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Myjo Celhay    sélection janvier 2005


 Le Gingko

 

Dans les temps anciens, au Japon, quand les dieux marchaient encore sur la terre, vivait un très vieil empereur appelé  Gingko. Il était très avare et n’aimait rien tant que son immense fortune. Rien dans la vie ne l’intéressait : il n’entendait pas la musique, ne voyait pas les couleurs, son plus grand bonheur consistait à se prélasser sur son  or, faisant glisser entre ses vieux doigts de  brillantes cascades d’écus précieux.
Hors sa fortune, son occupation favorite était la pêche. Non loin du palais, pour ne pas s’éloigner de ses richesses, il aimait regarder le scintillement du soleil sur l’eau, paillettes d’or éphémères.
Parfois, il pêchait  de magnifiques carpes qui semblaient faites de l’or le plus pur, et qu’il dévorait avec délice.
Mais le très vieil empereur avait bien du souci : il aurait voulu être éternel, pour pouvoir profiter encore et toujours  de son immense fortune ou s’il fallait mourir, l’emporter avec lui. Ses sujets murmuraient même que s’il n’était pas encore mort malgré son grand âge, c’était parce qu’il n’avait pas encore trouvé comment emporter sa fortune avec lui dans l’au-delà.
Un matin d’été, le très vieil empereur pêcha une énorme carpe.
Elle brillait au soleil comme un joyau vivant quand il l’entendit supplier:
« De grâce, remets moi à l’eau. Je suis Izanagi, le dieu qui créa toutes les îles du Japon. Si tu me laisses la vie, je ferai pour toi ce que tu désires, demande ce que tu veux. » Le très vieil empereur vit là l’occasion d’obtenir ce qu’il souhaitait le plus au monde : l’immortalité avec ses richesses.
Il remit donc le poisson dans la rivière avec la promesse d’Izanagi de profiter de sa fortune à jamais.
Et la vie continua pour le très vieil empereur. Les années passant, accumulant toujours plus de richesses, il finit par ne plus quitter son lit d’écus. Peu à peu ses vieux doigts et ses vieux orteils, s’insinuèrent et s’incrustèrent dans le métal précieux, telles les racines d’un arbre dans la terre.
Izanagi a tenu sa promesse : au fil des ans le très vieil empereur avare se transforma en un très vieil arbre immortel. Tous les automnes ses écus d’or scintillèrent dans ses branches puis couvrirent le sol à ses pieds d’un  précieux tapis de feuilles. Il a gardé son allure majestueuse de monarque mais les siècles ont fait leur œuvre.
Dans l’ennui du temps presque immobile pour un arbre, il a fini par découvrir la couleur des oiseaux dans sa ramure, par être touché de la beauté de leurs chants  et par la douceur parfumée de la brise glissant sur ses feuilles en éventail.
Il a apprit à aimer perdre sa tête  dans le bleu du ciel, à goûter la fraîcheur de la pluie baignant ses racines et à sentir cette riche sève courir en lui.
Toutes choses qu’il n’avait pas su apprécier dans sa courte vie d’homme.
Il devint un très vieil arbre immortel, sage et aimé, dispensant ses bienfaits à tous.
Et plus tard, bien plus tard, quand la bombe explosa dans un moment de folie meurtrière, le gingko, le plus vieil arbre de la terre, fut le premier à repousser sur le sol stérile, promesse de vie nouvelle, riche d’espoir dans la sagesse de jours meilleurs.




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Créé le 1 mars 2002

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