoile, là où est
le loup. Un pas plus loin que l’orage. Egaré, laissé
là, gare à la rage qui te ronge le squelette et chaque
os, tibia péroné humérus. Ne t’excuse pas de ne
pas savoir. A quel sein avenant se vouer. Pas celui de la mère.
Le sein de chaque jour, le sein de la vie, là sous l’armure,
là sous l’amour. Nos murmures presque étouffés,
nos cris rentrés, nos voix réprimées, ces
éclats qui demeurent, résistants rebelles, dans l’enfoui
de nos ventres, psalmodient les mélodies futures que nos enfants
hisseront comme hymnes lorsque depuis longtemps nous aurons rejoint le
camp des anges. Ici-bas la vie bat et chaque tour de manivelle redonne
place à chaque mot à chaque chiffre à tout ce qui
compte à ce quoi qui dit où qui dit quand qui dit combien
sans jamais présager du comment. On peut bien mourir dans des
tourments d’images, dans des torrents de larmes, de maladie ou de
mensonge. On a rendez-vous au sommet au faite à la cime de
nous-mêmes avec personne d’autre que soi à chaque
bifurcation à chaque carrefour au premier comme au dernier,
là où le choix ne peut être qu’entre dedans et
dehors, entre semeur de haine ou semeur de blé. Ne t’excuse pas
de ne pas savoir. Je te jure que tu n’es pas tout seul dans cette
mécanique de l’âme. Je m’accorde avec tes pas, peu importe
mon nom, emporte mon sourire, emporte mes saisons vers où va la
vie…
Vers où va la vie ?
2ème mouvement
On ne perd ni toi ni moi à croire à l’enchantement. C’est
dans ma tête que mon pas épouse le passé ; je suis
le passant de mon passif. Je rêve à jamais de verger et
d’urgence. Le rouge-gorge aime-t-il quand le chant se grise du bris de
l’os ? La grive se verrait-elle descendre sans honte sous la ligne de
flottaison sans s’essayer du vol ? Quel écart entre le corps et
le discours sur le corps ? Qui ment ? Qui nie ? Ce qui manque, ce n’est
ni le vrai ni le faux, seulement le dénombrement de la perte,
seulement l’inventaire des abandons, seulement le répertoire des
altérations. Ne crois pas que je tourne autour de chaque point
afin d’en autopsier le cadavre. Je suis ce cadavre, cette
dépouille en partance. L’autre rive, l’incontenable continent,
je l’atteins en pensée sans bouger les membres, sans remuer le
moindre segment de matière organique. Je n’ai besoin d’aucun
peyotl, d’aucun substitut, d’aucun procureur pour sentir naviguer le
parquet, s’évader le plafond, se fissurer le mur et d’abord le
gris. Je marche sans procuration vers où va la vie. Sans en
perdre une miette, sans savoir à l’avance de l’est ou de l’ouest
ce qui sera mon nord. Dans mes combles, rien ne grince mieux que les
gonds de cette porte souffrant sur toi. Je dois souffler à cœur
résolu sur tes braises. Tu es tout mon monde, ma maison, mon
immense. Tout à la fois l’infime et l’importance, le frivole et
le grave, le minime et le mortel, le sommaire et le
considérable. Tout toi résonne du noir d’avant et
d’après, tout toi retentit des noms que les hommes et les
circonstances t’accordent. Je sais pourtant qu’au fond de toi tu te
nommes, tu t’appelles, tu t’épelles être à
être, hors avoir hors patrie hors étiquette. Baptême
sans église sans sermon sans exhortation. C’est ta chanson, ta
voix, et la mienne. Passants dépareillés, fragmentaires
inachevés, nous nous reconnaissons appartenant à la
même toile d’araignée, la même humanité.
Chalands tant de fois déçus dépités
désenchantés nous nous avouons cependant rêveurs
d’une identique question : vers où va la vie ? Et nous y allons.
Mille sept cent cinquante… mille sept cent
quatre vingt neuf… mille huit cent quarante huit… mille huit cent
soixante et onze… mille neuf cent dix sept… mille neuf cent trente six…
mille neuf cent quarante quatre… mille neuf cent soixante huit… mille
neuf cent quatre vingt un… mille neuf cent quatre vingt dix… mille neuf
cent quatre vingt quinze… deux mille cinq… vers où va la vie…
Mille cinq cent soixante douze… mille huit cent quatre… mille huit cent
cinquante deux… mille huit cent quatre vingt onze… mille neuf cent
quatorze… mille neuf cent trente trois… mille neuf cent quarante… mille
neuf cent soixante treize… mille neuf cent quatre vingt onze… deux
mille sept… vers où va la vie…
Yves Béal
pour Francopolis janvier 2008
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