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Patricia Romanet-Faucon
  sélection février 2007

elle se présente à vous.


 Bastingage

Est-ce une femme qui rêve ou un rêve de femme ?

Je l'imagine accoudée au bastingage d'un bateau en partance vers nulle part. Vers quelle destination pourrait-il l'emporter ? Que quitterait-elle ? Où irait elle ? Elle est déjà arrivée. Son port, c'est  elle. Mais elle ne le sait pas.

Je l'imagine ainsi, accoudée au bastingage de ce bateau-fantôme, son visage trituré par le vent du grand large. On la dirait livrée aux mains gantées d'embruns, façonnée de sel et de souffle. Tombé le masque des villes chaotiques, des fissures, des alarmes, des virevoltes et des volte-face. Tombé ou peut-être défait, lambeaux après lambeaux, comme autant de pans défraîchis et désuets. Des bouts d'attaches engloutis, à croire qu'elles avaient menti tout ce temps d'avant. Des mots fragmentés, éparpillés, comme autant de dissonances dilapidées en incohérences. Juste des sons et puis des suppositions de sons et puis si peu qu'on les confond maintenant aux sifflements du vent.

Je l'imagine ainsi. Elle n'ouvre presque plus ses yeux. On dirait qu'ils se sont repliés sur eux-mêmes, économisant l'usage de la vue désormais inutile. Deux infimes interstices, à peine l'essentiel pour être sûre que le jour ressemble enfin au jour et que la nuit ne se laisse plus trahir par les néons. Le reste s'est déjà affaissé.

Je l'imagine ainsi, évadée, désertée.

Déconstruite.

Déconstruite mais debout, comme on peut se tenir debout quand les faux piliers se sont écroulés, quand on s'aperçoit qu'ils encombraient au point qu'on a fini par les penser indispensables. Debout sans arrogance ni revanche, sans même l'intention de démontrer qu'elle est debout.

Elle se tient droite, mais elle ne le sait pas.

Je l'imagine ainsi, seule entre ciel et vagues, vivifiée par sa substance de Femme, inconsciente de son état. Elle sait qu'elle est là, mais elle ignore pourquoi. Cela l'indiffère, elle n'a ni peur, ni mal, ni même un tressaillement, ni même un questionnement.

Je l'imagine ainsi, accoudée au bastingage d'un bateau en partance pour nulle part. Un petit point sans impact, ou plutôt à peine un soupçon d'ombre posé là où les bords n'existent pas.

Est-ce un rêve de femme ou une femme qui rêve ?

Quelle importance...



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Créé le 1 mars 2002

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