Avant
de partir à la réunion à laquelle j’étais
convié ce matin, je me suis arrêté devant le miroir
pour vérifier que l’ensemble de ce qui constitue ma petite
personne, était présentable. Je rectifiai le nœud de ma
cravate, ajustai ma veste, arrangeai une mèche rebelle et jetai
un dernier coup d’œil sur l’ensemble.
Le compte n’y est pas, me
dis-je, en me rapprochant du miroir, il faut que je regarde de plus
près.
J’entrepris alors une inspection plus précise : pantalon,
chemise, veste, chaussettes, chaussures, tout semblait normal, à
sa place, prêt à porter.
Pourquoi cette impression étrange qu’il manque quelque chose ?
me demandai-je.
Juste une impression ?
Arrivé dans la salle de réunion – une pièce
très sombre malgré la grande baie vitrée – je me
dirigeai à tâtons vers la place qui m’était
réservée. À peine eus-je le temps de m’asseoir
qu’une voix s’exclama :
– Je déclare la séance ouverte.
Cette déclaration fut suivie d’un bref silence durant lequel je
sentis l’intensité de nombreux regards fixés sur moi.
– Où sont les motifs ? demanda la voix.
– Quels motifs ?
– Les vôtres, bien sûr.
– Pardonnez-moi, mais je ne comprends pas.
– Allez ne jouez pas les innocents, vous savez très bien de quoi
je parle.
Qu’est-ce qui m’arrive ? me demandai-je, j’ai l’impression d’être
dans un mauvais rêve, tous ces gens autour de moi dont je ne vois
pas le visage mais dont je perçois le regard et cette voix qui
me demande où sont mes motifs.
– Alors ? reprit la voix, vous ne savez toujours pas ?
– Je ne vois absolument pas de quoi vous voulez parler,
répondis-je, agacé.
Un long silence s’ensuivit. Je me sentais oppressé, et pour fuir
cette situation pour le moins inconfortable, je détournai mon
regard vers le ciel bleu azur; des mouettes planaient avec grâce
et légèreté.
– Vous les avez laissés partir sans notre autorisation, n’est-ce
pas ? reprit la voix autoritaire.
– Ils se sont peut-être envolés de leur plein gré,
rétorquai-je avec ironie, en regardant par la fenêtre le
ballet des mouettes qui se rapprochaient.
Je ne comprenais toujours pas ce que me voulait cette voix qui
réclamait mes motifs.
Je décidai alors d’essayer de savoir quels visages se cachaient
derrière cette voix et ces regards qui me fixaient en silence.
– Pourrait-on s’il vous plaît allumer la lumière ? On n’y
voit rien.
Les cris des mouettes emplissaient maintenant la pièce.
Puis de nouveau la voix tenta de se faire entendre dans cette
insupportable cacophonie.
– Je vous l’avais bien dit, vous les avez laissés partir sans
nous avertir, il est beau le résultat ! Ils sont libres
maintenant, ils vont s’en donner à cœur joie.
Je me précipitai à l’aveuglette dans la salle pour
trouver l’interrupteur.
Je l’allumai, les cris s’arrêtèrent instantanément.
J’attendis un moment. Plus de voix non plus, plus de regards.
J’étais seul dans cette salle déserte. Il faisait nuit
noire à l’extérieur.
Sans plus tarder, je décidai de rentrer chez moi.
En arrivant, je m’arrêtai devant le miroir du couloir pour
vérifier l’état de ma petite personne après cette
drôle de réunion. C’est alors que je vis de grandes ailes
noires traverser le miroir pour s’imprimer sur ma chemise.
Les motifs étaient revenus.
*
Le retour des motifs in L’homme au banc,
Editions Hesse, 2013, avec des monotypes de Catherine Seghers
François
Minod
Francopolis avril 2015
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