LES PIEDS DES MOTS
Où les mots quittent l'abstrait
pour s'ancrer dans un lieu, un personnage, une rencontre...
JANVIER
2014
Hommage
à Nelson Mandela
Les colombes se
sont envolées,
Emportant votre âme vers l’infini,
Plus loin que le bleu de l’océan qui ceinture
L’île prison de vos dix-huit années de
solitude.
Le monde entier vous pleure : vous êtes parti,
Laissant la terre plus vide que l’absence.
Pourtant, votre cœur bat
À l’extrême de nos mémoires,
Au plus profond de notre histoire.
Votre cœur est l’infinie présence de toutes les
races,
Paumes ouvertes vers la lumière.
Vous nous avez enseigné que, malgré nos
différences,
Notre sang coule avec la même teinte
Par les lèvres de nos blessures;
Que nos larmes ont la même saveur
Qu’elles soient de joie ou de douleur,
Que nos cœurs chavirent avec la même angoisse
Sous le poids des malheurs,
Que nous désaltérons nos soifs ardentes
de paix
Au même puits de la fraternité
Et que nous sommes de la même race de l’espoir.
Dans l’île prison de Robben Island,
Quand les soirs vous apportaient,
Dans le bruissement de l’écume, le cri
De vos frères martyrisés,
Quand les aurores prolongeaient vos nuits
De cauchemars,
Quand l’angoisse vous assaillait de toute part,
Invictus devenait votre seule raison de vivre…
Dans votre abîme de douleur,
Les ténèbres n’ont pas emprisonné
votre rêve,
La souffrance n’a pas brisé votre
espérance,
Les cris n’ont pas altéré votre voix,
Les tortures ne vous ont pas ébranlé.
Vingt-sept ans dans le gouffre du malheur
Vous ont forgé une âme plus indomptable
que l’océan
Et plus fière qu’un baobab.
Vous avez dompté la colère et
triomphé de la haine.
Invictus! Invictus!
Le monde salue votre grandeur, votre courage et votre
dignité.
Vous portez dans votre voyage d’éternité
La longue plainte des laissés pour compte,
L’insupportable angoisse des réfugiés,
Le désespoir des exilés,
La détresse des enfants soldats,
La souffrance des exploités,
La persécution des minorités,
La lente agonie des peuples colonisés,
La solitude des exclus…
Parce que votre humanité est liée
à la nôtre
Au-delà même de l’existence,
Nous continuerons la longue marche
Par-delà les frontières de la peur qui
nous guette
Et entonnerons sur tous les continents :
Asimbonanga
Pour rejeter l’apartheid et la haine.
Le soleil s’est assoupi dans vos yeux,
Le silence a scellé vos lèvres pour
toujours :
Un autre voyage commence, qui vous conduira
À travers les âges vers la source
même de la lumière.
Les cailloux que vous avez cassés dans
l’île prison
Sous le soleil et dans la poussière sont
aujourd’hui
Autant d’étoiles qui illuminent votre nuit,
Si longue si passagère…
Dormez,
Dormez dans l’étreinte des nuages,
Dormez dans votre demeure d’éternité,
Dormez en paix. Le pays de la vraie liberté
Figure sur la carte de votre cœur.
Yves Patrick
Augustin,
Blainville, Québec, Décembre 2013
***
à
Nelson Mandela,
à
ceux qui ne se
sont pas résignés
et
à nous qui
saurons encore nous indigner
Je
sais la pluie à la folie, je sais
le vent, son chant. Je sais que les mots bercent et se serrent de
rancœur, et
s’enlisent de toujours et d’encore, de promesses sans valeur, dans la
panse
repue d’une langue d’éventail.
Des
jours et des jours que le vent
replie sa traîne, qu’on parque les oies pour des miettes de foie
gras, et certains
hommes ici-bas. Et danse, sur le ventre de nos nuits, l’empire et le
pire qui
fête son reflet. Des nuits et des nuits que le feu survit
à sa peine, qu’on
repeint de bleu ou de rose l’univers vert-de-gris, qu’on mise sur des
chimères,
qu’on a la vie mise à prix. Et dansent dans ma tête
souvenirs de bataille,
désirs sans effet. Des heures et des heures que le renard
perçoit la haine, que
des écrans nous hypnotisent, nous aimantent, nous
magnétisent, qu’on triche
avec les mots, qu’on nous ment, qu’on nous fascise. La beauté se
monétise, de
grenaille en mitraille, flétrissent nos petits princes. Et danse
la grenade
dans l’œil du chasseur. Minute après minute, le grand
épouvantail, de son nom,
bas de laine, langue d’attrape-mouches, gang de choléra, nous
prend pour du
bétail, et son rire qui tient lieu d’idéal, fleur de sang
sur le poitrail. Et
dansent, sur les murs, slogans publicitaires en poursuite triviale.
Combien
d’images par seconde… «
Chéri, est-ce le Che en série ? »,
« et Jaurès, c’était
qui ? ».
J’ai
des larmes nomades au no man’s
land de la tendresse, on me donne trop souvent des nouvelles de la
détresse.
J’ai la main libre et le poing fier, l’impatience de l’orage. Mais je
sais que
donner demande courage et souvent nous n’avons que la rage.
Je
sais la pluie à la folie, je sais
le vent, son chant, je nous souhaite caresse pour apprivoiser le
printemps. Je
rêve pour l’humanité d’un arbre-nation et sa sève
en mes veines, et son cri et
le bris de nos chaînes : révolution.
Yves Béal
- 2010
***
MADIBA
Nelson
Mandela mort, mais d’autant plus vivant
Qu’il sut, pour l’homme noir, être un soleil levant
Capable d’éclairer jusqu’au fond de sa geôle
L’âme de l’opprimé découvrant que son
rôle
Est d’aider l’oppresseur à briser les barreaux
D’une haine où lui-même entretient son ghetto
En niant l’homme en lui
quand il opprime
l’homme.
Et
bien qu’un matricule en sa prison le nomme,
Mandela le transcende en se tenant debout
De toute sa noblesse, en gardant jusqu’au bout
L’idéal qu’on voudrait qu’il renie en échange
D’une libération qui donnerait le change,
Mais l’emprisonnerait dans une indignité.
Aux
cruautés du bagne opposant sa fierté,
Il vaincra pour finir la blanche dictature
L’isolant sur l’îlot que cernait la ceinture
D’un océan muet le vouant à l’oubli.
Or
c’était sans compter qu’il contenait Gandhi.
Yves Letourneur, 6
décembre 2013
Professeur
agrégé de philosophie, Yves
Letourneur est aussi poète. Membre de l'académie
Mallarmé. Son dernier recueil
de poésie Vertiges est paru aux Éditions
Le Scribe l’Harmattan
à Paris en 2012.
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Hommage
à Mandela
par Yves Patrick Augustin
et Yves Béal et Yves Letourneur
pour
Francopolis janvier 2014
recherche Dana Shishmanian
Le
principe des Pieds des mots,
est de nous partager
l'âme d'un lieu, réel ou imaginaire, où
votre coeur est ancré... ou une aventure.... un personnage...
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