GUEULE DE MOTS -ARCHIVES 2010-2011

   Jean-Pierre Lesieur - Serge Maisonnier - Juliette Clochelune... et plus

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GUEULE DE MOTS

Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage...
Cette rubrique reprend vie en 2010 pour laisser LIBRE  PAROLE À UN AUTEUR...
libre de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts littéraires, de son attachement à la poésie,
de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa vie parallèle
à l'écriture. etc.

Ce mois de mars 2012

  Libre parole à… Stéphane Bernard

L’écrivain, le poète Stéphane Bernard, connu du monde du Net, nous livre ici ses réflexions, ses ruminations quant à sa vie face à la poésie, à cet art poétique qui le hante depuis l’adolescence, ces mots, tous ces mots qui le fascinent, l’attirent et lui font peur tout à la fois. La découverte du monde de la poésie par le biais des grands auteurs, Rimbaud surtout, lui procure des envies furieuses d’écrire, mais le but semble s’éloigner quand on croit le toucher. Domestiquer les cimes n’est pas chose facile. Le temps passe et la réalité pousse à plus de modestie avec toujours au creux du ventre ce besoin viscéral d’écrire. L’écriture sinon rien, c’est-à-dire un vide dans sa vie. Ce texte nous renvoie à nous tous, à nos propres questionnements : Poète ? Mais pourquoi faire ? La question est mal posée : Poète malgré tout, malgré soi. On ne choisit pas son mode de pensée, notre propre sensibilité dicte notre façon d’être, de nous exprimer et la poésie devient vite un unique moule dans lequel nous sommes de tout temps, tout simplement. Pour mieux connaître cet auteur, son site personnel nous éclaire sur sa personnalité à-travers son œuvre.1 (Michel Ostertag)

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Une fugue désormais rituelle. Ce banc nazairien, en retrait de la pluie, “bureau” où je reçois désormais l’unique ami. Où sont les autres ? Y en a-t-il jamais eus ? Puis à nouveau seul, à nouveau le souci quant au chemin, invisible, mais qui appelle, là, quelque part. Voix ténue qu’étouffe tout ce bruit que je suis devenu. Il me reste le choix opaque. L’habituel choix opaque. Persister dans l’orgueil, affamé, ou céder, la poitrine faible, mais le ventre plein.

Non. Il y a maintenant ces pages. Ces pages que je tourne et bois ou qui me boivent. J’ai presque acheté ça par accident. Je provoque un peu. Je veux être autre. C’est-à-dire moi. Le livre est mince et le jeune poète a mon âge exact.

Mon domaine étriqué prend l’air. Je n’écope pas. Je laisse entrer cette voix de partout. Je ne vois plus, c’est une lumière qui d’abord nourrit. La digérer éclairera peut-être mon chemin.

Quand je découvre la vie du poète, la stupéfaction du parallèle est violente. Mes pensées, enfin écloses, quintuplées par la beauté du cri qui les crée, m’absorbent autant que ce cri lui-même qui grimpe et retombe sans pause sur la page.

La Saison de Rimbaud. Porte sur soi ouvrant sur le flux sans fond de l’être, avec tout le fatalisme ordinaire consigné ici, dehors, à la patère de la morale. Une porte donnant sur d’autres portes. Dont certaines auront pour poignée une plume... Depuis je n’ai cessé d’écrire. Comme d’abandonner d’écrire.

Mais le temps a passé. Maintenant une bonne journée est une journée, non sans écriture, mais sans le désir d’écrire. Ou bien un jour assagi à des mots d’ascète, des mots d’oiseau, de fleur, de neige. Sans hommes.

Je pourrais sans doute écrire chaque jour. Ce que j’ai fait un temps. Je ne veux plus désormais graver que ce qui me marque. Me force et me fait.

Le grand projet intérieur serait certainement d’écrire un poème inépuisable, réversible, extensible qui contiendrait tout sans le paraître. Quelque chose de l’antique au contemporain, et d’un trivial capital. Un cri articulé qui viendrait de si loin en soi qu’il serait la première voix que nous contenons tous. Une voix de singe, de poisson ou de métazoaire.

Écrire aussi pour ne plus avoir à écrire. Parce qu’arrêter d’écrire réactive toujours plus son désir.

La poésie est une semaison par l’art et qui germe dans la vie. Elle apprend à être. Ecrire de la poésie prépare à un état. Elle enseigne l’acuité, le bond dans tout être, le retrait, à réduire sa présence en un point qui se place partout, prend à ce qui l’entoure mais rend comme une graine.

Et pour qui la crée comme pour qui la reçoit, la poésie est toujours un baume. Un baume à base de coups. Coups dans l’âme. Coups au cœur. Coups d’œil.

Une partie de ce que j’écris transcrit également – dans un idiome clarifié cette fois – l’attachement que je porte à mon propre monde (c’est-à-dire l’énervement positif ou négatif qu’il me procure). Parce que je ne sais pas parler sans trébucher, sans ridicule, à cause d’une opiniâtreté particulière. Peut-être parce qu’aux revendications désuètes ou déviantes.
 

Trois choses m’étonnent infiniment avec un poème.

Qu’une fois écrit il semble avoir toujours été, m’avoir précédé dans l’existence. Ainsi qu’être ce souffle qui me traverse et qui vient d’ailleurs, (...) ce qui vient d’ailleurs, ce qui va plus loin (Jacques Dupin).

Que ces mots agencés par une main heureuse sont le code d’une voix qui ne meurt pas. L’idée de l’immortalité de cette voix n’est plus nourrie aujourd’hui par le désir des lauriers (parce que je suis père et parce qu’en tant que père toute idée de gloire est dérisoire, obsolète) mais par la volonté de laisser une autre dimension de soi. Un jeu déconcertant où l’être résonne et se découvre. Une voix qui ne trompera pas. Qui ne changera que si l’on change sa manière de l’entendre. Qui aura été encodée dans un instant honnête, même si l’instant d’après le doute relisait tout près.

Enfin, que tout cela soit presque rien. Je lis un poème de Reznikoff, une épigramme de Callimaque et me dis : finalement tout ça n’est pas grand-chose. Quelques signes à portée de toutes les plumes. Oui. Car le travail est invisible. Comme le temps. La brouette rouge de Williams, par exemple. C’est un petit choc doux. A chaque fois. Encore. C’est d’une magie remarquable. Mais si discrète. L’impact du mystère est dans cet agencement parfait. L’on vit et c’est presque rien. Et c’est pour cette communion entre le vivant et ce qui ne meurt pas que je vis presque.

 

Depuis ce printemps pluvieux de 90, l’esprit aiguisé par cette confession masquée de la vierge folle, j’ai beaucoup supprimé. J’ai radicalisé ma vie. J’ai voulu être un surréaliste, un dada, un beat. Un poète. A vingt-deux ans j’avais composé un recueil de poèmes de mes quatre premières années d’écriture. Métaphores métaphoriques, pour ainsi dire. Illisible. Il n’en reste aujourd’hui qu’une relique pour mon cœur fétichiste. Il y eut un drame en vers aussi. Inachevé bien sûr (et comique malgré lui). Trop de Breton, trop de Shelley. L’année d’après, ce fut un roman d’anticipation très hargneux. El hombre invisible souriait pas loin. Et puis un journal (mais surtout pas plus de cinq jours), un poème humaniste par ci, un bout d’essai misanthrope par là (ou était-ce le contraire ?). Autant dire maintes tentatives d’une volonté poreuse et fragile. Et puis il y avait le désir de peinture. Ce cul entre deux chaises. Des essais avortés, des ratages... Et l’abandon de tout ce trop. L’avènement d’une certaine clarté au sein même de ma période la plus trouble. 2001. Deux évènements me mettent au pied du mur. Et c’est un journal assidu cette fois durant trois années. Les poètes américains, les Chinois de la dynastie des Tang et Yeats qui me remettent en selle. M’apprennent ce qu’est vraiment “écrire de la poésie”. C’est semble-t-il le bon départ. J’ai détruit ce journal il y a trois mois. Certaines bonnes choses (rares) auront disparu, mais réapparaîtront sous quelque forme que ce soit si elles en valent la peine. Ce journal aura été une présence de coulisses. La cale sèche du vaisseau. Sa coque achevée, l’eau entre dans la forme, la porte s’ouvre, il surnage. Ce qui soutenait sa croissance est noyé.
2004 aura été mon baptême. L’année où j’ai appris à finir.

 

Publier – même si j’y renonce régulièrement, par mélancolie ou déception – m’apporte une vue non négligeable sur le chemin fait et celui qui reste à faire. J’ai souvent dû me forcer pour publier. Ecrire, pour moi, c’est monnayer au kilo mes tripes dans des cageots sur le marché. Ma seule chance et mon plus grand malheur serait de ne pas en vendre, ai-je noté à une époque où je gravitais dans les limbes d’une activité poétique encore fantasmée (2000 ?). Il est plus facile d’être nu sur scène quand on a l’assurance de sa beauté.

 

Une autre chose dure, c’est d’apprendre à accepter le compliment. Mais ne pas l’accepter, par mésestime de soi, reviendrait à dévaluer l’esprit qui nous en gratifie. Ce même compliment peut m’abattre (comment dire ? pas assez de pages ici... ou le doute, encore le doute... ), quand une sévère critique peut me relever (mais alors plutôt le lendemain !)

 

"Me reprochent de n’avoir pas fait telles choses que je me suis interdites", écrivait Valéry dans son magistral Ego scriptor. Cela illustre assez toute cette possibilité d’échec que contient un langage. Parler brouille. Epaissit le mystère. Isole. Et l’isolement est réellement insoluble. Il faut plutôt chercher la parade dans son acceptation, ce qui est loin de ne pas être un sport de combat. Je crois néanmoins, et ce, quasi invariablement, que la poésie n’est pas simplement “parler”. Des poèmes doivent être écrits. Qu’ils soient lus, aimés ou compris est secondaire. Qu’ils existent dans toute leur diversité de ton ou de langue est tout ce qui compte. Ils sont là comme l’eau ou l’air. Ils attendent que la nécessité les détecte.

 

Rien n’est moins simple pour moi que de faire face chaque seconde à l’imposteur à l’affût dans ma voix, dans mon geste. L’idée de la plus infime trahison me hante (et chaque jour cependant je trahis plus que ça). Elle est une influence très négative et qui alimente majoritairement la déception dont je parle plus haut, et qui me pousse hors des sentiers de l’édition.

 

Les éditeurs ? Ma seule certitude : je ne sais pas m’adresser à eux. Faut-il viser quelque part entre la génuflexion et le poing sur le front ? Sans doute pas. Sans doute je ne saurai pas. J’ai le rêve parfois d’un éditeur qui m’ordonnerait. D’une main amicale et ferme. A l’avis tranchant. Et qui me menacerait d’échéances.

 

Je ne suis pas léger, mais grave. C’est parce que je crains d’écrire. Alors sévèrement j’écris. Cette sévérité est pour moi. Je n’ai appris à écrire qu’en compagnie des meilleurs de nos morts. Alors bien sûr je trouve ma poésie trop martiale, trop solennelle. Je la voudrais moins armée, sans chute, plus tendre, plus souple. Elle est aussi un peu anachronique.

 

Je ne me sens pas non plus pleinement poète, même si je le dis parfois parce qu’il est plus facile de le dire que de l’infirmer. Une certaine paresse me retire d’avance du débat.

 

J’aurais été si heureux toutefois, à dix-huit ans, d’écrire ce que j’écris là. Tout cela fut fortement désiré, oui. Cela n’empêche, c’est inespéré. Peut-être pas de sommets en vue, mais le dénivelé franchi était considérable.



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Stéphane Bernard
est né à Saint-Nazaire en 1972. Il vit à Rennes depuis 1998.
A été publié dans : N4728, Verso, Diérèse, Gong, Haïkaï, 575, Les Etats Civils, FPDV, Microbe, Magnapoets.



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Quelques poèmes
Stéphane Bernard, coup de coeur de Michel Ostertag






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