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Agnès Schnell sélection juin 2004
Elle se présente
à vous.
Il me faut maintenant un arrêt, une halte prolongée,
une place dans le creux, dans les plis, hors de l'impatience.
Voici mon lieu de vie mal situé encore, inachevé, à
la frontière de la démesure, de l'utopie. C'est une traversée
extrême, infinie, du bord au rivage, d'un train aux vitres sales à
un autre plus fulgurant, interminable comme dans les rêves… Une traversée
quotidienne, attendue, espérée, une découverte voluptueuse
parfois.
Une table trop encombrée comme toutes les tables où
l'on s'arrête souvent, voici le lieu d'où j'écris. Là
sont mes mots presque illisibles, écrits de nuit pour l'accoutumance
à l'obscurité prochaine. Écrits à contre temps,
à contre espérance aussi, envolés d'une fenêtre
toujours ouverte sur la lumière.
Et voici ma part d'ombre, mes infimes fragments. Ma faim, souvent
occultée, tracée en poèmes maladroits, trop bavards,
pour noyer l'indicible.
Ici sont mes livres amputés de bouts de phrases, de bouts de
mots, par moi volés : ils répondaient à l'incisif qui
me hante.
Nomade à petits pas, chassée de l'enfance, en proie
au froid, à l'inquiétude…
Nomade, sans laisser de traces, passante toujours, errante, portant
comme un flambeau ma part de feu autrefois si pesante...
Une porte close ? Tout s'altère, tout est à recommencer.
Je ne saisis alors que le reflet, le retrait des choses, le creux abandonné.
Je marche à reculons, sauvage comme une mer primitive. Anémone
marine aux tentacules blessés, je me rétracte, je me love dans
le silence, je m'étourdis de désarroi.
Une porte ouverte ? Tout grandit, se dévoile, se révèle
: un infini intérieur, un tableau où tout devient simple, immense.
Une large demeure, à ma mesure, s'ouvre enfin.
Chaque jour s'écrit lentement sur cette épure où
manquent encore tant de signes, de courbes…
Voici mes tourments, mes affres sans remède, sans issue sinon
cette clairière, si loin…
Longtemps, j'ai voulu lire les lignes bleues, ravageuses, destructrices
qui marquent mon âme. Ces coups portés dès l'origine,
entretenus par les berceuses, les chants négatifs d'une mère
presque absente… À présent, c'est mon humus, le terreau où
je puise la vie, ma vie, c'est mon jardin clos sur l'invisible.
Voici ma fragilité : celle d'une louve au masque rejeté
qui craint d'être dévorée. Voici ma sauvagerie, contenue
pour ne pas effrayer, pour ne pas trop me dire.
Me voici enfin, enveloppe de chair sur des impulsions vives, cernée
de possibles jusqu'au vertige, envoûtée souvent par le fait
de vivre. Toujours proche de l'explosion, d'une implosion plus grave encore,
me voici jaillissante, à l'écoute de l'essentiel, d'un éternel
présent ou de l'envers des choses. A l'écoute du vent telle
une feuille rouillée dans l'attente de la chute inévitable.
Voici ma vie pétrie de manques et de cailloux, de rires et
de caresses, de contradictions, longuement pétrie de rêves et
d'impossibles, d'espace et d'herbes sauvages, de silence et de ruines, d'amour
aussi, parfois…
Déjà éloignée, aimantée pourtant
par les vibrations du vivant, me voici debout, dressée, guetteur d'impossibles
aurores, d'aubes trop lointaines.
Me voici debout vers la fuite toujours imprévisible, un ailleurs
qui doit forcément exister…
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