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Michèle Gharios   sélection mars 2004

 

 


    
En hommage à tous les prisonniers de guerre

 

 




Ça y est, on va échanger des corps.
Je vais enfin pouvoir t’enterrer. Aller me recueillir sur ta tombe.

Le jour où tu es né, les femmes étaient venues me faire la fête, un gaillard comme toi, on peut en être fiers.
Tellement de promesses lorsque je te berçais.
Je me souviens…
Le jour où ta première dent a percé, ta grand-mère était venue cuire le blé dans la grande marmite en fonte, tous les voisins ont eu le droit de savourer la bouillie bénite, amoureusement préparée pour honorer ta première dent… mon chéri.
Tes premiers pas dans tes chaussures blanches neuves, ton petit corps titubant et ton père et moi
souriants, ravis. Ton père te prend dans ses bras et te promène dans le quartier sur ses épaules… tu
souris.
L’école, le premier jour, tes yeux interloqués entre « je pleure ou je pleure pas ? », mon petit signe de la main qui se veut apaisant… je verse une larme que tu ne verras pas, cette école, que sais-je ?
L’école de la vie, les copains, leur influence, ton père victime de la guerre, tu cries vengeance, tu ne
m’écoutes plus, pourquoi, mon chéri ?

Ce matin-là, un soleil blafard m’annonçait ta disparition. Personne ne sait où tu es, ce que tu es devenu.
On parle de prison, de marchandages.
Les années passent, douloureuses

Rien que des jours qui s’alignent, des jours identiques qui défilent sous mes yeux, à la queue leu leu, pas la force d’effeuiller ce calendrier, il me nargue.

Et puis, un jour on me contacte, on t’a retrouvé, on va t’échanger contre un autre… un autre corps…ton
corps, ce qu’il en reste, dans une boîte en métal qui résonne lorsque les gens des autorités me la déposent dans l’entrée, sous le porche.

Je peux me recueillir, tes rires, ta première dent, ton premier jour d’école, et moi, sur ta tombe qui pleure, qui ai désormais le droit de pleurer. 

 

Michèle Gharios

 

 

 

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Créé le 1 mars 2002

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