Vos textes publiés ici après soumission au comité de poésie de francopolis.







 
actu  
  archives

 


Philippe Rousseau
  sélection janvier 2007

il se présente à vous.


Conte d'hiver

La neige capitonnait les pointes de la terre gonflée. Le village semblait déraper et se cramponner sur son axe pour ne pas griffer la glace lisse de la vallée. Là-bas, dans les boursouflures de la montagne bleuie, à la dernière demeure sous l'encre claire de la nuit, je savais que les autres, ceux de la confrérie qu'on nomme amis, mangeaient le festin de soupe. Dans l'espace creusé à vif, sous un grand dais cosmique assombri, au coeur du jardin glacé qui refait chaque jour dans la lumière le même voyage, ils devaient boire l'alcool du temps dans la maison cintrée de poutres. J'avais bu à la même fontaine, toujours succulente, toujours neuve. Je savais...
Je m'approchai, et le froid hallucinant qui régnait là me fit perdre le nord, le blanc avait avalé mes échos intérieurs, enflé la chair du sol sous mes yeux. Par sa vitre éclairée la fenêtre me présenta deux grands yeux violets exprimant un défi, qui m'observaient depuis longtemps, semblait-il, dans mon désarroi : « et si tu me regardais boire jusqu'à la lie la coupe de l'éphémère ; ensuite, un jour de printemps prochain, la neige fondra sur le toit du vieux chalet… »
Aux alentours hurlait le vent d'hiver et les chiens errants sous la lune vivante. Etait-ce ce visage à la finesse écartelée, ce désespoir concentré dans deux iris pourpre, que j'étais venu revoir au travers d'une vitre gelée d'où pendaient des pics de glace comme une herse sur les amours distendues ?
Plus loin le stère de bois avait l'allure spectrale d'un cratère lunaire, pour me rappeler les incendies qui couvent sous la peau, peut-être cette chaleur oubliée, redevenue familière, que j'étais venu rechercher coûte que coûte derrière une porte épaisse, où je savais que se partagent les tranches de sentiments qui rassasient quand ils se consomment comme des mets. Au fond la montagne se gonflait, décollant sa peau bleue comme un tapis infernal.

Je pénétrai. Alors soudain le plafond brun vacilla. Etait-ce pour que s'y engloutissent les restes de vie ? Se dérobait-il à l'éclairage des bougies qui comptent leurs frissons en nombre limité, comme les jours d'amitié quand les amis n'ont plus que leurs souvenirs solitaires pour nourrir leur âme ? Je les vis tous s'engouffrer dans la béance des murs comme dans un torrent démoniaque, happés par le manteau de la nuit. Mais dans l'apocalypse, la brune aux yeux violets n'avait pas bougé, gardienne du cœur tant que le cœur bat, témoin du sens d'être ensemble. La madone ne protégeait pourtant plus la vie des aventuriers. Leur abîme était mon univers, ils n'avaient pas su comme je les aimais. Mais son regard de louve m'avait pourtant prévenu de la fragilité des contacts de velours.


 ***

-> Vous désirez envoyer un commentaire sur ce texte?
        

 

-> Vous voulez nous envoyer vos textes?

Tous les renseignements dans la rubrique : "Comité de poésie"

Créé le 1 mars 2002

A visionner avec Internet Explorer