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Pieds des Mots : Actu 2010 - 2011

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LES PIEDS DES MOTS
         Où les mots quittent l'abstrait pour s'ancrer dans un lieu, un personnage, une rencontre...


JUIN 2014

Dans le jardin de la Connaissance, la licorne garde la porte d’Orient.

ENTRETIEN DE FRANCESCA Y. CAROUTCH avec IGOR SMETANOFF

- Les éditions Pygmalion ont publié, fin 2002, votre livre LA LICORNE, Symboles, mythes et réalités. Depuis votre jeunesse, vous étudiez le sujet, et vous avez consacré plusieurs ouvrages à l’animal sacré, en mettant l’accent sur son origine orientale. Quand l’avez-vous rencontré pour la première fois ?

 - Très jeune, j’ai baigné dans l’atmosphère magique des tapisseries de La Dame à la Licorne. Le bureau de mon père, dont les ancêtres venaient d’Asie centrale, se trouvait non loin du musée de Cluny (à présent du Moyen Âge.) Lycéenne, je publiais, dans des petites revues, des poèmes que traversait la bête énigmatique. L'écrivain slave François Augiéras, fasciné par l’androgynie de la licorne, m’encouragea à réaliser mes deux rêves d’enfant : soulever un coin du voile sur les tentures du musée de Cluny, dont nul ne semblait connaître le sens, et me rendre au Tibet. J’étais loin de me douter, alors, que ces deux rêves se rejoindraient un jour. Lorsque la frontière du Tibet s’entrouvrit, en 1984,  j’eus la chance d’atteindre Lhassa, et de voyager sur les traces d’un l’animal pas aussi mythique qu’on le croit généralement.

- Vous avez établi, depuis longtemps, un lien entre La Dame à la licorne et le Toit du monde.

- A ma grande stupeur, oui. Ce fut grâce, indirectement,  au 16° Karmapa que j’approchai pour la première fois en 1975. Fin 1981, je fus invitée au Sikkim, pour les cérémonies de crémation de ce grand  yogi, la plus haute autorité spirituelle du bouddhisme tibétain, avec le Dalaï lama et le Panchen lama. Arrivée en pleine nuit au monastère himalayen, entre jungle et glaciers, je fus accueillie avec une incroyable bonté par le maître de musique du Karmapa. Lorsque je m’éveillai, à l’aube, je fus éblouie par l’énergie vivante, gigantesque, des deux grandes licornes de bronze doré entourant la roue du dharma, sur la haute terrasse du monastère de Rumtek. L'émerveillante et lumineuse vision des licornes se découpant devant le Tibet et l’un des monts les plus élevés du monde, après l’Everest, ne m’a plus quittée depuis.
Le jour de la crémation, dès l’aube, ce couple, qui semblait surgi de l’Age d’or, veilla sur le bûcher funéraire. L’instant le plus bouleversant fut celui où la flamme s’éleva dans le ciel pur, et où un arc-en ciel circulaire se forma autour du soleil – signe que le Karmapa, dont le corps avait  diminué de moitié, après sa mort, avait réalisé son « corps d’arc-en-ciel ». Le papier à lettres des Karmapas, beaucoup de monastères et de mandalas comportent ces deux licornes entourant la roue de l’enseignement bouddhique – allusion aux paroles du Bouddha dans le Parc des Gazelles, à Bénarès.
Dans les Blue Annals, il est dit que le 5° Karmapa se rendit au paradis de Tushita en empruntant la forme d’une licorne. Celle-ci apparaît parfois dans les écrits tibétains, comme le Dict de Padma ou Vie et chants de Brugpa Kunlegs, le yogi.  Il était déjà question d'elle dans les  Upanishad.
Je fus vite frappée par le fait que la licorne de la tapisserie intitulée « Le Toucher » est sœur de la licorne tibétaine (se-rou). Elle n’a pas un corps de cheval à  barbiche de bouc et à sabots de cervidé, telle qu'on la connaît, en Europe, depuis la Renaissance. C’est une sorte de bouc angora du Cachemire, aux cornes réunies. L’artiste eut peut-être comme modèle une licorne  vivante, car l’animal censé venir du royaume du prêtre Jean était parfois exhibé en France; un apothicaire de la rue de la Licorne, aujourd'hui disparue, près de Notre-Dame, en possédait une, venant  des monts d'Éthiopie. Mais l'antidote qu'il vendait, censé neutraliser tous les poisons, était en réalité de la poudre provenant  d'une incisive de narval ; jusqu'à l'époque de la  Révolution française, cette denrée, issue d'un subterfuge, valait plus que le rubis et l'or réunis.
Nous savons à présent que les chamans, depuis la nuit des temps, réalisaient à des fins cultuelles des licornes semblables qu’ils vénéraient, avec leurs deux cornes torsadées.

-  Votre ouvrage paraît dans une collection intitulée « l’univers féerique ».

-  La légende de l’invulnérable animal ne pouvant être apprivoisé que par une pure jouvencelle provient en grande partie des Jataka sanskrits, d’origine archaïque, où sont relatées les vies antérieures du Bouddha.
L’une d’elles, la plus féerique, conte la merveilleuse histoire de l’ascète « Corne Unique », qui fut subjugué par une princesse afin d’assurer la fertilité du royaume. C’est la métaphore de la Sagesse sauvage humanisée par l’amour d’une femme.
Cette allégorie fut adoptée par les premiers chrétiens, au contact de la colonie indienne du bouillonnant creuset culturel d’Alexandrie. Son extraordinaire succès devait donner naissance à nos légendes médiévales de la pure licorne ne pouvant être apprivoisée que par une jeune vierge.

- Vous avez complété la réédition du Dictionnaire des symboles, en 1981. Pouvez-vous nous résumer le symbole de la licorne ?

- C’est l'un des plus beaux qui soient : celui de l’amour universel, de la fusion des polarités, de l’esprit d’éveil, de la justice divine, de la puissance et de la lumière. La licorne renvoie au caducée et au corps subtil du yogi - ida et pingala s’unissant dans le canal central (susumna) pour faire monter la Kundalini, à partir de la muladhara où elle était lovée. En raison de sa nature androgyne, à la fois solaire et lunaire, les premiers Pères de l’Église en firent la personnification de la Vierge ou du Christ.
Ce n’est pas par hasard si la licorne est l'un des emblèmes favoris des alchimistes : animal de la transmutation par excellence, elle désigne soit le mercure, soit le soufre. Comme l'écrit Eugène Canseliet, dans Deux logis alchimiques : "La corne de licorne était, au vrai, la Pierre Philosophale et la médecine universelle."


La dame à la licorne 5ème teinture : Le toucher (musée national du Moyen Âge -
Thermes et hôtel de Cluny, Paris, photo © Francesca Y. Caroutch).

Bibliographie sélective de Francesca Y. Caroutch

La licorne alchimique. Editions philosophiques. 1981
Le Livre de la Licorne. (Album illustré, prix du Pélican d’or), 1990
Miroir de la Licorne. (L’orbe, album noir et blanc), microédition, 1992
Le mystère de la Licorne : à la recherche du sens perdu (534 pages. 365 illustrations noir et blanc, cahier couleurs). Ed. Dervy, 1997.
La Licorne, Symboles, mythes et réalités. Ed Pygmalion. Diffusion Flammarion. 380 pages. Nombreuses illustrations. 2002
L’homme de feu, Giordano Bruno. Ed. Pygmalion, 2003
A paraître : La Dame, la Licorne et leurs secrets

Vidéo :
Au miroir de la Licorne. La Licorne en Orient et en Occident (musique d’Alain Kremski, voix de F.Y. Caroutch et Alain O’Christie).

À voir sur son site :
Commentaires et illustrations concernant les travaux sur la Licorne

Quelques échos sur l'œuvre poétique de F.-Y. Caroutch.
Glanés par Igor Smetanoff dans des anthologies, des livres, des revues, etc.


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ENTRETIEN DE FRANCESCA Y. CAROUTCH
avec IGOR SMETANOFF
recherche Dana Shishmanian
juin 2014

 

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