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Chaque mois, comme à la grande époque du roman-feuilleton, nous vous présenterons un épisode d'un roman épistolaire:

Une Relation Épistolaire
par Archibald Michiels .


***

Une relation épistolaire  - Épisode III


D’Isabelle Parent à Pierre Desreux (Ep. XL)
 

Pierre,

Tu as raison. Je dois régler mes problèmes avec André moi-même, et te laisser hors du coup. Tu n’aimes pas la vie réelle, beaucoup trop lourde pour toi. On y fait autre chose que se renvoyer des ballons multicolores, et tu n’aimes faire que cela.
 
Je ne vois pas la raison de te vouvoyer. Je t’imagine bien petit aujourd’hui, et je suis comme une adulte qui parle à un gosse. Petit, va jouer, mais pas encore dans la cour des grands.

Je ne suis pas sûre d’avoir du temps à te consacrer. Tu vois, les adultes ont une vie chargée, ils ont leurs soucis dont ils protègent les enfants, mais les enfants doivent apprendre à les laisser en paix.


 

Laisse moi souffler, Pierre.

 

                                                           Isabelle



De Pierre Desreux à Isabelle Parent (Ep. XLI)
 

Isabelle,

 

Les adultes aiment à se détendre ; j’en sais qui ne connaissent pas meilleure détente qu’une heure de ballon dans la cour de l’école…

Mais je ne suis pas le petit enfant que tu crois. J’ai parcouru les routes, Isabelle, et c’est ce que j’ai vu, et revu, qui m’a conduit au renoncement. Maintenant j’aime les mots, j’en conviens, je veux bien que tu dises que je n’aime que les mots, et que pesé sur tes balances j’ai été trouvé trop léger. Mais ne pense pas que je ne sache rien et que je n’imagine rien. Ce n’est pas parce que je ne pose pas de questions que je suis indifférent – j’ai promis de ne pas poser de questions, tu t’en souviens ?

Je te laisse souffler, Isabelle. Dis-moi seulement que ce courrier tu le gardes pour toi.

 

                                                                       Pierre



D’Isabelle Parent à Pierre Desreux (Ep. XLII)
 

Pierre,

Oui, je le garde pour moi. Oui, j’ai abandonné ce jeu cruel, et je t’avouerai que je regrette de m’y être livrée. André va mal, très mal, pour autant que je puisse en juger, car il ne dit plus grand-chose. Mais c’est ce mutisme même qui m’inquiète le plus : il ne cherche plus à me prendre en tort, il est indifférent à la façon dont j’emploie mon temps. L’ère du soupçon a fait place à l’ère de l’indifférence. Nous nous retrouvons encore en faisant l’amour, mais désormais il y est plus que moi. Dis-moi que ça ne te fait pas plaisir d’entendre cela, du moins dis-le-moi si c’est vrai, ça me ferait du bien.

Il a des problèmes au travail également. Je le sais par des collègues à lui, plus mal que bien intentionnés, mais l’information est sûre, suffisamment recoupée : il ne parvient plus à se concentrer, à se donner à fond. Il a demandé à occuper momentanément un poste de moindre responsabilité, ce qui l’honore mais au même moment l’enfonce : pas de cadeau dans ce monde-là, il y en a pas mal qui n’attendent que cela, que tu trébuches.

Ton courrier je le garde pour moi, tu le sais, et cette lettre-ci il ne la voit pas ; je te l’ai dit, il ne me harasse plus, et c’est encore plus dur – je le perds, tout simplement. Je suis en train de perdre l’homme que j’aime.

Ce n’est pas une lettre légère, je ne me sens plus capable de cela. Si ça ne te plaît pas, ne réponds pas – c’est simple et efficace pour mettre fin à une correspondance (de ma part, du moins).

 

                                                           Isabelle 



De Pierre Desreux à Isabelle Parent (Ep. XLIII)
 

Isabelle,

Ce n’est pas moi qui mettrai fin à notre correspondance, tu le sais très bien. Et j’espère que ce ne sera pas toi non plus.

Tu me parles d’André, enfin. André qu’on peut enfin aider, toi et moi. Moi en tentant de te relaxer, de te rendre plus disponible à lui. Toi en comprenant qu’il t’aime comme il peut t’aimer – de toutes ses forces, rassemblées de toutes parts en un faisceau unique. Cela, je le sens – ne me demande pas de preuves de ce que je sais sans preuve.

J’aime la légèreté, c’est vrai. Mais je ne la confonds pas avec la frivolité. Et je ne te demande pas de déposer ton fardeau pour m’écrire. Ce que je veux, c’est partager ce que tu me permets de partager. Je peux porter plus lourd que tu ne le penses. Essaie-moi.

Je t’embrasse. Je pense à André. Je voudrais que tu nous aimes tous les deux. L’amour aussi a tant de pièces ; il peut habiter ces lettres que nous échangeons, et traverser avec elles la campagne de l’été, habillé de toile légère.



D’Isabelle Parent à Pierre Desreux (Ep. XLIV)
 

Pierre,

J’aimerais que tout ce que tu écris soit vrai. Je dis cela sans ironie aucune.

Tout me pèse, et j’ai bien du mal à me figurer un monde léger. L’été est dehors, je regarde la lumière et elle m’est de plus en plus étrangère. J’ai peur de commencer à me fermer, de m’engager sur la voie du renoncement – pas celui qu’on recherche, celui qu’on accepte pour ne pas dire qu’on le subit.

Je sais qu’André m’aime. J’apprends seulement tout ce que l’amour comporte de lourd et d’obscur.

Je pourrais apprendre – ou j’aurais pu apprendre – le détachement systématique, voulu, parcelle par parcelle. Me rendre à moi-même, parcelle après parcelle. Peut-être aller vers toi, quelqu’un comme toi, quelqu’un qui est revenu. Sympathie mesurée, je veux bien que tu l’appelles amour, le mot ne me plaît plus tant que cela, je crois que je pourrais faire sans.

Parle-moi de ton détachement, Pierre. Apprends-moi les étapes, les méthodes. Dis-moi comment on sait qu’on est sur la voie. Je ne le confonds pas avec la frivolité, ni avec l’indifférence. Mais je ne traînerai pas très loin tout ce poids dont j’ai perdu le sens.

Il y a dans tout ceci comme un appel à l’aide, l’entends-tu ?

Je t’embrasse.

                                                           Isabelle 



De Pierre Desreux à Isabelle Parent (Ep. XLV)
 

Isabelle,

Le détachement est la pire des choses. Il est temps que je cesse de me cacher, de cacher ma misère, ma solitude. Je suis seul, Isabelle. Je m’invente une vie, je ne la vis pas. Je t’imagine, je ne te connais pas. Le détachement, c’est préférer t’imaginer que te connaître. C’est la pire des choses aussi quand ça te concerne, Isabelle. Ne deviens pas comme moi. Ne prends pas cette voie qui mène où j’en suis, à me nourrir de ces lettres, à prétendre que vivre ainsi c’est vivre aussi.

J’entends ton appel, et je ne veux pas me dérober. Mais ai-je jamais fait autre chose ? Il faut que j’apprenne, Isabelle.

Je ne peux pas porter ton fardeau ; je ne peux pas non plus te dire de le jeter sur le chemin et de courir légère. Tu te retournerais un jour, et tu serais seule.

Il faut retrouver ce sens que tu dis perdu. C’est avec André que tu peux le faire. Lui te prend dans ses bras, lui parle contre ta joue, lui caresse tes cheveux. Moi je ne suis qu’un mince filet de mots, une illusion, une image que ta main traverserait, Isabelle.

Je comprends qu’en fin de compte je ne t’apporte rien. Moins que rien : la désillusion de me révéler pur discours, léger seulement parce que sans épaisseur.

Il est permis de ne pas répondre à cette lettre, Isabelle. Rien à redire à cela.

Je t’embrasse. Je t’aime – tu sais tout ce que ça ne veut pas dire. 

                                               Pierre



D’Isabelle Parent à Pierre Desreux (Ep. XLVI)
 

Pierre,

Tu ne peux pas te dérober. Tu existes, tu n’as pas le choix. C’est aussi pour t’aider, mon appel à l’aide. Tu peux retrouver une place. Tu n’es pas condamné à n’être que des mots. Personne ne l’est.
 
Il y a quelques jours, j’ai cru qu’André refaisait surface. Je ne t’en ai rien dit, pour conjurer le sort, tant je sentais que l’espoir était fragile. Il m’a serré très fort dans ses bras, longuement, sans rien dire. Je l’ai serré aussi, le plus fort que je pouvais. J’ai cru voir quelque chose revenir dans son regard ; quelque chose d’éteint, à présent, de tout à fait éteint.

 Il s’est remis à me questionner sur notre correspondance. Pas sur les lettres que nous échangeons maintenant, et qui ne semblent pas du tout l’intéresser, mais sur ce jeu stupide que nous avons joué, et sur un épisode en particulier.

Je n’ai pas envie de t’en parler, c’est trop lamentable. Dis-moi seulement que tu sens ce poids que j’ai tout le temps sur moi, et qui m’écrase. Je ne te demande pas de le porter, juste de te rendre compte que les mots, parfois, veulent dire quelque chose, qu’il y a de la souffrance dessous, que tout ce que je te dis c’est pour qu’en le sachant tu en prennes ta part – si tu ne comprends pas cela, peux-tu seulement dire que tu comprends le sens des mots – tout simplement, le sens des mots ?

 Tu es autre chose que du papier, tout de même ; autre chose que de l’encre, autre chose que des signes ?

                                               Isabelle



De Pierre Desreux à Isabelle Parent (Ep. XLVII)
 

Isabelle,

Si tu veux que je t’aide, que j’aide André, il faut m’en dire plus. Cet épisode de notre correspondance auquel il revient, c’est celui de l’Homme des Bois, n’est-ce pas ? Il te fait jouer le rôle que tu t’assignais toi-même, n’est-ce pas ? C’est cela qui est trop lamentable ?

Peut-être faut-il le considérer comme une sorte de thérapie, ce jeu – le dédramatiser, en faire un vrai jeu. Lui faire sentir que c’était bien lui que tu attendais, que c’est lui que tu voulais, que tu veux. Accepter de passer par tout ça pour le ramener à la surface. Est-ce possible ? Peux-tu prendre ça sur toi ?

Oui, je connais le sens des mots. Je suis avec toi. Je prends ma part.

Je t’embrasse.

                                                           Pierre




D’Isabelle Parent à Pierre Desreux (Ep. XLVIII)
 

Pierre,

Tu n’es pas ici et tu ne peux comprendre ce que je subis. André est ailleurs, je crois que je l’ai perdu. Il joue un rôle, il ne peut s’en empêcher. Il veut m’humilier, me faire ramper. De temps en temps il réalise (mais pour de brefs moments seulement) ce qu’il est en train de faire ; il se met alors à pleurer, dit qu’il se méprise, demande pardon. J’essaie de partir de ces moments pour le ramener à lui, mais il voit là-dessous de nouvelles machinations de ma part pour le tromper, et il exige que je reprenne les rôles qu’il imagine que j’ai joués pour d’autres, pour toi et d’autres. Il devient de plus en plus inventif, et pousse le jeu chaque fois un peu plus loin. Je ne sais plus comment j’accepte cela, je ne me comprends plus, je deviens sa chose, son objet, sa construction. La construction de quelqu’un qui a perdu pied. Je m’enfonce avec lui. Il le sent, et c’est surtout ça qui le fait pleurer et se mépriser dans ses moments de lucidité. Il ne va plus travailler, il a obtenu un certificat médical (dépression). Il ne se soigne pas. Il dit qu’il ne veut pas devenir un autre, même quand il se dégoûte.

On en est là. On approche d’une fin, mais je ne sais pas laquelle. Je ne tiendrai plus longtemps comme ça. Je sais que je répète ça, mais qu’est-ce que je peux faire d’autre ? Tout lâcher tout de suite ?

Je vais mal, très mal.
 

                                               Isabelle



De Pierre Desreux à Isabelle Parent (Ep. XLIX)
 

Isabelle,

Il ne faut pas continuer comme cela. André est malade, c’est un malade mental. Il faut l’admettre et agir en conséquence. Je ne sais quel médecin il a consulté (je veux dire celui qui lui a fait son certificat médical stipulant une dépression), mais c’est insuffisant. C’est toi-même que tu dois protéger tout autant que lui. Tu dois faire appel à l’aide de professionnels. Décrire ce que tu subis, demander à ce qu’il soit écarté.

Il faut en passer par là, Isabelle. Ne t’imagine pas que tu puisses toi-même mener sa thérapie. Je me trompais lourdement quand je te l’ai suggéré, je n’avais pas bien perçu combien André est malade. Et dangereux. Comme tu le dis, il a décroché et vit dans un univers à lui dont il ne désire même pas s’échapper.

Ne le laisse pas t’entraîner dans sa chute. Entre les mains de professionnels, il pourra sans doute guérir. Tu n’auras plus de raisons d’avoir peur et seulement alors vous pourrez rebâtir quelque chose ensemble, si vous le désirez toujours tous les deux.

Agis vite, Isabelle. Et tiens-moi au courant.

Je suis avec toi.

                                               Pierre




D’Isabelle Parent à Pierre Desreux (Ep. L)
 

Non, Pierre, tu n’es pas avec moi. Si tout ce que tu veux, c’est d’être tenu au courant, comme tu dis, tu n’es pas avec moi.

Je penserai à toi quand j’en serai à fuir mes responsabilités. Faire interner André (parce que c’est bien de cela qu’il s’agit, n’est-ce pas ?), je le ressentirais comme l’échec absolu. C’est la dernière chose à faire, et je ne la ferai qu’en dernier. En dernier, après toutes les autres choses, Pierre, celles que tu n’imagines pas car tu ne sais pas ce que c’est qu’aimer, ou même avoir aimé.

Je regrette d’être dure avec toi, mais je serais encore plus dure si je te disais que le pire c’est que je crois que ça ne sert à rien d’être dure avec toi.

                                                                       I.



D’Isabelle Parent à Pierre Desreux (Ep. LI)
 

Pierre,

Excuse-moi. Ne tiens pas compte de ma dernière lettre. Je n’ai aucun droit de te demander d’agir comme si on se connaissait intimement, comme si on était de grands amis.

Je suis sûre que tu es de bon conseil, mais je ne peux pas te suivre. Je ne peux pas faire comme si je ne connaissais André qu’en passant, comme s’il n’était qu’un problème dont je veux me débarrasser au plus vite. 

Il semblait un peu mieux aujourd’hui. Il s’est intéressé brièvement à ce qui se passe dans le monde, et m’a demandé comment tu allais. J’ai dit que tu allais bien, ce qui est vrai, n’est-ce pas ?

Je t’écrirai s’il y a du changement. Je te tiendrai au courant.

 Amitiés,
                                   I.




De Pierre Desreux à Isabelle Parent (Ep. LII)
 

Isabelle,

Ta deuxième lettre m’a fait plus mal que la première, car elle ne faisait que la confirmer. Oui, je le sais, je ne vis ni avec toi ni chez toi, et je ne me rends pas compte de ce que tu souffres, et tu sais mieux que moi ce qu’il faut faire pour André.

J’admets tout cela. Mais j’aimerais quand même t’aider, et je serais extrêmement peiné de te devenir indifférent. Je n’aime pas la finale de ta lettre, cet ‘Amitiés’ si convenu et si distant.

Ne m’écris pas seulement s’il y a du changement, écris-moi de toute façon. Je veux savoir comment tu tiens le coup, et j’aimerais que tu repenses à ma suggestion pour André, qui n’a rien d’inhumain, et qui est aussi la meilleure pour lui.

Je t’embrasse.

 
                                                           Pierre.



D’Isabelle Parent à Pierre Desreux (Ep. LIII)
 

Pierre,

Cela va de plus en mal. J’aimerais te voir, ne fût-ce que pour savoir que tu existes vraiment, et que tu es vraiment prêt à m’aider.

Je ne peux pas tout expliquer par courrier. En fait, je ne peux rien expliquer dans une lettre. Je pense que quand tu auras croisé mon regard nous nous serons dit mille fois plus que dans toutes nos lettres, dont certaines connaissent une suite si funeste.

Je sais où tu habites, je sais où vont mes lettres. Permets seulement que pour une fois je les suive.

Je t’embrasse.

                                               Isabelle



De Pierre Desreux à Isabelle Parent (Ep. LIV)
 

Isabelle,

Tu serais trop déçue. Je ne peux pas affronter cette épreuve.

Tu connais, tu as toujours connu, les termes du contrat. Notre relation est purement épistolaire, c’est ce qui nous donne toute liberté, ce qui confie tout pouvoir à nos imaginations, ce qui nous protège.

Pense bien que je ne suis pas mieux que ma parole. Bien au contraire. Il ne te servirait à rien de me voir. Tout ce que j’ai à offrir est dans mes mots. Tout ce que j’ai à offrir, c’est mes mots.

                                   Pierre



D’Isabelle Parent à Pierre Desreux (Ep. LV)
 

Pierre,

Ce n’est pas possible. Tu ne peux pas me refuser. Si tu le fais, c’est parce que tu ne sais pas. C’est parce que tu ne sais pas, n’est-ce pas ? Dis-moi que c’est parce que tu ne sais pas.

I.



D’Isabelle Parent à Pierre Desreux (Ep. LVI)
 

Pierre,

Je n’en peux plus. Je DOIS te voir. Tu es le seul qui saches (peut-être !) ce que j’endure. Je n’ai pas envie de me déballer devant quelqu’un qui ne sait rien, qui voudra tout savoir, me plaindre, tout arranger à sa façon.

Je serai chez toi demain matin, à 8h – 16, Avenue Blaise Pascal, je connais l’adresse.

De grâce,

à demain,

 Isabelle

 

*( À suivre, rendez-vous dans notre édition de janvier pour l'Épisode IV )


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Créé le 1 mars 2002

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