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il se présente à vous.
A un certain moment on sait qu'on est au fond. Qu'on est au cœur du dur. De la résistance la plus archaïque. Celle qui nous tient à la gorge, au ventre. Une sorte de ciment. Lourd. On le sait parce que les gestes deviennent épais. Les mots se collent les uns aux autres sans vouloir signifier quoique ce soit. On est dans un ralenti plat, sans forme, sans espace. Comme à travers la vitre. Et la pluie sur la vitre. Et les gouttes qui s'écoulent comme des secondes liquides. Le temps qui fuit en eau trouble sur la vitre où coulent les gouttes de pluies. En face, le monde. Entre lui et nous, la vitre. La pluie. Rien des bruits du monde ne nous parvient. Il ne répond plus. Ou alors, à coté. Temps saturnien aux anneaux en forme de menottes. Cercles de silence et l'isolement. Bon appétit Saturne ! Comment vont tes enfants ? A force de manger du temps on a plus faim. Ca fait un poids sur l'estomac. Avaler chacune des heures que l'on a enfantées. Mastiquer son avenir, ou ce qu'il en reste. Féroce repas. Goya t'a vu sortir de la nuit espagnole. Depuis on sait ce qu'il se passe derrière la vitre, derrière la pluie. Derrière l'opaque et le lourd. On sait de quoi est fait le cœur du dur. J'ai déjà mangé les cendres de mon père, que pourrai-je prendre en dessert ? Elles collent encore au fond du palais. L’urne que je secoue au dessus de l’eau, et le vent qui rabat les cendres. J’en suis couvert. J’en ai partout. Sur le visage. Dans la bouche. Cendres de vie ou de mort, je n’en sais rien. Je crache, je m’essuie. La mort est fade. La vie est fade. Je crache ce qui reste de sa vie. Ses cendres fades. J’ai toujours le goût dans la bouche. Je crache. J’écris. C’est pareil. C’est violent. Absurde. On n’en fini jamais avec les cendres. Elles sont là, fades, au fond de la gorge. Une sorte de ciment. Lourd. Les mots se collent les uns aux autres sans vouloir signifier quoique ce soit. Le temps de Saturne et des repas froids, comme la mémoire défaite, commence. C'est le temps des constellations lointaines et froides aux anneaux de fer. On ne les connaît pas, leurs lumières meurent bien avant de nous parvenir. Il y a un coin du ciel où les lumières mortes s'échouent, c'est une vaste étendue noire où agonisent les restes épuisés des rayons scintillants. C'est un grand champ d'espace ou les aubes expirent, où les soleils imprudents s'éteignent. Même la nuit craint de voir s'élever le grand arc-en-ciel noir, l'arche de temps impossible, de voir s'élever les marches du pays de l'attente vide, avec le grand brasier noir de la suspension, des délais, des retards, des syncopes. On est d'un désir inavoué, inachevable, inadaptable, on est d'une excroissance, d'un vide, d'un rien, d'un vain, et nos bulles d'espérances nous pètent à la gueule. Alors on peut bien rester effaré, le nez appuyer contre la vitre, contre la pluie, avec des mots de ciments collés entres eux au fond du palais, collés au fond de la gorge, collés aux chairs de la bouche. Cendres. Je ne suis pas d'ici. Je ne suis que de passage. Que d'un passage qui s'éternise. Je ne suis d'aucune joie, d'aucun bonheur. Je ne suis d'aucun regard. Je ne suis qu'une perspective, qu'une ligne de fuite. Une illusion. Pire, une erreur. Les lendemains ont le goût des hier. Rien, n'invente rien. Je ne suis pas d'ici. Je suis de derrière la vitre, de derrière la pluie, de derrière ces gouttes qui fléchissent comme les larmes qui plissent les rebords des chagrins. Je suis du pays de Saturne et de la marche circulaire sur ses anneaux de fer. Et de ces grandes plages au sable d'absence, aux galets coupants de défaillance, avec ses vagues d'omission et d'oubli. Du pays de Carco avec ces soirs qui s'effilochent, avec ces aubes qui ne ressemblent à rien, avec ces sons d'accordéons essoufflés, avec surtout cette pluie fine qui n'en fini pas de tomber sur le regard, et sur la ville, sur le corps des filles de tristesse. Je suis du pays de Corbière, avec sa poésie en forme de croûte sur des blessures qui suintent. Il y a des bateaux qui partent, et puis il y a ceux qui reviennent. Je suis de ce retour. Voilure défaite, rêves déshabillés, rompus comme un mat. Déroute des retours. Avec lenteur. Et ce poids sur l'estomac de Saturne. Je me souviens, c'était bien au sud de Colomb-Béchar. Un pays de dunes. Un continent de dunes. Je me souviens je suis monté sur celle qui me paraissait la plus haute. Je me souviens de ce qui m'a percé à ce moment là. Une pensée d'une clarté invincible. Tout le raccourci de ma vie, tout une déroute à vivre. Là, devant cette étendue de sable. A un certain moment on sait qu'on est au fond. Qu'on est au cœur du dur. De la résistance la plus archaïque. Celle qui nous tient à la gorge, au ventre. Une sorte de ciment. Lourd. J'ai dix-neuf ans, et là je sais. Je sais toute la suite. Brusquement. Dans l'évidence du paysage sans fin. Comme si le doigt de dieu me désignait. M'assignait. A cet éternel retour. A des appétits de cendres. Et a cette attente vaine. Interminable. A la vitre. A la pluie. Et la nuit est tombée. Et j'ai eu froid. Et j'ai su ce qu'était le pays qui se trouve après la solitude. La back-room. Le carré VIP. Bienvenue chez les ombres ! Derrière la dune, une autre dune, un autre silence. Mon rêve de Petit Prince s'est arrêté ce jour-là. A cet instant de l'assignation. Pas de rose, ni de mouton, ni de renard, pas d'étoile en forme de grelots. Sans doute qu'écrire c'est revenir à cet instant de la dune du sud de Colomb-Béchar...avec des cendres plein la bouche. ******
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Créé le 1 mars 2002
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