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Chaque mois, comme à la grande époque du roman-feuilleton, nous vous présenterons un épisode d'un roman épistolaire:

Une Relation Épistolaire
par Archibald Michiels .


***

Une relation épistolaire  - Épisode IV

De Pierre Desreux à Pierre Desreux (Ep. LVII)

 

Pauvre imbécile,

J’espère que cette lettre te fera mal.

Tu auras appris (mais comprends mon plaisir à te le répéter) qu’Isabelle (Isabelle Parent, ça te dit quelque chose ?) a été assassinée de neuf coups de couteau, dont six mortels (pas mal, hein ?).

Tu aurais pu éviter cela. Ce n’était pas si difficile. Si tu n’avais pas insisté sur ‘les termes du contrat, qui, tu le sais, prévoient une relation strictement épistolaire, etc. etc.’, Isabelle serait venue chez toi ce matin-là, à huit heures, à ton domicile, 16, Avenue Blaise Pascal, où tu l’aurais attendue, prise dans tes bras, etc. , etc. (ça, ça fait mal, hein ?).

Pauvre imbécile, prends toutes ses lettres, toutes les tiennes, découpe-les en morceaux, et envoie le tout à Dieu le Père, à voir s’il sait, lui, recoller les morceaux.

Je signe de ton propre nom, pauvre imbécile,

 

                                               Pierre

 

De Pierre Desreux à Pierre Desreux (Ep. LVIII)

 

Monsieur,

Je crois que vous ignorez une chose, et c’est la valeur d’un contrat, son caractère absolu et sacré. Isabelle et moi étions convenus d’entretenir une relation épistolaire, strictement épistolaire, comme j’ai eu l’occasion de le lui rappeler.

Il va sans dire que je déplore sa mort, et plus encore, les circonstances de cette mort, vraiment affreuses. Je crois que l’assassin, un pauvre diable, est à présent dans un asile psychiatrique, où il bénéficie des soins que j’avais tenté de persuader Melle Isabelle Parent de lui faire prodiguer.

Je crois que j’ai apporté à Melle Parent toute l’aide que je pouvais, dans les termes du contrat qui nous liait. Je regrette ce qui s’est passé, autant que vous je le crois, mais je ne puis assumer une responsabilité qui m’est intrinsèquement étrangère.

Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de ma considération.

 

                                                           Pierre Desreux

P.S. Si cette correspondance devait se poursuivre (ce que je n’estime pas nécessaire), je vous saurais gré de faire preuve de la plus élémentaire des politesses.


De Pierre Desreux à Pierre Desreux (Ep. LIX)

Pauvre imbécile,

Ta défense est pathétique (elle ne mérite même pas ce nom). Tu me mets dans l’obligation de te rappeler d’autres événements. Tu l’auras voulu.

Tu insistes sur les termes d’un contrat, contrat que tu as fixé unilatéralement, tu ferais bien de t’en souvenir. Mais tu as été le premier à le rompre. Tu as cherché à voir Isabelle, tu l’as épiée dans un supermarché, et quand tu t’es rendu compte que c’était une femme comme une autre (comment voulais-tu qu’elle soit, pauvre imbécile ? vêtue de fleurs des champs, couronnée d’étoiles ?), tu as décidé de ne jamais accepter de la voir, et tu t’es refroidi (relis ta correspondance, tu trouveras ce moment où tu passes au zéro absolu, où tu te refermes dans tes lettres, tes signes, tes mots).

Elle t’avait percé, mais la confiance qu’elle avait dans le genre humain (c’est bête, hein, cette confiance ?) ne lui a pas permis de comprendre qu’en fin de compte tu préférerais la voir morte que vivante, mais sur ton seuil.

Je te souhaite des nuits d’insomnie, rien que des nuits d’insomnie, pauvre imbécile.


De Pierre Desreux à Pierre Desreux (Ep. LX)

Pauvre con,

Tu ne réponds pas, hein ? Tu verras ce regard que tu n’as pas vu, par-delà le sang et les coups, ce regard qui te condamne. Pour défaut d’humanité.

Je ferai en sorte que tu saches ce que cela veut dire.

P.S. N’essaie pas de récupérer ta dernière lettre à Isabelle, celle où tu la pries de ne pas débarquer chez toi, et l’informes pour plus de sûreté que de toute façon tu n’y seras pas. Cette lettre est en de bonnes mains.


D’André Talbot à Pierre Desreux (Ep. LXI)

Monsieur,

Nous nous connaissons, mais malheureusement pas de la manière que nous aurions choisie.

Je suis l’assassin d’Isabelle ; comme ça, brutalement, les choses sont claires.

Je ne suis pas que ça. Je suis aussi André Talbot, actuellement détenu au Centre de etc. etc. c’est-à-dire en prison. J’ai pris quelques années d’incompressible, donc ne craignez pas de me voir débarquer chez vous à l’improviste, je sais que vous n’aimez pas cela.

Je commence très mal, excusez-moi. Je commence à peine à me récupérer. Il est absolument capital pour moi que je comprenne qui j’ai été, ce que j’ai fait ; me reconstruire en dehors de cette connaissance est un effort inutile ; ça ne tiendrait pas.

Je ne peux pas présumer que vous accepterez cette correspondance que je vous propose, nonobstant votre goût appuyé pour les relations épistolaires. Voilà que je recommence, merde.

Dites-moi que vous acceptez d’échanger quelques lettres avec moi – j’en ai besoin, cela vous le comprendrez. Je ne vous demanderai pas de m’apprendre des choses sur vous. Seule Isabelle m’importe, elle seule me conduira à moi-même.

C’est ce qu’elle voulait faire, vous le savez. J’ai honte de faire appel à ce qu’elle désirait. Cela aussi vous le comprendrez, et vous ne me demanderez pas de m’étendre.

Je connais votre adresse par cœur, j’en connais toutes les lettres, une à une. Vous trouverez la mienne au dos de cette enveloppe.

Je n’ose pas faire ce que je voudrais, vous remercier de bien vouloir me répondre.

 

                                                           André (Talbot).

P.S. Mon courrier est lu par une équipe de psychiatres, et par je ne sais qui d’autre encore. Je m’en moque, pour autant qu’ils laissent partir le courrier tel quel. Attendez-vous à être lu par une horde de fans. J’espère que vous pouvez supporter cela.


De Pierre Desreux à André Talbot (Ep. LXII)

 

André,

Je ne nierai pas ma part de culpabilité dans la mort d’Isabelle. Et surtout pas auprès de vous. La moindre des choses que je puisse faire est de me tenir à votre disposition. C’est ce qu’Isabelle aurait voulu.

Mais cette correspondance sera celle de la sincérité absolue. Je ne peux plus me servir des mots pour me créer un univers à ma mesure, et vous ne le pouvez pas plus que moi. Je répondrai à vos questions, simplement et pleinement. Je ne me construirai pas un rôle. J’ai poussé Isabelle à un jeu absurde et délétère. Quand j’en ai mesuré le danger, il était trop tard, le mécanisme était enclenché.

Ne pensez pas que je vous juge. Je ne me permets de juger personne hormis moi-même. Le temps est venu pour moi d’aider les autres, et par là de tenter de m’accepter – enfin.

Je vous assure de ma sympathie et je me permets de signer

 

                                                                                              Pierre


D’André Talbot à Pierre Desreux (Ep. LXIII)

 

Pierre,

Votre lettre m’a fait du bien.

Je n’ai pas de questions pour vous aujourd’hui, il faut d’abord que je vous raconte. Comment je me nourrissais de vos lettres, comment je ne pouvais que refaire avec moi-même, avec d’autres (des prostituées, surtout), tout ce que ces lettres stipulaient, tout ce qu’elles invitaient à faire, sans me soucier le moins du monde des conséquences, pour moi et pour les autres.

Je ne me contentais pas de lire vos courriers, je les recopiais, surtout les lettres d’Isabelle, que je recopiais plusieurs fois, et sur lesquelles je me livrais à toutes sortes de pratiques qui me faisaient mesurer, dans mes rares moments de vraie lucidité, toute l’étendue de ma démence.

Une surtout me rendait fou : celle où elle parle de sa petite culotte laissée sous l’oreiller de l’amant. Cette lettre, je l’ai roidie de mon sperme, je l’ai sucée, je l’ai mâchée.

Il faut maintenant que je compose avec tout cela. Je ne peux pas dire : un autre a fait cela. Il faut que j’accepte que c’était moi, que c’est moi, et que peut-être, sous les apparences, je ne suis toujours pas un autre.

Dites-moi que vous comprenez mes recherches, aidez-moi à tout déballer. Il faudra que je vous dise un jour comment je l’ai tuée. Il faudra que vous m’accompagniez jusque là. Si vous ne le pouvez, je préférerais qu’on arrête tout de suite. Mais de grâce, faites tout ce que vous pourrez pour rester avec moi.

J’attends votre réponse, votre acceptation.

 

                                                                       André.


De Pierre Desreux à André Talbot (Ep. LXIV)

 

André,

Je ne peux me dérober. Je sais que j’ai déjà dit cela, et sans le penser vraiment, et en prouvant derechef le contraire. Mais je le redis ; cette fois, je tiendrai promesse, je tiendrai bon.

Je regrette infiniment le tort que je vous ai fait, à vous, André, et à Isabelle, en croyant à l’innocence ultime des mots. Ils ont mis en marche un processus infernal, qui a écrasé Isabelle, et qui vous menace encore. Mais vous allez vaincre, André, vous allez vous retrouver, entier et sain.

Je ne vous pose pas de question, je n’attends de votre part aucune confession. Je vous exhorte seulement à ne pas penser uniquement à ces derniers moments avec Isabelle, mais à toute votre vie commune, tout ce que vous avez vécu ensemble, tout ce que vous avez pu lui apporter. Elle m’écrivait, vous le savez, combien cette relation physique avec vous la satisfaisait, la rendait heureuse. Pensez à cela aussi, cela aussi a été.

J’accepte tout, je suis à vous, c’est la moindre des choses que je puisse faire pour vous, et pour Isabelle.

 

                                                           Pierre


D’André Talbot à Pierre Desreux (Ep. LXV)

 

Pierre,

Merci. Merci de tout accepter, merci d’accepter ma relation de ce qui ne devrait pas avoir été, de ce qui n’était pas permis, par aucun dieu, par aucun homme.

J’ai été l’Homme des Bois. J’ai exigé d’Isabelle de se plier exactement à ce rôle qu’elle s’était dessiné (sans votre concours, vous n’aviez que suggéré le nom, le reste elle l’a inventé, elle, poussée par moi, par ces excroissances obscures qui poussent sur moi, que je nourris, qui m’étouffent). Puis j’ai ‘amélioré’ le rôle, je n’ose pas vous dire comment ni combien. J’ai poursuivi l’avilissement, le sien et le mien, le mien par le sien, le sien par le mien. On s’est enfoncé, de concert, en se regardant, moi méprisant mon image dans ses yeux, elle se méprisant dans le mien, dans mon regard, et la pitié comme une pluie, on n’y voyait plus rien. Je n’y vois plus rien.
 

Je ne peux vous parler d’autres moments, et je ne peux vous parler encore de ceux-là. En avant pour ma séance, à 14h30. On n’arrête pas le progrès.

 

                                                           André.


De Pierre Desreux à André Talbot (Ep. LXVI)

André,

Ne soyez pas amer. Vous progressez, vous êtes aidé dans votre progrès par des personnes compétentes, et c’est très bien ainsi.

Je vous demandais de me parler de vos moments d’harmonie avec Isabelle, harmonie physique et, par-delà, harmonie totale. Cela aussi vous définit, André. Cela aussi est enfoui, et est à récupérer.

Je veux bien que vous me parliez de votre souffrance, que vous vous concentriez là-dessus. J’accepte cela, j’accepte tout de vous. Mais voyez au-delà, je vous en conjure. La vie n’est pas un monolithe de souffrance. Isabelle vous aimait, vous aimerait si elle vous connaissait comme vous êtes maintenant. N’oubliez pas cela.

Écrivez-moi, le plus sereinement que vous pouvez.

Je suis avec vous.

 

                                               Pierre


D’André Talbot à Pierre Desreux (Ep. LXVII)

Pierre,

Vous ne voyez pas que ça ne sert à rien de vouloir franchir, de vouloir faire retour. Tout est toujours là. Elle est là, elle me regarde, je vais la tuer, je dois la tuer.

Je la tue, ça s’apaise un peu. Puis ça reprend, ça court sur ma peau, puis ça pénètre. Par là où j’ai fait mal. Où je lui ai fait mal, où je me suis fait mal. C’est ça, mes journées.

Pierre, vous êtes du bon côté. Je ne vous demande pas de franchir, mais je ne peux pas franchir non plus. C’est ça que vous ne comprenez pas, qu’ils ne comprennent pas. Séance à 10h.

Je vous écrirai encore, si vous le voulez bien.

 

                                                                       André.


D’André Talbot à Pierre Desreux (Ep. LXVIII)

 

Pierre,

Je vous écris, sans attendre de réponse. Que pouvez-vous me répondre ? Vous pourriez faire étalage de votre lâcheté, à quoi cela me servirait-il ?

Si je peux apaiser votre conscience (j’espère seulement pour vous que cela ne l’apaise pas, que vous n’êtes pas tombé si bas que vous pouvez laisser votre conscience vous envoyer des messages apaisants, de petits sourires entendus, des signes de politesse, d’appartenance au clan – le clan des sains d’esprit, ceux qui tirent leur épingle du jeu au lieu de se l’enfoncer dans la pupille), si ça peut apaiser votre conscience, sachez qu’Isabelle n’aurait pas pu venir chez vous ce fameux matin. Je savais ce qu’elle vous avait écrit car je savais ce qu’elle écrirait. Elle était ligotée, et sous sédatif, comme je devrais l’être.

Je vous hais. J’interprète ça comme un signe que je vais mieux, beaucoup mieux.

Monsieur André Talbot, en détention, pour vous servir.


De Pierre Desreux à André Talbot (Ep. LXIX)

André,

Il faut passer au-delà de cette haine, elle vous salit. Ma conscience ne s’apaise pas si facilement, je sais que je n’ai pas fait ce que j’aurais pu, ni ce que j’aurais dû. Mais vous, pour guérir, vous devez cesser d’haïr, vous remettre à aimer.

Moi, je ne suis rien, seulement partie de votre malheur, quelque chose à dépasser. Il faut passer outre. André, vous valez mieux que cette haine de moi qui est avant tout haine de vous projetée sur moi.

Parlez de nos courriers aux personnes qui vous entourent et vous soignent. Fiez-vous à eux, entièrement. Ecrivez-moi sur leur conseil, demandez à ce qu’ils vous aident à formuler ce qu’il y a de bon en vous, et qui est enfoui, pas perdu à jamais.

Je pense à vous, et je souffre avec vous.

 

                                                                       Pierre.


D’André Talbot à Pierre Desreux (Ep. LXX)

 

Pauvre petit Pierre,

Tu penses à moi, et tu souffres ! Tu pouvais y penser un peu plus tôt, non ? Tu veux rejoindre Isabelle, pour que vous puissiez continuer vos petits jeux ? Je peux t’y expédier en moins de deux, j’ai la technique.

Tu es pathétique, mon petit Pierre.

 

{cette lettre ne fut pas envoyée}


D’André Talbot à Pierre Desreux (Ep. LXXI)

 

Vous êtes des démons, et je vous ai suivis.

Je voyais comme elle voulait, sous ta dictée, que je prenne le rôle exact. Elle attendait que je le prenne exactement, le sexe béant, les seins dans ses mains qu’elle imaginait les tiennes. Elle attendait là, soi-disant soumise, que je lui dise de faire exactement ce que le rôle prévoyait exactement, je devenais l’exact Homme des Bois, elle se couchait exactement comme le rôle disait exactement qu’elle se couche. Je souffrais l’exacte dose prévue par le scénario, tu jouissais en émettant l’exacte dose de sperme, je te prierai de me répondre exactement ce que tu veux qu’exactement je te fasse, je fasse de toi, quelle exacte mort tu choisis, la sépulture n’étant plus de ton ressort.

 

{cette lettre ne fut pas envoyée}


D’André Talbot à Pierre Desreux (Ep. LXXII)

 

Mes premiers coups, c’était pour teindre de sang ses seins, ses seins que d’autres avaient pétris, qu’elle me laissait caresser car j’étais un autre, l’autre qu’elle cherchait derrière moi, avidement, de sa bouche. Les suivants, les derniers, les trois derniers surtout, c’est pour faire monter la marée de ma nausée, c’est pour patauger dans le sang, et respirer – rose s’ouvrant soudain – l’odeur poisseuse de son sang, l’ultime menstruation.

Ma main seule est coupable, excroissance portant scandale. Moi je suis innocent, j’attends que la porte s’ouvre, qu’on m’appelle, qu’on me dise ‘André’ tout simplement, ou ‘André, le petit déjeuner est prêt’.

Ma main il suffit de la couper, de la clouer au mur, là, devant moi. Je peux faire sans cette main-là.

 

{cette lettre ne fut pas envoyée}

 

 

                                               --- FIN ---




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Créé le 1 mars 2002

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