Se rendre à
soi-même
J’étais
avec l’autre sans le savoir vraiment. Il guidait mes pas dans les
chemins obscurs, il guidait ma vie et tous ses aléas. Peut-on
dire d’ailleurs que j’étais avec lui ? Voir.
N’était-il pas
plutôt en moi, me donnant le change en me faisant croire que
c’est moi qui guidais mes pas, moi qui voulais ceci et pas cela, moi
qui décidais de danser sous la véranda, de chanter a
capella.
Bref,
cet autre-là s’était immiscé dans les plis les
plus intimes de mon for intérieur. Mais je ne le savais pas. Car
il était rusé, à tel point qu’il feignait de
parler avec ma voix pour m’enjoindre de faire ceci, de penser cela.
J’étais tellement squatté dans mon for intérieur
que je ne faisais plus la distinction entre ce qui était de lui
et ce qui était de moi. J’avais atteint, je peux le dire
maintenant, un seuil critique et je savais, dans un tout petit coin
secret de mon for intérieur auquel il n’avait pas encore
accès, que je
devais réagir avant
qu’il ne soit trop tard.
Je
décidai donc de me rendre à moi-même.
Et du coup, je l’exhortai
à quitter séance tenante mon for intérieur.
– Sortez de mon for !
ordonnai-je, il est temps que je me rende à moi-même.
Depuis
je n’ai plus de nouvelles. Certaines rumeurs courent selon lesquelles
il aurait rendu l’âme, d’autres affirment qu’il aurait repris du
service à l’extérieur.
On dit tellement de choses.
François Minod, in Au fil de l’autre,
Editions Hesse, 2008
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