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Coup de coeur : Archives 2010-2011

  Une escale à la rubrique "Coup de coeur"
poème qui nous a particulièrement touché par sa qualité, son originalité, sa valeur.



 
( un tableau de Bruno Aimetti)


À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes, d'un niveau d'écriture souvent excellent, toujours intéressant et en mouvement.
Nous redonnons vie ici  à vos textes qui nous ont séduit que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.


Poème Coup de Coeur du Comité
AVRIL 2012


              
choix de Gertrude Millaire
...    Paule Doyon
choix de Michel Ostertag...    Marie Mélisou      
choix de Dana Shishmanian... Constantin de Chardonnet
                






MARIE MÉLISOU

M
Marie Mélisou, trois poèmes que j’apprécie beaucoup, nimbés d’une certaine tristesse qui m’émeut. Je vous invite à partager ces beaux moments de poésie. (choix Michel Ostertag)

Les longs mots sur les secondes du sable

il a effacé tous les jours de l’année
sur le sable de la plage pour en arriver là

il a réduit encore et encore
en cendres les cailloux
à tuer les longs mots sur les secondes du sable
puis a demandé pardon encore et encore
comme si le noir d’un très long corridor
où le sable de la plage n’a pas sa place
dont les portes fermées tiennent serrés le temps
la vie la respiration aussi
pouvait avancer sans brûler notre anéantissement


il a tué encore et encore
chaque lettres de longs mots
tous ceux nés d’amour sur les secondes du sable
puis accablé s’est frappé avec les grains
encore et encore comme se flagelle en punition
la grêle qui détruit l’ampleur du comprendre

il a gommé tous les jours de l’année
et les longs mots sur les secondes du sable
à néant il n’avance plus
sur la plage pas davantage

pourquoi un jour fait-on les choses
les choses en attente depuis si longtemps
à terme en saillie à l’heure nouvelle
comme passer en abscisse en ordonnée
d’un temps d’épices à un pas de velours arraché

ni long mot ni secondes
même plus un seul grain de sable

**

Si tu le lis

si tu le lis
alors que j’écris petit
mes mots ont encore un cœur

Si tu le lis, parce que je l’écris, voici : Durant la
nuit il est arrivé quelque chose au vent. Troublé d’un
frémissement plus que grand, une ampleur l’a tiré d’où
il se vautrait à terre.

Ce vent, qui semble être déguisé, pose des touches
de couleurs et porte le bonheur d’un jour né.

Il renifle, monte, caresse. Il oublie ce que je
dis. N’entend pas ce que je crie. Il laisse des traces
de mon âme partout, ouverte à tous les sentiers. Chante
que personne n’est vraiment soi. Ni entièrement autre.

Si tu le lis, c’est que je le vis.
Et que je l’ai dit.

***
Sourdine à deux temps

entrent des faisceaux
sans couleurs
ils absorbent malgré moi la chaleur

assise seule sur la chaise
où nous étions deux alors
je te peins en sourdine
de portraits musicaux

utopie voyage
d’un inexistant face à face
j’habite seule la pièce
où nous étions deux auparavant

les notes sont mes éphémérides
à combler le néant

comme une cale sans air
au bout du fond de tout
la couleur moutarde revêche
rythme l’esclavage qui bondit souvent


une heure de temps en temps
mon cœur dort sur le sol
où nous nous tenions à deux
n’effectue par son entrée
se protège des voleurs

et mon cœur en docks déserts
oublie un peu les pas de deux
grouille de rats agités et sourds

ils troublent d’émeutes à réprimer
tous les airs désemparés
même ceux mis en sourdine

Marie Mélisou, écrivaine jeunesse, poète, une enfance heureuse, sans histoire… remplie de mille histoires en livres...
Des déménagements qui se sont succédés, Paris, Toulouse, Paris, la Corse longtemps… puis en France. Je n’ai pas pu garder d’amis de ma tendre enfance. Une  boulimique de lecture.  Lire et écrire, obscurément, étaient déjà indissociables. Je fête mon trentième roman publié (souvent chez plusieurs éditeurs…) D’autres romans sont en gestation ou commandés pour les années à venir... la rencontrer sur son Site.


* Libre parole à ... Marie Mélisou (avril 2012)



PAULE DOYON


Paule Doyon, poète, romancière et conteuse québécoise, j'aime son imaginaire et son sens d'observation, sa poésie nous emmène le pas léger dans des sentiers connus. (choix Gertrude Millaire)


Petites fleurs anonymes


1.

Deux soeurs ce matin en robe blanche
ont surgi entre les herbes profondes.
les ombres un moment ont joué avec elles.
le soleil s'est baigné dans leurs corolles ouvertes
éclaboussant le feuillage autour
de ses gouttes de lumière…
 
 
2.

Les graines des xylis éclatent
dans le marécage soyeux des couleurs
leurs délicates fleurs d’or
essaiment vers leurs tiges et feuilles nues
se dispersent et nagent sur le silence
meurent à l’ombre du réel


3.

Dans l’ombre des sous-bois
vêtues de blanc de pourpre de couleurs
par grappes ou sur des tiges grêles
parées de feuilles
ces fleurs écoutent le chant des rivières
ou dorment dans les érablières
ou groupées en ombelles
emmêlées
dans l’humidité des marais de l’été


4.

Des petites cloches roses
rampent dans le printemps
à travers les cailloux
sur les terrains siliceux
brillent leurs feuilles luisantes
friandises pour les ours
leurs baies rouges
éclairent les rochers


5.

D’autres s’échappent
de leurs capitules
toutes fripées et violettes
sur des tiges poilues
elles courent
enlacées par leurs feuilles
le long des routes
tout l’automne


6.

Des petits souliers or et pourpre
s’agrippent à des lacets de feuilles
pour hanter printemps et été
trotter sur les berges des rivières
galoper le long des fossés
jouer à cache-cache
dans les forêts de conifères


7.

Cinq pétales écarlates
au centre de feuilles droites
et de fruits globuleux
animent les platières des rivières
les graviers le sable sec
et la pierre des rochers


8.

Des ombelles blanches
toutes petites
s’emmêlent en bouquets
dans les champs
pour fêter le printemps
 

9.

Des fleurs solitaires
aux longues tiges
aux feuilles robustes
aux fruits de laine
dans les bois rocailleux
de juillet
 

10.

Des épis beige et jaune
se bercent près de  l’eau
sur leurs feuilles-plumes
avec de minuscules fleurs
des disques d’or
éclatent
haut ou bas
à travers de folles lances vertes
dentelées
 


11.

Dans un fouillis de tiges fines
elles se balancent bleues
sur leurs feuilles étroites
dont meurent les basilaires
pour les laisser naître
les laisser folâtrer
sur les plateaux et les falaises
les rivages rocheux


12.

Échevelées elles émergent
de capitules frangés de noir
à travers des feuilles
vaguement pennées
roses  pourpres  blanches
leurs couleurs bordent
les chemins oubliés
consolent les terres incultes


et près d’elles parfois :

le roc silencieux
écoute le chant d'un ruisseau
qui court dans ses veines
brise le silence des arbres
dont les branches se penchent
pour respirer la fraîcheur de l'eau

Visiter son site et son blog d'où est tiré ce poème.


 
CONSTANTIN DE CHARDONNET



Constantin de Chardonnet, poète franco-roumain, (choix Dana Shishmanian)


Que reste-il ?
 
un rien est quelque part signalé
les premières exégèses ont déjà retenti

qu’un rien n’arrive jamais seul
ce monde en est la preuve

rien dévasté incessamment par le désir
ensemble scandale et arcane

puis l’âme a fait venir la neige
jusqu’au ras des vocables
rien ne t’est plus
plus ne t’est rien
et peut-on dire bonjour
quand il fait noir depuis
longtemps longtemps
ta part n’ont été que les nuits
plutôt blêmes que blanches
fausses couches d’une œuvre
adossée à l’écrit nu

heureux ceux qui n’ont pas eu de l’
amour car pleins d’une
meilleure et plus subtile insomnie
ils hanteront infatigables les petites
habitudes contiguës à nos tombes
de l’ambiant rien

(du volume Rienessence, 2000, p. 95)

***

[L’herbe anticipe]

l’herbe anticipe sur le néant
médiane herbe d’un phénomène pour soi
néant qui n’a d’être que par l’urgente
                  fureur de la neige

néant si pur si concret si rigoureux
                  champ d’âme
sans mélange sans aucun affleurement
s'immisce-t-il par charité dans les cœurs
                  alentour et sceptique

néant si foisonnant si vaste
fécond en avertis jardiniers en luminaires
                  amplement assez
en annonciades senties courbures d’imagination
mille milliers de mille d’yeux autant
                  de sang arable ô
                              merveillosité !
(…)

Dieu ! l’herbe c’est la neige…
                   l’imprécatoire neige la neige abstruse
                   l’horrifique neige car l’herbe m’est
                               une neige une trêve
                               d’iniquité
tantôt elle tombe s’affaisse et désespère
                   en telle sorte qu’elle se quitte elle-même
                   sortant de l’horizon
                   des vicissitudes des visages
tantôt elle s’amoncelle s’enlève et sur sa hauteur
                   nous emmène tous
                                ouvrant les éclatantes
                                portes du purgatoire

Madone des ciels aie pitié de ton converti d’une
                   existence d’art et fais
                   qu’à l’heure de la mort
    les herbes et les neiges soient avec lui !
fais qu’en l’au-delà l’entière et pleine jouissance
                   qu’il a eu d’elles
                   qu’il n’a eu que d’elles
    mûrisse plus qu’infinie

    (du volume Herbalies, 1995, p. 99 ; 101)

  


* Voir l'article Vie-Poète de ce mois consacré à Constantin De Chardonnet, présenté par Dana Shishmanian.


Coup de coeur de 
 Gertrude Millaire, Michel Ostertag, Dana Shishmanian 

  avril 2012

Pour lire les rubriques des anciens numéros :

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