ACCUEIL
Pieds des Mots : Actu 2010 - 2011

Omar M'habra par Ali Iken -  Khadija Mouhsine - Mohamed Loakira ... et plus

LES PIEDS DES MOTS
      
   Où les mots quittent l'abstrait pour s'ancrer dans un lieu, un personnage, une rencontre...


AVRIL 2015

 Le retour des motifs
de
François Minod


Avant de partir à la réunion à laquelle j’étais convié ce matin, je me suis arrêté devant le miroir pour vérifier que l’ensemble de ce qui constitue ma petite personne, était présentable. Je rectifiai le nœud de ma cravate, ajustai ma veste, arrangeai une mèche rebelle et jetai un dernier coup d’œil sur l’ensemble.

Le compte n’y est pas, me dis-je, en me rapprochant du miroir, il faut que je regarde de plus près.

J’entrepris alors une inspection plus précise : pantalon, chemise, veste, chaussettes, chaussures, tout semblait normal, à sa place, prêt à porter.

Pourquoi cette impression étrange qu’il manque quelque chose ? me demandai-je.

Juste une impression ?

Arrivé dans la salle de réunion – une pièce très sombre malgré la grande baie vitrée – je me dirigeai à tâtons vers la place qui m’était réservée. À peine eus-je le temps de m’asseoir qu’une voix s’exclama :
– Je déclare la séance ouverte.

Cette déclaration fut suivie d’un bref silence durant lequel je sentis l’intensité de nombreux regards fixés sur moi.

– Où sont les motifs ? demanda la voix.

– Quels motifs ?

– Les vôtres, bien sûr.

– Pardonnez-moi, mais je ne comprends pas.

– Allez ne jouez pas les innocents, vous savez très bien de quoi je parle.
Qu’est-ce qui m’arrive ? me demandai-je, j’ai l’impression d’être dans un mauvais rêve, tous ces gens autour de moi dont je ne vois pas le visage mais dont je perçois le regard et cette voix qui me demande où sont mes motifs.

– Alors ? reprit la voix, vous ne savez toujours pas ?

– Je ne vois absolument pas de quoi vous voulez parler, répondis-je, agacé.

Un long silence s’ensuivit. Je me sentais oppressé, et pour fuir cette situation pour le moins inconfortable, je détournai mon regard vers le ciel bleu azur; des mouettes planaient avec grâce et légèreté.

– Vous les avez laissés partir sans notre autorisation, n’est-ce pas ? reprit la voix autoritaire.

– Ils se sont peut-être envolés de leur plein gré, rétorquai-je avec ironie, en regardant par la fenêtre le ballet des mouettes qui se rapprochaient.

Je ne comprenais toujours pas ce que me voulait cette voix qui réclamait mes motifs.

Je décidai alors d’essayer de savoir quels visages se cachaient derrière cette voix et ces regards qui me fixaient en silence.

– Pourrait-on s’il vous plaît allumer la lumière ? On n’y voit rien.
Les cris des mouettes emplissaient maintenant la pièce.

Puis de nouveau la voix tenta de se faire entendre dans cette insupportable cacophonie.

– Je vous l’avais bien dit, vous les avez laissés partir sans nous avertir, il est beau le résultat ! Ils sont libres maintenant, ils vont s’en donner à cœur joie.

Je me précipitai à l’aveuglette dans la salle pour trouver l’interrupteur.
Je l’allumai, les cris s’arrêtèrent instantanément. J’attendis un moment. Plus de voix non plus, plus de regards. J’étais seul dans cette salle déserte. Il faisait nuit noire à l’extérieur.

Sans plus tarder, je décidai de rentrer chez moi.

En arrivant, je m’arrêtai devant le miroir du couloir pour vérifier l’état de ma petite personne après cette drôle de réunion. C’est alors que je vis de grandes ailes noires traverser le miroir pour s’imprimer sur ma chemise.

Les motifs étaient revenus.

*
Le retour des motifs
in
L’homme au banc,
Editions Hesse, 2013, avec des monotypes de Catherine Seghers

François Minod
Francopolis avril 2015

Le principe des Pieds des mots,
est de nous partager l'âme d'un lieu,  réel ou imaginaire,  où votre coeur est ancré... ou une aventure.... un personnage...

 Table des chroniques "Gueule de mots" et  "Pieds de mots"
               
           Archives Les pieds de mots 2006-2004

 

Créé le 1er mars 2002- rubriques 2010