Vos textes publiés ici après soumission au comité de poésie de francopolis.







 
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Agnès Schnell sélection juin 2004

Elle se présente à vous.

Agnès Schnell nous a pris au mot pour réussir cette fois-ci et sa
publication et sa fin qu'elle nous propose dans une nouvelle version.


INVITÉS

 -  Nouvelle  -

Nous étions arrivés par le train du soir, le dernier. La ville somnolait sous une pluie fine. Tout était calme. Frileusement, chacun avait clos fenêtres et portes et j'imaginais la même scène répétée : la télé omniprésente et les visages figés sous son charme bleuté.

Nous connaissions la maison où nous étions attendus. Il fallait descendre la rue commerçante aux pavés glissants. Cette mode de la préservation des lieux anciens, à tout prix, m'irritait. Elle avait prévalu -ici comme ailleurs- sur le confort des usagers. On ne
comptait plus les chutes, les entorses et autres foulures, les fractures, mais Monsieur le Maire avait doctement expliqué qu'il fallait garder l'âme de la ville, sa patine, son charme désuet. Ses concitoyens devaient être prudents et tout irait bien !

Après la rue commerçante déserte, la grand-place. En cette soirée pluvieuse, pas une âme ne s'y était attardée, sinon nous. Une place banale, quelques hautes maisons de caractère à la façade austère, d'autres moins typiques mais plus riantes, des lampadaires dont la
lumière blafarde se reflétait dans l'ombre mouillée. Rien d'unique.Ma femme s'était accrochée à mon bras dès les premiers pavés. Je la sentis se rapprocher jusqu'à me toucher la hanche. Allons, bon, il fallait que je crâne une fois de plus pour la rassurer et pourtant, je n'étais pas très à l'aise, moi non plus.Je pestais de plus en plus contre les pavés parfois inégaux, les semelles trop légères de mes chaussures, contre la pluie froide qui semblait redoubler de vigueur, je pestais contre les gros baquets de
bois où tentaient de pousser des plantes gorgées d'eau et où je venais de me cogner, je pestais contre ma femme qui pesait de tout son poids sur mon bras. Elle avait encore dû grossir ces derniers temps.
A quelques pas, vers la gauche, j'aperçus la silhouette trapue de la maison où nous nous rendions. Aucune lumière ne filtrait derrière les volets, certains n'avaient pas été fermés.
Une porte usée, peinte et repeinte, en noir cette fois, pas de sonnette, comme d'habitude.
Mes coups de poing restèrent sans écho. Je poussai la porte qui s'ouvrit. En voilà qui ne craignent rien !Le couloir était plongé dans l'obscurité. Je cherchai en vain un
commutateur, dont je ne me rappelais pas l'emplacement. Je décidai d'aller au bout du corridor où je savais des portes s'ouvrant sur les pièces d'habitation. Ma femme s'était placée derrière moi et m'enserrait la taille. Pas commode déjà de naviguer dans
l'obscurité, si en plus je devais la traîner.

J'atteignis tant bien que mal le fond du couloir. Ma main glissa sur la tapisserie dont je sentis le léger relief. Je croyais l'interrupteur placé vers la droite, mais je ne le trouvai pas. Je décrivis des cercles de plus en plus excentriques, rien. Je beuglai : Y a quelqu'un ? Hou, hou, vous êtes là ?
Seule la respiration syncopée de ma femme me répondit. Je sentais son haleine tiède sur ma nuque, je sentais son corps s'appuyer sur le mien, je sentais ses courbes fermes épouser les miennes. En un autre lieu, en un autre moment, cela aurait pu faire naître des
pulsions auxquelles je ne résistais jamais bien longtemps. Mais en ce moment j'avais plutôt envie de m'ébrouer pour la détacher de moi.
- Va ouvrir la porte de droite, lui soufflai-je, la lumière des
réverbères nous éclairera un peu.
- Non, vas-y toi-même, tu sais que je n'y vois rien dans l'obscurité.
Les corvées, c'était toujours pour moi ! J'allai répliquer quand le contact froid d'une poignée de porte mit fin à mes recherches. Je poussai donc la porte.

La salle était plongée dans une semi-obscurité. Les volets étaient entrouverts. Une lumière laiteuse éclairait avec parcimonie deux lits défaits. Nos hôtes étaient pourtant des gens d'ordre, maniaques même selon moi. Sur l'un des lits, une valise ouverte laissait
échapper une masse incroyable de vêtements en désordre. Chaussures, livres et vêtements encombraient le sol.
Par inadvertance, je m'appuyai contre le mur et je sentis sous mes doigts la surfaceaffleurante d'un interrupteur. J'allumai.Un plafonnier opaque diffusa une lumière mesquine. Le désordre de la chambre nous apparut plus trivial encore. Les lits, la valise à
moitié remplie, tout indiquait un départ précipité, un abandon, une fuite.

Un coup d'oeil vers ma femme me permit d'évaluer sa surprise. Elle avait posé une main contre sa bouche et l'autre passait et repassait nerveusement sur sa cuisse. J'étais perplexe, moi aussi. On devait nous attendre, nous avions reçu confirmation de l'invitation la
veille encore. On devait nous accueillir et la maison était vide. Le silence n'était troublé que par le bruit léger de la pluie.Je sentis un poids énorme dans le ventre. J'ai souffert du ventre toute l'enfance : à chaque interrogation scolaire, à chaque perturbation de la vie quotidienne, à chaque réprimande ou punition prévisibles, je souffrais atrocement du ventre. Les divers spécialistes consultés avaient émis le même diagnostic : c'était
nerveux. J'avais la peur au ventre, quoi.Et voilà que cela me reprenait ! Une douleur à me couper en deux, une sensation de compression, d'écrasement, un poids énorme sur mes
viscères, une souffrance que je devais taire si je ne voulais pas effrayer davantage ma moitié.

Un souffle me frôla. Ma femme se tenait pourtant éloignée de moi. Je la vis qui frissonnait. Une fenêtre était ouverte, sans doute, quelque part dans la maison désertée. Je ne pouvais détacher mes regards des lits bouleversés, des vêtements chiffonnés, je ne
pouvais détacher mes pensées de cette douloureuse pression qui malmenait mes
-Et si un malheur. commença ma femme. Le regard que je lui lançai la fit taire.J'allais essayer de me pencher, pour faire diversion en ramassant un livre, quand un cri m'arrêta.
-Coupez !
La salle plongée dans l'obscurité s'illumina. Le réalisateur se tourna vers moi avec un sourire mielleux, afin de mieux m'assommer avec ses remarques acides. Intarissable, le gars quand il voulait forcer notre jeu, nous obliger à forcer notre jeu.

-Tu vois, mon chou, là t'es pas authentique, tu oublies de grimacer.
Oui, tu dois grimacer. Tu as très mal aux tripes. La peur, mon chou, la peur devrait te décomposer. Tu la joues trop détaché, pas assez angoissé. Tu dois suer la peur, tu dois être la peur par ton regard, par tes gestes. Et ta voix off, plus sourde, plus saccadée, plus
hésitante, rauque, une voix du ventre, comme après un coup de poing sous la ceinture. Pense à Malone.
T'es trop mou, tu comprends petit ? C'est pas une romance là qui se prépare, c'est un drame. Il faut que ton public se prépare, il faut qu'il pense à un assassinat, un double suicide, à n'importe quoi de terrible, de brutal, de sanglant. Ils aiment le sang, ces salauds, le sang et le sexe. Le sexe, ici, tu peux pas. Donc, donne-leur du sang. Tu dois puer la peur, pour que leur imagination se mette en branle, pour qu'ils s'échauffent. Ils veulent trouver la solution avant toi, avant nous. Ils sont si contents alors, les cons, si satisfaits d'eux-mêmes ! Prépare-les au sanglant. M'en fous qu't'en ai plein les pattes, que tu croyais
avoir fini.
Allez, on refait celle-là à partir de : « Je sentis un poids énorme dans le ventre ».
Allez, remuez-vous, tous sur le plateau !


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Créé le 1 mars 2002

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