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Coup de coeur : Archives 2010-2011

  Une escale à la rubrique "Coup de coeur"
poème qui nous a particulièrement touché par sa qualité, son originalité, sa valeur.



 
( un tableau de Bruno Aimetti)


À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes, d'un niveau d'écriture souvent excellent, toujours intéressant et en mouvement.
Nous redonnons vie ici  à vos textes qui nous ont séduit que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.


Poème Coup de Coeur du Comité
MARS 2012


choix d'Eliette Vialle...         Ernest Pépin        
choix de Gertrude Millaire
...  Marie Mélisou
choix de Michel Ostertag...   Stéphane Bernard
choix d'André Chenet...        Ernest Pépin 
choix de Dana Shishmanian...Eric Dubois
                





STEPHANE  BERNARD
Stéphane Bernard, à la lecture méticuleuse et attentive d’autant de richesses, il est bien malaisé de faire un choix. J’ai choisi deux poèmes parmi tous ceux présentés et dix haïkus particulièrement pointus. Je vous souhaite autant de plaisir que j’ai eu à les lire. (choix Michel Ostertag)

Les mots rouges

c’est plusieurs fois par semaine maintenant.
une petite note écrite en rouge,
bien en évidence sur le sous-main de son bureau.
un reproche, l’aveu d’une déception.
les dernières syllabes en capitales.

puis c’est le silence abyssal à table à l’heure du dîner
où personne ne parle, ni ne parlera.

et cette appréhension double maintenant
quand il rentre de l’école

et qu’il pousse la porte de sa chambre et qu’il a faim.


saignée

tu crois nécessaire que je note tes remarques ?
ce qui blesse ne s’oublie pas.

tes remarques, oui, me blessent.
mais si positivement.

je corrigerai donc ce que tu remarques,
et qui me blesse.



Tabula rasa

croyez-le, mes enfants,
votre héritage est une table rase.
tout ce rien que je vous lègue,
c’est tout le désert où je me suis investi.
un lieu propre,
assaini du mieux que j’ai pu.
pas une bâtisse paraphée de la main du bonheur,
mais un simple hectare de terre meuble
qui blessera le moins vos pas tendres.
y demeurent quelques déblais, quelques décombres,
et le soc a remonté les éclats,
pour le bien de notre histoire, oui,
ce petit jeu où chercher
quand nous entendons crisser les racines
en nous au loin.
et sur le seuil de votre espace hérité,
écrit au poing dans la terre,
à la griffe
dans le noir fertile,
mes derniers mots plus noirs
et grouillant de cette pleine santé que sont les vers.
deux mots qui commencent.

HAÏKUS
le poisson rouge parle
je n'entends pas sa langue
nos deux silences


sur le trottoir étroit
un parapluie m’abrite
le temps d’un regard


de l’écluse à la route
les chants des oiseaux
font un pont






la lune fuit
doucement
les mots m’échappent                       
 

deux grands essuie-glaces blancs
dans la nuit
couple d’aveugles           


buvant
à la surface de mon thé
le soleil


un oiseau de nuit
dans le Palais des Papes
vient écouter du jazz

 
bruit de baisers
dans le couloir
la voisine n’est plus seule


le châtaigner cet hiver
ne donne plus d’ombre
qu’à lui-même

cette pleine lune d’août
je n’ai besoin que d’elle
pour écrire




&&&

Stéphane Bernard est né à Saint-Nazaire en 1972. Il vit à Rennes depuis 1998. A été publié dans N4728, Verso, Diérèse, Gong, Haïkaï, 575, Les Etats Civils, FPDV, Microbe, Magnapoets.
Son site : une main est aussi un poing  est abondant, riche en poèmes, suivis de 152 Haïkus tous plus beaux les uns que les autres.
Voir aussi, la rubrique Libre parole... pour en apprendre plus sur cet auteur.


ERNEST  PÉPIN

Ernest Pépin,  né le 25 septembre 1950 à Castel Lamentin (Guadeloupe). Il a exercé diverses activités. Il fut notamment professeur de français, critique littéraire, animateur d’émissions littéraires sur France 3, consultant à l’Unesco… Faugas, le 15 Mars 2010m et plus sur Wikipédia. (choix André Chenet)


Biguine Antillaise pour Jean Ferrat
 
La montagne s’est couverte de fleurs noires
D’étranges hirondelles ont recueilli ta voix
Et nous voilà demandant aux étoiles
Où est passé le juste qui semait des poèmes
Quand la terre portait les fruits de la douleur
Et quand coulait le rêve dans les yeux des ruisseaux
Le temps est un grand chant qui borde le chemin
Il renaît aux lèvres du matin
Avant de s’en aller bercer l’univers
Et l’ombre de la mémoire qui palpite de souffrir
Mais le vent
Mais le souffle
Mais cette voix de pays où bourgeonne l’été
Que fredonne la vie comme un feu de bois
Et nous voilà demandant aux étoiles
Quand reviendra le juste qui chantait Aragon
Et qui nous enseignait la tendresse des mots
Ce langage équitable de l’homme inconsolé
Ce petit peu d’amour sur la crête des sans voix
Pourtant
La montagne reprendra ses couleurs
Désarmera la douleur
L’oubli
Et les cristaux des larmes
La montagne
Chantera
Chantera
Jean Ferrat
Comme chantent les galets au fond des rivières
Comme chantent les îles le dimanche à midi
Et ce sera ton vrai visage
Jean Ferrat
J’appelle ta voile gonflée de soleils insoumis
Cette lave au cœur rouge du sanglot des lampes
Qu’allument sans désemparer la confession des fleurs
Et ta voix de poète.


 


MARIE MELISOU

Marie Mélisou, juste pour le plaisir du partage, de l'accompagner dans sa pensée. (Gertrude Millaire)

trois lignes japonisantes

les yeux ouverts tu t'es jetée dans les orties
pour trouver l'instant exact
le tranquille qui ne hait jamais les hommes

tu n'as jamais craché de toutes tes forces
est-ce assez dit ?
un oiseau à tire de vol te voyait foudroyée

ce jeux de pièges dont personne ne revient
ni debout ni indemne
descendre cette pente réduite à mille secrets

le courage de penser au lendemain
toujours l'oubli de ton coeur
toujours ton sourire illumine nos faiblesses navrées

je traîne tes trois lignes japonisantes
toujours comptées miroir de toi
si clair et compliqué à en mourir

Marie Mélisou - 27 janvier 2012
En pensant à Juliette Clochelune...


ERNEST  PÉPIN

Ernest Pépin,
né en 1950, Pointe à Pitre - Gadeloupe. Parle le français et le créole gouadeloupéen.
(Éliette Vialle)


À tous les reconduits
 

Fils des murailles
Nous avons transporté les bosses du désert
Jusqu’aux portes du refus
La terre sous nos pieds déroulait ses frontières
Hissait des barbelés
Et refusait nos mains de pèlerins
Les passeurs cassaient nos âmes
Nos corps marqués au fer du soleil
Nos langues  sèches  de barbares errants
Et froidement tétaient l’argent de nos exils
 
C’est l’heure d’une folie douce
Nos genoux ont balisé l’enfer
Notre faim a mangé la poussière
Et nos silences ont grimpé la tour de Babel
C’est l’heure d’une folie douce
Là-bas
La ville amarre la misère
Le visage de l’épouse allume une feuille morte
L’enfant qui naît enjambe l’avenir
Là-bas la mort embarque les jours
Et les nuits dévorent la chair des étoiles


Nous sommes d’un long voyage
Un voyage d’ancêtres au cœur maigre
Un voyage de sauterelles affamées
Un voyage de pays sous perfusion
Un voyage d’ombres sans corps
 
Nous sommes de ce voyage
Où les nuits font  contrebande de chair
Où les jours ont honte de leur soleil
Où les hommes quémandent le droit de respirer
 
Nous sommes de ce voyage
Nos yeux chavirent comme des pirogues blessées
Nos mains dénouent le nombril des vents
Et nul arbre n’accueille l’ombre de nos rêves
 
Partir n’est pas partir
Quand les murs sont vivants
Partir n’est pas partir
Quand l’oiseau est sans nid
Partir n’est pas partir
Quand la terre se cloisonne
Dans la peur des peuples
 
Nos pas effraient la tour Eiffel
Les capitales repues du sel des colonies
Les usines à chômage
Les bourreaux d’arc-en-ciel
Les bourses mondialisées
Et les marchands de peau
Nos pas  dérangent la marche du monde
Nos pas vont en fraude supplier l’horizon
Ils ne savent pas ouvrir les monnaies  de l’accueil
Et ils s’en retournent humiliés
D’avoir à retourner
Au seuil de nous-mêmes
 
 
 Est-ce la peau qui refoule
Est-ce l’homme qui dit non
Nous sommes les arpenteurs du refus
Les déserteurs sans papiers
Les capitales ont tissé nos douleurs
Et leurs lumières sont des flocons de sang
Des feux rouges sans paupières
Des enseignes interdites
 
 
Insectes saisonniers
Nous jouons
A recoudre l’espace
Derrière l’incendie
Nous jouons des jeux de prisonniers
Le monde entier est notre prison
Et nous jouons nos vies
Au casino des riches
 




Voici venue la saison des fleuves vides
Voici venue la saison des barbelés
Voici venue la saison des marées humaines
Voici venue la saison des esclaves volontaires
Même le village a mangé son midi
Et nos villes drapées dans la poussière
Sortent des seins maigres comme des aiguilles


 

Ô pays !
 
Nous avions rendez-vous avec les pays du rêve
Avec une autre géographie
Avec les grandes puissances de l’or et de l’euro
Leurs villes sont des vallées de miel
Des cornes d’abondance
Et leur pain quotidien récite sa prière
A l’ombre des cathédrales
 
 
Nous n’avons rien à déclarer sinon la faim
la faim n’a pas de passeport
Nous n’avons rien à déclarer sinon la vie
la vie n’est pas une marchandise
Nous n’avons rien à déclarer sinon l’humanité
L’humanité n’est pas une nationalité
La misère ne passe pas
Passager clandestin
Elle retourne au pays
 
Nos sandales ont usé les nuits
Nos pieds nus ont écorché les dunes
La  rosée pleurait une terre inhumaine
Et nos mains mendiaient une autre main
Les drapeaux ont peur de leurs promesses
Ils se sont enroulés comme des scolopendres
Notre soif est retournée au feu de notre gorge
Et la vie nous a tourné son dos
 
Tout homme qui s’en va défie l’entour
Dessouche une nation
Et lézarde une étoile
Et dans ses yeux grésillent une autre vie
Son feuillage est d’outre-mer
Quand tout au loin luit son désastre
Il fait troupeau vers les quatre saisons
Il fait tombeau aux bornages
 
O  nègres marrons !
 
Ce sont forêts de béton et d’arbres chauves
Souviens-toi de l’enfant mort d’atterrir
En un seul bloc de froidure
Dessous le ventre de l’avion
Souviens-toi de sa mort  d’oiseau gelé
Souviens-toi
 
Et toi reconduit
Econduit
Déviré
Jeté par-dessus bord
Taureau d’herbe sèche
Regarde toi passer  sur ta terre
Les yeux baissés
Et sur la joue le crachat des nations
 
 
 
 
Ils ont faim du soleil
Mais le soleil a faim aussi
(Parole de poète)
Demande-toi où est ton lieu
Ton seul lieu d’accueil
Tu inventeras ta terre
 











ERIC  DUBOIS

Eric Dubois, extraits de "Ce que dit un naufrage", éd. Encres vives, janvier 2012 (choix Dana Shishmanian)


J’entends la nuit
et ses plages de silence

J’entends le temps
battre

Près de nous

Le chemin fleurir
sur la jetée

Sa réponse d’écume

Un souvenir haletant
de ventre de femme

Quelques mots
écrits


***

Quelque chose
comme un consentement
à l’inabouti

Un regard en dit long
sur toute la surface
du corps

Le cœur est rempli
de choses désuètes
et légères

Il y a ce commencement
du monde que les gestes
peinent à contenir

Et le jour qui avance
dans une transition si douce
qu’on en oublie le poids

Maintenant que le mot
doit dire précisément.



Voir la note de lecture de son recueil "Ce que dit un naufrage"
dans
Lecture Chronique de Dana Shishmanian

coup de coeur de
 Éliette Vialle, Gertrude Millaire, Michel Ostertag,
André Chenet, Dana Shishmanian 
 

 mars
2012

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