LES PIEDS DES MOTS
Où les mots quittent l'abstrait pour s'ancrer dans un lieu, un personnage,
une rencontre...
avril 2010
Le Récit d’une Pérégrination Intérieure
par Khadija Mouhsine
L’Inavouable est le troisième récit en prose du poète Mohamed Loakira, après L’esplanade des saints & Cie et À corps perdu dont
il semble être le prolongement. L’identité du personnage
principal et narrateur Mamoun assure cette continuité.
Après le récit de la mort de la mère Lalla Chama
dans A corps perdu, voici –entre autres- avec L’Inavouable,
celui de l’agonie du père, Ba Jelloul et en toile de fond, la
présence fantomatique du redoutable frère Hammouda
« le balafré ».
Le titre interpelle et crée un horizon d’attente : confession
difficile ? Impossible ? Mais confession de quoi ? Ne cherchez pas une
intrigue policière, un crime ou un forfait. C’est pourtant un
« récit noir
», peu reluisant que raconte cette descente aux enfers de Mamoun,
récit tragiquement lucide de sa déchéance.
Tout commence par ce retour d’« un long voyage
», d’où revient-il ? Peu importe, aucun détail
n’informe du lieu ou des raisons de ce voyage. Ces
éléments de réalité importent peu, il ne
vient que de lui-même, comme si ce voyage concret ne figurait
symboliquement et de façon syncrétique que cette longue
pérégrination intérieure, objet du récit.
Il y a bien pourtant cet avion qui l’a ramené, le comportement
des passagers, leur impatience à la limite de l’incivisme
décrits avec réalisme ; mais cet univers ne semble
décrit que parce qu’il accapare l’attention du narrateur le
détournant momentanément de son angoisse, d’un «
pressentiment - mauvais présage » qui annonce le drame
auquel il va bientôt faire face. Personne ne l’attend à
l’aéroport…ni à la maison. Il est comme il dit, victime
d’un
« vol à l’arraché
» : sa femme est partie, a quitté le domicile conjugal
pour une destination inconnue – elle est étrangère -
emmenant leurs deux enfants, affectueusement appelés tout au
long du récit « les diablotins ». Partie sans
raison ? Voire.
Comme prélude à cet « imprévisible »,
à « l’inacceptable », le trajet entre
l’aéroport de Salé et la ville de Rabat donne à
voir un spectacle dysphorique : « Encore la mort sur sa route », « l’Hôtel des incarcérés »
et rappelle des souvenirs noirs des années de plomb dont il fut
victime, pire, dont il est une « épave ».
Quelle suite et quel avenir ? Il n’est plus qu’une terre ravagée
; il y avait déjà le passif : « Moi, Mamoun,
à la limite fils de si peu …tant j’ai poussé,
été abandonné telle une mauvaise herbe. »
Puis, le fil se perd, difficile de raconter l’indicible : « Moi,
mamoun, me suis-je confessé ? Que reste-t-il à dire ?
Avouerais-je l’inavouable ? Je persiste et signe sans contrainte
». Le récit se fait poème sans contrainte de forme
ni de syntaxe ; que des images, des mots libérés pour
suggérer justement l’indicible. La linéarité du
récit est à chaque fois perturbée,
interceptée par la poésie. La suite est un voyage dans un
autre monde à la recherche de l’oubli, de «
l’être-pas-là » ; il entame le
« parcours du déchu » et comme dit encore le narrateur « Il
s’attellera à effacer de sa mémoire tout rappel de ce
qu’il fut, de ce qu’il a rêvé, stocké, nourri de
passion et d’endurance ». Mamoun réussira-t-il
à sortir de cette régression où il se nie reclus
dans « la bestialité » ? Il y a heureusement la
poésie pour s’élever et se sauver
« Salut poète. Nous sommes deux à être dépossédés de notre essence ».
Inavouable, faut-il le rappeler, ne signifie pas qui « qui ne
peut être confessé » mais a pour
équivalent sémantique « abject », «
coupable », ou encore « honteux » ; avouer, dit
encore le dictionnaire, c’est « reconnaître pour sien
», ce qui faisait dire à Jean-Jacques Rousseau :
« Tout honnête homme doit avouer les livres qu’il publie ».
Voilà qui nous ramène à la littérature.
Loakira a pris soin de préciser sur la couverture du livre juste
après le titre, le genre : Récit. Ne cherchez donc
pas le roman ! Mais récit singulier qui constitue bien une
espèce en soi et que Jean-Yves Tadié - spécialiste
du genre auquel il a consacré un important essai - qualifie de
récit poétique :
« Le récit
poétique en prose est la forme du récit qui emprunte au
poème ses moyens d’action et ses effets… phénomène
de transition entre le roman et le poème » ; le
genre compte quelques monuments de la littérature : Nadja de
Breton, Le rivage des Syrtes de Gracq ou encore Aurora de Leiris, etc.
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L'Inavouable de Mohamed Loakira
par Khadija Mouhsine
pour
Francopolis avril 2010
recherche Ali Iken
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