GUEULE DE MOTS -ARCHIVES 2010-2011

   Jean-Pierre Lesieur - Serge Maisonnier - Juliette Clochelune... et plus

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GUEULE DE MOTS

Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage...
Cette rubrique reprend vie en 2010 pour laisser LIBRE  PAROLE À UN AUTEUR...
libre de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts littéraires, de son attachement à la poésie,
de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa vie parallèle
à l'écriture. etc.

Ce mois d'avril 2012

  Libre parole à… Marie Mélisou

Voici une auteure qui fait honneur à notre site en venant nous parler d’elle, de sa vie, ses passions, ses goûts littéraires. Marie Mélisou est une plume de qualité qui manie aussi bien la poésie que le roman pour la jeunesse. Son œuvre est importante, variée, abondante, touchant à des sujets divers. Après ce long texte sur elle-même, elle nous donne trois inédits qui finissent d’éclairer sa personnalité. Merci à elle pour tant de cadeaux. (Michel Ostertag)


L'exercice de parler de soi reste difficile. Non seulement parce que je passe une partie de ma vie dans les écoles, collèges, lycées, à déjà expliquer mon travail aux enfants et ados. Ensuite parce que ce que je pense est écrit sur mon site, reste d'actualité. Enfin, il est tellement plus simple de se cacher recouvrir dissimuler dans un roman ou un poème. Ou l'on est soi. Ou pas.

J'écris de la poésie le matin au lever, ou entre deux pages de roman, c'est un moment à moi, de totale liberté, où toutes mes émotions d'adulte peuvent passer librement de mes pensées au bout de mes doigts pour faire chanter le clavier, ce qui est l'inverse de mes écrits jeunesse où je mesure en permanence le dosage de ces émotions-là.

Lorsque je n'écris pas, je lis. Je lis énormément, et c'est une grande chance d'avoir ce temps-là. Je la paie un certain prix, mais peu importe !

J'ai pour habitude de dire que mon inspiration est divisée en trois tiers. Le premier, j'ai une mémoire à vif, intacte, de ce qui s'est déroulé dans mon enfance jusqu'à ce jour et je m'en sers. Le deuxième, je regarde je lis et j'écoute mes contemporains, les médias, les journaux, les livres, les écrits les dire, et je me surprends à vouloir restituer, déformer ou prendre le contre-pied de ce que j'enregistre. Enfin, cette fameuse inspiration... qui s'ouvre chez moi par flashs, par insights, et que je dois surtout écouter, car lorsqu'ils se referment, je perds à tout jamais ces instants de grâce.

C'est sûrement moins schématique que ce que je viens de décrire, mais ça s'en approche.

 

Mes goûts littéraires sont variés... Difficile de ne pas oublier des centaines d'auteurs lus et aimés, ou appréciés. Pour faire simple, sur mon bureau, j'ai sous le coude gauche Tristan Tzara "L'homme approximatif" et Jean Cocteau "Le Cap de Bonne-Espérance". Et à ma droite, les quatre derniers romans lus, "L'été en tente double", Jean-Luc Luciani, "Le potentiel érotique de ma femme", David Foenkinos, "L'autre moitié de moi-même", Anne-Laure Bondoux, "Je ne suis pas Eugénie Grandet", Shaïne Cassim qui attendent un résumé et ma modeste critique.

J'aime lire et relire l'oeuvre de Joyce Carol Oates, de Charles Dickens, Jonathan Coe, John Irving, Christian Bobin, Faulkner, Brautigan, Réné Frégni, Haruki Murakami, Fred Vargas et tant d'autres...

Lorsque j'aime vraiment un livre, je suis très curieuse de l'auteur et je vais aller dévorer tout ses livres les uns après les autres ; ça, c'est pour moi un vrai régal.

Pour les poètes, j'ai l'impression de ne pas respirer si je n'ai pas mon étagère de la nrf Poésie/Gallimard à côté. René Char, Henri Michaux, Philippe Jaccottet, Nino Judice, Constantin Cavafy, Paul Éluard, Aragon, Fernand Pessoa et Pablo Neruda arrivent en bonnes places. 

 

Mes moments d'écriture varient selon les saisons ou les événements que je transporte dans la vie. Je n'ai jamais aussi peu écrit que depuis trois ans, où j'ai traversé deux cancers avec de longs soins qui prenaient ma détermination, et maintenant la fin de vie de ma maman Alzheimer. C'est là que je vois qu'écrire est lâcher donner (s')offrir beaucoup d'énergie. Elle peut se décupler, mais à un moment cela s'arrête et il faut attendre que les batteries refassent le plein. 

En 12 ans j'ai publié 30 romans et quelques albums jeunesse, et 3 recueils de poésies, écrit pour vous et moi des milliers de poèmes, des dizaines de nouvelles. C'est dire si j'ai travaillé, travaillé, travaillé. Je ne suis pas ce que l'on appelle un "auteur maison", mon oeuvre est éparpillée chez différents éditeurs et cela me plaît. J'ai goûté ainsi aux joies des grandes maisons et des micros, pour comparer leur sens du contact, ou n'être qu'un numéro au catalogue !

Si, il y a quelques années, j'envoyais mes poèmes et écrits poétiques aux revues, aux éditeurs, cela m'a complètement passé. Je me fiche comme de ma première chaussette d'être publiée. Écrire et dire vrai, lutter, résister, reste le plus important. Après, la vanité de se voir publiée en revues... Pff ! Je n'ai pas le temps.

 

J'ai déménagé cinq fois en quelques années et à chacune des fois j'ai reproduit "ma tanière" de bureau à l'identique, avec mes étagères, mes objets, mes cadres, mes livres, mes papiers, pour  me remettre au travail au plus vite, dans un cadre connu dompté aimé. Normalement le matin, le téléphone ne doit pas sonner, j'écris. Mes copines ou amis savent que je papote l'après-midi. Mais en plein roman ma matinée d'écriture peut se transformer en douze heures non-stop au clavier.

Avant, j'allais nourrir mon inspiration et mon imaginaire au cinéma, jusqu'à dix fois par semaine, cela m'a complètement passé. Je préfère lire, lire et encore lire. Pas de tablette tactile, inutile de le dire. Pas de livre de bibliothèque, j'en suis incapable, j'ai besoin que le livre soit à moi. Aussi je suis entourée d'étagères avec plus de 4500 livres. C'est une addiction pas trop dangereuse ! Cette année 2012 devrait voir la parution d'un roman de science-fiction à gros tirage, un album pour les petits, et l'écriture d'au moins trois romans prêts dans ma tête.

 

J'écris directement le corps de mon texte, à partir d'idées réunies sur un cahier, ou à partir d'un titre porteur de mille promesses. Que ce soit pour les romans ou pour les poèmes.

J'écris complètement démontée par les infos catastrophiques déversées sur nous, ou émerveillée par le détail d'une photo que je viens de prendre ou le bon mot d'un proche.

J'écris souvent en tentant de réparer des injustices que je trouve criantes. Mon créneau et mon crédo alors se retrouvent.

Je suis minuscule. Mais vivante. Tous les jours. Et j'écris.

Je n'ai jamais eu l'ambition d'être Chateaubriand sinon rien... Tout ce que j'ai réussi je l'ai acquit très chèrement. La vie ne fait pas beaucoup de cadeaux, il faut savoir trouver les étoiles dans les yeux qui créent les occasions de vivre bellement. Si je recopiais des livres entiers de la biblio. rose à l'âge de 7-9 ans en croyant écrire... si j'écrivais des poèmes et de meilleures rédactions à l'adolescence, je n'imaginais absolument pas mon parcours actuel.

 

Dans 10 ans, j'aimerais avoir deux fois plus de sagesse, de volonté de lutter contre l'injustice et le double de livres publiés.

***



Voici trois inédits, pour vous...
Et merci d'avoir pris du temps avec moi...

 

"J'étais un enfant, ce monstre que les adultes fabriquent avec leurs regrets."

Jean-Paul Sartre

 

Comment ?

 

Écoeurements criards de la boîte à images, sortent des enfants sans jeunesse à venir à tenir sous un ciel corrosif qui se souvient de la terre plusieurs fois tremblée. Ils conjuguent morsures monstrueux crimes coups de bâtons presque sans pleurer, en révolte silencieuse car affamée, sur leurs maigres joues pâles et noires. 

Doivent-ils se réjouir, ces vivants, d'être esclaves ? 

Au loin, la rumeur frugale de ceux qui discutent dans des cimetières sans mandibules ne palpitent plus de leur enfance allongée volée saccagée éclatée sur une terre mille fois explosée. Leurs parents des déserts n'ont même pas d'eux une image figée pour pleurer ces plumes de lumière aux ailes volées. 

Doivent-ils sourire, ces innocents, d'être déjà partis ? 

Ailleurs, le monstre qu'est la folie des hommes en location, toujours insatisfaits, qui se côtoient en spirales radioactives, retombe sur des corps rebondis des sourires bridés des cerveaux lacérés et naîtront des petits d'homme mal formés à qui l'ont dira qu'il vaut mieux l'être que malfamés ! sans aucune possibilité d'envergure que de voir le soleil se lever encore et encore. 

Doivent-ils saluer les bêtes à deux têtes et plier en silence ?

Les misères et les jeux cruels continuent, plus loin qu'au loin, à jamais amputés de membres devenus fantômes sur l'horizon sans axe sans divan ni acropole simplement une folie de plus, le grouillant de chimériques portails de fragiles sauterelles d'anxieux ressacs d'un pays déchiré depuis la nuit des temps. La fascination des Pères du déluge au printemps final mastique les descendances les unes après les autres pour cracher des moignons des culs-de-jatte des manchots qui pourrissent sans jamais diriger.

Iront-ils joindre leurs cris aux cohortes fascinées ?

Les bergers chez les humains sont courants d'air dans le vent et je suis incapable de pleurer chaque petit ôté aux siens à la vie à l'espoir aux droits de l'Homme appliqués, quel déchirement !

Alors que l'on découvre ici GI 581c, ici-de-là l'ébène est encore du fretin dont on fait des esclaves, ailleurs ces bouts d'humains sont des boomerangs qui font aussi pare-balles, là-bas les peines en pleurs se muent en chagrins qui sanglotent, et le futur trébuche sur le pauvre espoir qui se noie. Les enfants sont plus tard demain toujours, comment n'y pensent-il pas ?

Marie Mélisou - 6 février 2012



*

"Tu m'as donné ta boue et j'en ai fait de l'or."
Charles Beaudelaire


dessiller les préjugés ambre des faux savants
qui déguisent jonglent se jouent de la vérité du sablier
voir agir la raison et comprendre l'abîme
enfreindre les bouquets de commandements
se trouver des excuses  à examiner la morale
aux doigts coupés de coeurs oubliés

je suis un débarcadère
et mes enfants des coquilles de noix

combattre ou débiter l'avènement absurde
dont les insensés les faibles usent comme d'un progrès
soupçonner les compilateurs mis sur la sellette
le paraître aux effets funestes mange
leurs impostures toujours renouvelées
et seuls les anges invisibles ont des bornes

je suis bercée d'illusions
et mes enfants des clés de portes vermoulues

accorder chaque pensée comme un piano
est une bouée qui s'échappe de mes bras
ou une éternité tirée sur mes yeux


Marie Mélisou - 7 février 2012

**

"L'obsession de l'ailleurs c'est l'impossibilité de l'instant ; et cette impossibilité est la nostalgie même."
Emil Michel Cioran


bal de givre

sans bouger mes vitres rejettent l'horizon
face aux branches dressées contre la glace
qui s'ouvre les veines et anéantie l'idée de l'été

le délice oublié des glissades enfantines
à faire l'ange aux ailes battues
et l'écho froid qui voudrait se taire refuse ce temps nacré
où pourrait geler mon corps sans cheminée lumière

je promène mon souffle sur le tien
ni fatigue ni heure ni ennui
dentelles paisibles et rondes précieuses
tu es mon feu un jour de bal de givre
et me réchauffes en sculptant des murs en vie


Marie Mélisou - 9 février 2012


 

***



Un peu plus...

- Son site

Sur Francopolis

- Coup de coeur  (mars) (avril)

- Compte-rendu de son Livre " Le marchand de bisou" par Michel Ostertag

- Yeux décousus (2010)

- Invité au Salon 2006





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