« La cinquième saison » est
son troisième livre, paru en 2003 à Bucarest aux éditions
Fundatia Culturala Libra, tout de prose courte, où se mêlent
le fantastique et l’imaginaire dans une double localisation spatio temporelle
roumaine et israélienne bien réelles. Le titre « La cinquième saison
» évoque déjà comme un mystère, puisque
le cycle du monde naturel compte quatre saisons, la cinquième est
celle plus secrète qu’il nous faut découvrir tout au long du
parcours de la lecture des dix-sept récits.
Dans ce livre, Madeleine
Davidsohn nous convie à un voyage dans chacune de ses nouvelles brèves,
un voyage où rêve, amour, espoir donnent un sens à la
vie, structurent un autre monde où les valeurs humaines prédominent
dans un ordre avant tout moral. Ses personnages à la vie et à
la trajectoire apparemment simples, au caractère doux, basculent à
un détour de l’histoire dans une autre dimension.
***
L'OMBRE ( 3...)
Depuis quelques jours, il
avait une forte fièvre. Son regard embrumé distinguait difficilement
les visages. Des blouses blanches entraient ou sortaient par la porte du
28, s’arrêtaient devant le lit du côté de la fenêtre,
ou continuaient leur marche plus loin. Des ombres. Son monde était
peuplé d’ombres. Quand elles l’effleuraient, c’était comme
un battement d’ailes, quand elles le palpaient plus fort, cela provoquait
en lui un gémissement douloureux… Le temps avait perdu toutes dimensions.
Les minutes s’écoulaient en heures, les heures en jours – répit
indéfini. Qu’y avait-il avant ? La question se diluait lentement,
lentement, dans son cerveau fatigué. La réponse avait perdu
son importance.
Soudain, la fièvre baissa, et la brume disparut brusquement de ses
yeux. Il se sentait bien. Tout d’abord, il se redressa, ensuite, il descendit
du lit précautionneusement, posant un pied à côté
de l’autre, comme s’il apprenait tout juste à marcher. Dans le large
corridor, qui se séparait en couloirs collatéraux à
droite et à gauche, il se mit en route, sans trop réfléchir,
droit devant lui, conduit par une force invisible et invincible. Autour de
lui, le silence. Aucune présence, aucun mouvement. Seulement lui et
l’ombre. Longue, gigantesque, elle recouvrait les murs presque jusqu’au plafond.
Il se surprit à lui parler comme à un être vivant.
Des histoires oubliées, d’un passé éloigné, remontaient
à la surface. Elles plongeaient comme des bulles d’air en expir, du
fond de la mer, libérées par des poumons prêts à
exploser. Toutes étaient vivantes et claires, et plus il se distanciait
d’elles, plus elles devenaient troubles et incompréhensibles lorsqu’il
revenait dans le temps, pas plus tard qu’au jour d’hier. Compagne muette,
l’ombre l’accompagnait dans cette étrange promenade. Les corridors
continuaient l’un après l’autre, se croisaient de temps en temps,
et il marchait sans se dérouter, attiré comme par un aimant
toujours plus avant..
Tout d’un coup, les murs se rétrécirent, l’ombre s’allongea
tellement qu’il eut l’impression qu’elle allait le toucher. Alors, il se
mit à crier :
- Va t-en, va t-en d’ici, j’ai peur. Je ne veux plus te voir. Va t-en !
L’ombre se détacha du mur comme si elle s’était matérialisée.
Elle se pencha sur lui, le recouvrant telle une noire pèlerine et
se fondit dans la semi-obscurité du corridor.
- Ah ! soupira t-il soulagé, en promenant son regard sur le mur.
La tache obscure, sa grande ombre, avait disparu.
Il marchait vite maintenant, bien plus vite, presque joyeux. Brusquement
dans son cerveau, prit place une pensée effrayante.
- L’ombre ! où est l’ombre ? Chaque être, chaque chose en possède
une. Seul ce qui n’existe pas ne provoque pas d’ombre. Mon ombre ! Je veux
que mon ombre revienne !
Mais il était trop tard.
***