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de Julie Portalis
, sélection décembre 2004 


de France, Provence. Elle se présente à vous.


 Blanche


Il y avait encore les miettes du petit-déjeuner sur la table. On a posé nos sacs contre les vestes qui pendaient au porte-manteau, on a ouvert les volets et les fenêtres, c'était le petit matin et on s'est accoudé au rebord de celle de la chambre pour regarder le soleil naître.
Ca sentait bon le pain chaud en bas de la rue, chez le boulanger qui dit au revoir longtemps, avec beaucoup de mots, mais on avait pas envie de descendre, et puis manger, on pouvait manger n'importe quoi, on avait trop faim pour faire attention. Il restait les miettes du petit déjeuner de samedi dernier, Thomas les a poussées pour poser en vrac des biscuits, du pain d'épice, un jus d'orange qui était pas au frais, des verres, une tablette de chocolat et puis des pains au chocolat achetés en supermarché qu'on a fait griller et mangé lui sur le bord de la fenêtre et moi sur le vieux clic-clac. Nos peaux sentaient la mer, j'avais encore des grains de sable collés entre les orteils, mais surtout la peau bizarre, peau mer, pas vraiment douce mais plutôt cassée,
matte, rêche, collante à cause du trajet en voiture, même vitres grandes ouvertes sur l'autoroute pour oxygéner tout ça. On était la mer et ça contrastait avec les toits qu'on voyait à plein nez, c'était rose, c'était joli dans la lumière du matin. On retrouvait notre trois pièces sous les toits et c'était bon, c'était mal rangé et ça sentait encore un peu le renfermé mais ça faisait du bien d'être là.
Thomas regardait dehors et moi je commençais à me déshabiller pour filer sous la douche, j'enlevais mes vêtements en marchant vers la salle de bain, je semais ma robe après avoir forcé sur la fermeture éclair et puis ma culotte de coton juste avant la porte et j'ai mis de l'eau à peine tiède, à la limite du froid pour me réveiller comme il faut. Il restait un vieux savon creusé et il sentait bon, et puis j'ai mis l'eau un peu chaude pour sentir ma peau brûler sous le jet. Thomas dormait sur le clic-clac quand je suis sortie, il avait de la lumière plein le visage, ça se délimitait au bord de son oreille gauche et de sa lèvre, c'était amusant à voir, on aurait dit que l'ombre et la lumière avaient été collés sauf que non c'était bien Thomas avec ses lèvres claires son
début de barbe et puis son nez fin, c'était bien Thomas et il était beau. J'ai été chercher des vêtements et je me suis habillée à côté de lui, en enfilant seulement une culotte propre et un débardeur, j'ai changé les draps du lit pour pas avoir l'odeur de la nuit dedans, je me suis déshabillée et j'ai dormi.

Le drap était à la hauteur de mon nombril, j'ai étouffé un rire et j'ai vu les mains de Thomas sur la lumière de mon ventre, il dessinait du bout des doigts des trucs qu'on pouvait pas voir et ça chatouillait, alors il a embrassé mon cou, je sentais sa peau, elle n'était plus mer mais odeur de savon et c'était doux. On a dormi jusqu'à midi, quand je me réveillais je le regardais et je touchais son début de barbe. On est sortis vers une heure en enjambant les sacs laissés dans l'entrée, on a été manger dans un bar à quelques rues et on a commandé quatre cafés parce qu'un pour chacun c'est jamais assez. Ca brûlait un peu au fond de la gorge et c'était fort, j'en ai voulu un troisième mais Thomas a dit que je dormirai jamais cette nuit, même s'il savait qu'on se coucherait pareil, au petit matin, pour le plaisir d'être décalés et de profiter du jour qui se lève sous nos yeux, mais j'ai rien dit, j'avais chaud alors j'ai été enlever mes sous-vêtements aux toilettes, mon jean avait de grandes poches alors je les ai glissés à l'intérieur. Les yeux de Thomas brillaient quand il a vu la pointe de mes seins au travers de mon tee-shirt alors on est vite rentré et mon sexe brûlait quand il s'est retiré.

Pendant plusieurs jours on a fait comme ça, on se couchait quand les gens terminaient leur nuit, on allait déjeuner dans un bistrot à côté, on rentrait ou alors on allait acheter des livres ou essayer des vêtements qu'on mettrait jamais, mais on rentrait toujours avant l'heure de goûter, parce que le goûter c'était nous.
Un soir on a marché plus longtemps, on tournait en rond et on avait de plus en plus envie mais ç'avait été plus fort et plus intense que les autres fois. La nuit on regardait les toits et les lumières, on lisait à voix haute. Une page chacun, et puis on changeait, j'aimais bien écouter Thomas parce qu'il a une voix grave et quand il lit, elle est encore plus douce, et on dirait qu'il chante parce qu'il rythme les phrases.

Un soir il a dit qu'il prendrait le train pour me laisser la voiture mais il aime pas le train il trouve ça trop facile et il aime beaucoup trop rouler les vitres ouvertes ou entendre une serviette coincée dans la vitre battre le vent sur la portière, alors le lendemain soir il a posé sa valise dans le coffre, j'ai vidé le chargement de mes bras à la place du mort et il est parti après m'avoir embrassée, s'être retourné, m'avoir embrassée et plein de fois comme ça, jusqu'à ce qu'on prenne un peu d'avance en baisers pour les prochains jours.

Je suis rentrée et j'ai essayé d'aller dormir, il était neuf heures du soir et on s'était levé à trois heures. Le lit était trop grand, alors j'ai été m'allonger sur le clic-clac puis j'ai été prendre une douche puis je me suis assise à la fenêtre les pieds pendants et il faisait déjà nuit, ça voulait dire que l'été était vraiment terminé.
J'ai attendu un coup de fil de Thomas et il a appelé tôt le matin, en laissant sonner longtemps, je dormais j'ai mis du temps à décrocher alors il a commencé par s'excuser de me réveiller. Je lui ai dit de passer mon bonjour à sa soeur et j'ai pensé juste après qu'elle savait plus qui j'étais, et que c'était bien pour ça que j'étais pas allée avec lui, parce qu'il fallait attendre que sa mémoire revienne. Alors j'ai annoncé que j'allais à la mer, ça m'a pris d'un coup, j'avais envie de revoir les plages aux falaises et de respirer fort et d'avoir une peau salée, Thomas n'a rien dit juste qu'alors il me retrouverait là-bas dans quatre jours, j'ai dit oui en souriant et on a changé de sujet.

J'ai pris un train dans la journée, c'était vide, les vacanciers étaient rentrés chez eux, j'ai dormi pendant tout le trajet et quand je me suis réveillée et on était plus très loin du terminus. Sur le quai je me suis trouvée bête avec ma valise qui tapait sur ma hanche et le soleil m'obligeait à plisser les yeux. J'ai marché jusqu'au centre-ville, jusqu'à l'hôtel face au minuscule port et j'ai demandé une chambre avec un grand lit, et il prenait toute la place alors ça m'a fait pleurer. Le matin j'allais prendre plusieurs cafés dans un bar qui faisait angle à une rue, je regardais le ciel et la mer par la baie vitrée, je restais longtemps là, assise à une petite table, je fumais parfois un peu rien que pour m'occuper et j'allais sur la plage quelques heures, je marchais les pieds dans l'eau en pensant à rien et j'allais dormir jusqu'au soir. Thomas m'a rejoint en milieu d'après-midi et c'était bon de retrouver enfin sa peau collée à la mienne et son souffle chaud dans mon cou. On a dormi en travers du lit et puis on est rentré.

Trois ans auparavant un brun à l'air malicieux me demandait si je pouvais lui offrir quelque chose à manger, qu'en échange il me montrerait une plage très jolie où personne n'allait. J'ai demandé deux croissants et il les a avalés tête contre table puis ses yeux m'ont remercié, et il a souri en voyant tous les sachets de sucre vides sur ma table. On est descendu avec la deux chevaux par un chemin minuscule et la mer reposait encerclée entre des falaises, comme un grand bassin. Il faisait frais, c'était le matin et le silence était inhabituel, presque troublant. On est rentré quelques heures après et Thomas m'a laissée devant la vitre du bar. J'ai demandé un café, il entrait quand on le posait devant moi, alors j'en ai commandé un second, et il n'est venu s'asseoir en face de moi que quand j'ai déplacé la tasse, puisqu'on l'avait posée à ma gauche, croyant qu'elle était pour moi.


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Créé le 1 mars 2002

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