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de Lise Gleeton Arrelle, sélection
février 2003:
(Québec)
Trois Nouvelles
:
Mars 1996 A l’orphelinat de Shanghai, Lu, treize mois, observe
la dame au chapeau rouge. Elle parait douce. Lorsqu’elle est passée
près d’elle, une odeur sucrée a frappé son
odorat. Il ferait sûrement bon enfouir son nez dans son
cou. La dame au chapeau rouge fait partie d’un groupe d’une dizaine
de personnes. Des Américains a dit madame Tchen, la directrice,
à Lai Yee la surveillante des enfants de un à trois
ans. Les Américains adoptent les enfants de Chine car il
est facile et rapide d’avoir un bébé. Surtout une
fille. Les garçons en bonne santé se font plus rares.
Les filles sont jugées de classe inférieure. Les
parents limités à un seul enfant, ne désirent
qu’un garçon. Assurant ainsi la postérité.
Lu est la deuxième fille d’affilée mise au monde
par sa mère. La première disparue rapidement après
sa naissance. Des gens avaient retrouvé Lu dans un congélateur
entrouvert. On dut lui amputer un pied. Tenter de le sauver aurait
été trop coûteux pour l’état. Et puis,
de toute façon, les filles sont des êtres fragiles,
elles meurent jeunes.
Lu, attachée à un long banc percé de trous,
suit toujours des yeux la dame au chapeau rouge. Par des sourires
invitants, elle tente d’attirer son attention, mais la future
mère n’a d’yeux que pour les bébés. Les autres
enfants attachés au même siège que Lu sont
plus vieux et s’amusent à le balancer. Lu suit le rythme.
Elle pousse de petits cris, peut-être la dame la remarquera-t-elle.
Lu ne parle pas, on ne lui a pas appris. Personne ne lui adresse
la parole. Lai Yee est seule pour s’occuper de son groupe. D’autres
tâches requièrent son attention. Les enfants sitôt
sortis du lit, sont nourris et attachés jusqu’à
l’heure du coucher. Pas de couches à changer, des pots
sont placés sous les petits derrières maigrichons.
Lu se tortille, le bois blesse son menu fessier. Un petit garçon
attiré par son manège, s’approche et frappe sa tête
contre la sienne. Lu y prête à peine attention. L’enfant
de près de trois ans est mentalement retardé. Laissé
à lui-même, il se frappe la tête partout, y
compris sur celle des autres. Comme leurs mains sont aussi liées,
les enfants cloués sur leur banc ne peuvent le repousser.
Lu a souvent reçu de ses coups de tête, la sienne
s’est donc endurcie. Parfois, la nuit sa tête élance,
mais elle ne pleure pas. A quoi bon. Les pleurs n’ont jamais rien
changé à sa situation.
La dame au chapeau rouge se retourne et Lu tente son plus beau
sourire, mais sa tête fait mal maintenant et des larmes
coulent sur ses joues. Incapable de les retenir, elle ne peut
non plus les essuyer. Les yeux de la dame ne l’ont qu’effleurée.
Dans ses bras, une fillette de deux semaines. Elle pleure. Elle
n’a pas encore appris que les pleurs sont inutiles.
La dame s’en va. Dans ses bras, le bébé tendrement
cajolé. Il pleure toujours. Peut-être après
tout que les pleurs servent quelquefois.
Dans la nuit, Lu éveillée par la douleur, repense
à la dame au chapeau rouge. Ses yeux semblaient si tendres.
Elle tenait le bébé tel une porcelaine précieuse.
Lu imagine très bien la douceur de sa caresse. Elle peut
sûrement chasser la douleur.
Au matin, le corps chétif de Lu est froid. En Chine c’est
bien connu, les filles sont fragiles. Elles meurent jeunes.
Elle surgit au sous-sol, comme venue de nulle part. Quelle direction
prendre s’interroge-t-elle. Le lambris tapissant la salle de séjour
attire son attention. Son aspect de bois naturel l’invite à
le caresser. Le divan moelleux lui tend ses bras musclés,
l’air de dire: «Vient vers moi, je t’attendais. »
Suspendues aux murs, des dizaines de rosettes de championnats
félins agitent leurs rubans colorés. La tête
lui tourne. Elle se sent si émoustillée. Seule.
Et libre surtout. Pour la première fois. Elle effleure
tous ces objets et se dirige au premier. Ils ne peuvent la contenter.
Tout voir, tout toucher voilà son désir. Personne
ne la surveille. Nul ne se préoccupe de la jeune fureteuse.
La maisonnée a sombré dans les bras de Morphée
depuis quelques heures déjà.
Le jaune des rideaux de la cuisine lui plait, il s'accorde avec
son humeur joyeuse. Quelques pas de danse esquissés sur
les tuiles du plancher, la mène au hall d’entrée.
Plusieurs portes tendent leur bouton vers elle. Le salon fait
bondir son coeur. Deux cloisons tendues de draperies. Des fauteuils
invitants et un tapis dans lequel il fait bon s’enfoncer. Sa joie
ne se contient plus. Elle gambade de-ci de-là, tel un poulain
dans un pré.
Le chahut risque d’éveiller les dormeurs. Calmant son allégresse,
elle se faufile dans la chambre du petit garçon. Inconscient
de sa présence, son rêve le promène dans un
jardin remplis d’animaux aux fourrures des plus soyeuses. Un sourire
heureux détend son visage potelé. Mais elle, ne
regarde même pas le bambin. Trop de choses sollicitent son
regard. Des étagères remplies de livres. Un régiment
d’oursons de peluche montant la garde. Une source de divertissement
illimitée Elle ne peut pourtant s’y attarder longtemps.
Dommage!
Pénétrant dans la chambre des maîtres, son
souffle en est coupé. Un duvet douillet recouvre le lit.
Des mètres de tissus vaporeux garnissent les larges fenêtres.
Des jupes de la même étoffe entourent le vaste lit.
Un terrain de jeux à sa mesure. S’élançant
d’un bond, elle part à l’assaut de ces ravissantes frivolités.
Au summum de l’extase, elle invite ses amies à la rejoindre.
Au détour de la rue, un passant aperçoit la maison
embrasée. Les flammes surgissent de partout. Aucun espoir
de sauver ses habitants.
Une toute petite étincelle, avait eu envie de folâtrer.
Lise Gleeton Arrelle
Janvier 1996
Depuis cinq minutes, Sybil le couve des yeux. A distance. Il la
fascine. De peur de succomber à ses charmes, elle n’ose
s’approcher. A sa vue, initialement, son corps fut parcourue de
frissons. Depuis, son désir s’est exacerbé. Ses
nuits sont hantées par sa silhouette. Des bras musclés
entre lesquels, elle voudrait se blottir. Sentir leur protection.
Un dos puissant ou s’appuyer dans un moment d’abandon. De dépit,
elle secoue la tête. Sa conscience lui interdit de s’attarder
plus longtemps. Un bouleversement qu’elle ne peut se permettre.
A sa contemplation, elle s’arrache d’un geste brusque. Faisant
volte-face, elle s’éloigne de la tentation. Elle doit sortir.
Respirer l’air pur. S’éclaircir les idées.
La vue brouillée, tellement son image est présente, elle
tourne en rond. La sortie semble jouer à cache-cache avec
elle. Dans sa confusion, elle heurte une colonne et lui demande
pardon. Son sac à main lui glisse des mains. A l’instant
où elle se penche pour le ramasser, elle aperçoit
enfin la porte tournante. Elle s’y précipite, fait un tour
complet et se retrouve à l’intérieur.
A son destin, on ne peut échapper, se persuade-t-elle.
Des yeux elle explore les environs. Des gens le dissimulent à
sa vue. Enfin, elle le découvre. L’objet de son désir.
De son délire.
S’approchant d’un homme en veston marine, elle lui déclare
: "J’achète ce fauteuil émeraude, j’en
suis folle."
Lise Gleeton Arrelle
Janvier 1996
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