LES PIEDS DES MOTS
Où les mots quittent l'abstrait pour s'ancrer dans un lieu, un personnage,
une rencontre...
DÉCEMBRE 2011
CASSE-TÊTE
par
Michèle Bourgon
CASSE-TÊTE
Hier, à l’hôpital, Chouchou passe un examen
médical. Il est nerveux, angoissé. À son
arrivée, on lui remet une jaquette turquoise. Il s'engouffre
dans un petit cabinet pour revêtir l’uniforme. Se présente
à lui un casse-tête (et c’est bien le cas de le dire) en
trois dimensions : la jaquette a trois trous!!! Forcément, il
doit y en avoir un pour passer la tête. Après moult
tergiversations, maintes études trigonométriques
accompagnées de logarithmes, Chouchou plonge tête
première et force le trou du milieu avec son crâne.
-Coudonc, c'est donc ben petit ce trou-là ! se dit-il. Mais j'ai toujours eu une grosse tête, se rassure-t-il.
Le miroir lui renvoie l’image d’un homme dont le cou est enserré
d’un curieux tuyau de cheminée. Il se tourne en s’examinant dans
la psyché. - Ma foi, se dit-il, ça ira ; pourvu que je
puisse respirer correctement avec ce tuyau autour du col. Il
pivote sur lui-même pour s’assurer que tout son corps est bien
couvert et que sa dignité est sauve. Misère !!!
Voilà un autre puzzle ! Un large pan de son fondement n’est pas
dissimulé par l’insigne vêtement. Il a les foufounes
à l’air ! Et cette curieuse jaquette toute en tubulures qui
l'étouffe de plus en plus. Il sue, cogite, hyperventile, se
retourne à nouveau, tente de croiser, de décroiser les
bouts de tissu. Rien à faire, se dit-il, tous les patients
doivent oublier leur orgueil et se présenter à leurs
collègues de souffrance avec humilité et
dépouillement. Il ajuste ses chaussettes à pois
marine dans ses souliers noirs. Bah ! À l’hôpital, foin de
l’élégance. Par l’interstice de la porte du petit
cabinet, ses compagnons de galère ne semblent guère mieux
que lui. Mais ils ont réussi à parader jusqu’à
leur siège et se tiennent cois. Les fesses serrées,
probablement. Oups, il y a aussi une compagne… Il lui semble qu’elle
surveille déjà la porte de sa cabine. Comment
déambuler avec classe quand on est vêtu d’une jaquette
turquoise tuyau de poêle qui laisse voir vos plus intimes
attributs et que vous clopinez en chaussures sur bas bleus à
petits pois.
-Allons, un peu de courage, montrons-nous se dit Chouchou. Relevons la
tête et faisons comme si c’était naturel de gambader dans
un corridor nu-fesses. Osons ; de toute façon, il n’y a plus
d’autre choix. Il ne peut pas non plus rester tapi jusqu’à ce
qu’on l’appelle pour l’examen ; il devrait alors galoper à toute
vitesse jusqu’à la salle d’examen. Ne peut, non plus, attendre
qu’on défonce la porte du cubicule parce qu’on croit qu’il a
perdu conscience. L’heure est venue.
Il sort donc de sa cabine dignement, en faisant face au public
nerveux qui attend aussi de passer des examens. Il avance à
petits pas rapides vers un siège quand une responsable l'agrippe
par la jaquette. Glurp ! entend-on. «
Héhéhéhé, mon p'tit monsieur! C'est pas
comme ça qu'on doit porter ça ! Les trous, c'est pour les
bras. Le troisième doit passer autour de votre corps et revenir
fermer la jaquette complètement en se jumelant au premier trou.
» La gentille préposée lui fait une
démonstration que Chouchou écoute comme si sa vie
dépendait de ces informations.
« Ah! » fait Chouchou étonné, l’air d’avoir
enfin compris. Cling! On entend le tiroir secret de sa dignité
se déclencher, s’ouvrir devant son visage tout rouge de sa
confusion. Il s’y voit : dans le fond du tiroir, le miroir de
l’âme; reflet majoré de son humiliation. Et il
revient vers la cabine à reculons because ses foufounes à
l'air. Un peu plus et on entend le bruit des camions qui reculent. Pin
pon, pin, pon, pin pon…
Il rentre dans le cubicule et tente désespérément,
sans chuter sur le sol, d'arracher cette maudite jaquette de sa
personne. Il tire vers le haut. Son cou ne passe pas. Il prend un
élan pour tirer vers le haut. Ça ne passe toujours pas et
il étouffe. Il est pris et voilà qu’on appelle son nom
pour l'examen. Il s'acharne sur la pièce de tissu qui ne veut
pas laisser passer son cou. Il étouffe, ahane et réussit
à s'extirper de la maudite chasuble. Il se cogne la tête
sur la porte. Bang ! Assommé ! Aie ! Ça va sûrement
faire une œuf de pigeon. Il reprend ses esprits au deuxième
appel de son nom.
- Monsieur, ça va ? entend-il l’aimable préposée s’inquiéter.
En sueur, tout rouge, il se redrape du vêtement qui cache
maintenant ses parties intimes et sort de la cabine tel un mannequin
qui s'en va parader pour un défilé de mode. Il a
réussi! Il a compris le principe des trois trous et a sagement,
avec fierté, attaché les petits lacets sur le
côté.
Quand il revient, après son examen, il a tellement bien
attaché les cordonnets qu'un noeud, un vrai, l'empêche de
retirer cette jaquette maléfique. Il tire comme un
enragé, s’extirpe lentement des trois trous tel un
contorsionniste du Cirque du soleil, essaie de prendre ses dents pour
couper le noeud. Nenni. On l’entend se frapper sur les quatre murs de
la cabine. Bang ! Bong ! Bing ! Badaboum ! Ça va bien, monsieur?
entend-il encore la fatigante de préposée.
Excédé, énervé, au bord de la crise de
nerfs, Chouchou finit par déchirer la jaquette dans un grand
shlack! Il est enfin libre. Il sort et jouissif, dépose la
jaquette maléfique dans le panier à linge. Des yeux
admiratifs sont rivés sur lui. Croit-il.
La vie est remplie d’épreuves.
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Casse-tête
par Michèle Bourgon
pour
Francopolis décembre 2011 rercherche Gertrude Millaire
Le principe des
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est de nous partager l'âme d'un
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