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Coup de coeur : Archives 2010-2013

  Une escale à la rubrique "Coup de coeur"
poème qui nous a particulièrement touché par sa qualité, son originalité, sa valeur.



 
( un tableau de Bruno Aimetti)


À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes, d'un niveau d'écriture souvent excellent,
toujours intéressant et en mouvement.

Nous redonnons vie ici à vos textes qui nous ont séduit
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.


Poème Coup de Coeur du Comité

AVRIL 2014

Christophe Bregaint
Eric Chassefière
Robert Cuffi
Jacques Dupin
Louise Warren
Kevin Broda



CHRISTOPHE  BREGAINT

Christophe Bregaint, vit en France, choix Éliette Vialle
Conjurés
Sauvez-vous l’avant-jour est mort
La file de reptiles veut avoir son soir fasciste
Tournent leurs vestes autour de vous aussi
Tout près les moutons sortent des égouts exprès
Croient même à l’infini de leur idole
Ca bave de tout côté
Ca demande qu’on sorte du futur
Et là
Braille une vieille toxine
Bandent les légions grises
Sur le pied de guerre
Fuck ils sont chauds là
Des vagues de fourmis brandissent l’ordre moral
Vomi
Ca avoisine la répugnance d’une latrine
Tous ces porcs qui crachotent sur l’estrade
Un dégoût glacial mais en plus mauvais
Cette merde gratte les yeux
Et accourt au-dehors
Dès l’aube sur les quais
La désespérance a tiré au sort
Quelle peau morflerait
Voici le pire
Ca va vers vous aussi
Cette racaille sortie de son antre comme tu le sais
Maintenant tu peux être neutre ou versatile
Il y a tant d’aveugles par ailleurs
Qui défendra ta vie
Tout compte fait ne compte que sur toi pour ça
Les après sont tous vampires
Aucune oriflamme ne mérite que nous restions en laisse

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ERIC  CHASSEFIÈRE

Éric Chassefière, poéte français, choix Dana Shishmanian


Trois respirations d’ Eric Chassefière

La journée s’écoule paisible loin de soi-même
le glissement du pas se confond à celui des mots
le soir vient l’ombre de la forêt envahit tout
le vaisseau du ciel très haut accoste la nuit
et sous mes pieds les feuilles sont des étoiles

    ***

Au matin nous n’ouvrirons qu’un volet
celui de la fenêtre qui donne sur le jardin
un rectangle de clarté s’imprimera sur le plancher
la lumière un bref moment nous éblouira
c’est en elle qu’on entendra chanter les oiseaux
dans cette lumière qui est aussi silence
obscurité de mots et de pensées
et quand le jardin sera devenu silence
que la lumière toute entière posée sur les murs
aura déserté le cours de notre mémoire
nous pourrons enfin devenir présents à nous-mêmes
entrer dans le jardin nous y promener
fouler l’herbe encore humide de rosée
cueillir l’une des violettes qui poussent là
au milieu des plis serrés de nos pas
puis la posant sur la longue table de bois
en observer l’immobile bourgeonnement de peau
dans la lumière qui est à l’intérieur des choses

    ***

Chaleur sous le pelage du vent
des os sombres de la terre
des vieux arbres rongés de lierre
hautes herbes comme une eau remuée
soleil aux peaux fugaces
les mains sont écriture
je respire par le corps

Extraits du recueil Fragments du dernier hiver suivi de Je respire par le corps, Interventions à haute voix, Chaville, décembre 2013

Eric Chassefière est l’auteur d’une vingtaine de recueils de poèmes, qui, à part celui du début en 1987, s’accumulent dans un rythme soutenu, à plusieurs par an, depuis 2009.  C’est une poésie d’introspection mais aussi d’exploration du monde où tout se lie, la parole traverse les espaces comme en de grandes respirations brassant tout sur leur passage : l’esprit souffle où il veut…

* Choix des libraires, son recueil Peint de noir

  
ROBERT CUFFI

Robert Cuffi, choix Michel Ostertag
CHANSON POUR TOI

Je vais dire des mots, tous les mots que je sais
Et pour toi mon amour, jusqu'au dernier ressac
Mes falaises de vent que tu brodais d'oiseaux
Ma vie sourde avant toi, tu étais en enfance
Sur mon seuil je t'attends au premier pas de danse
Dans l'ourlet de la nuit quand les vagues s'avancent
Quand je te cherche encore, sur le sel de la peau
Et que je t'aime clair de toute éternité
Je vais te voir au fond de mon mal d'écriture
Que je veux partager, que je veux te lisser
Pour que les hommes souffrent de te savoir si belle
Quand tes grands soleils noirs dévorent tes paupières
Je vais dire des mots, les enfouis et les sales
Des accrocs qui me blessent, qui ordonnent d'écrire
Imprudent maladroit jusqu'à forcer le trait
J'irai te reconnaître au chaud de chaque Espagne
Perclus, buté, tout seul, avec toi je prends l'aile
J'efface mes silences pour que s'ouvre le temps
Pour qu'un dernier rivage nous affole de vent
Sur une plage immense notre amour face à face
J'engage des étoiles au coeur de chaque vague
Des filets qui retiennent les années qui nous passent
Nos pauvres déchirures avec ton ciré rouge
Quand le bleu éclatait au bout de tes cheveux
Notre folie commune au fond du mois d'Octobre
Quand je pleurais de voir ton double sur ton ventre
Quand j'étais démuni, assailli de tendresse
Tu regardais ta fille comme on découvre un monde
Je détaille la ville et je te sais partout
Comme une ballerine sur ma scène de vie
Je t'ouvre ma mémoire qui commence avec toi
Tes cheveux sont défaits sur le bord de ma nuit.

Robert Cuffi, poète-auteur-compositeur. Jadis pilier du site ecrits-vains.com. Ami d’Allain Leprest. Poète, il a créé un mot qui le définit parfaitement: "chantauteur".

Il écrit en effet des chansons "à texte", il en compose la musique et les chante avec un talent incomparable.

Auteur publié chez Francopolis



JACQUES DUPIN


 

Jacques Dupin, poète français, choix de Dominque Zinenberg
Le règne minéral

Dans ce pays la foudre fait germer la pierre.
Sur les pitons qui commandent les gorges
Des tours ruinés se dressent
Comme autant de torches mentales actives
Qui raniment les nuits de grand vent
L'instinct de mort dans le sang du carrier.
Toutes les veines du granit
Vont se dénouer dans ses yeux.
Le feu jamais ne guérira de nous
Le feu qui parle notre langue.

*
L'immunité

En attendant que le feu se déclare
Dans les combles et au-dessus du toit,
Pour effacer le feuillage fébrile
Qui s'épanche hors des murs et croule dans la mer,
Pour maintenir le sentier blanc
Sous une grêle silencieuse,
Pour détacher l'inintelligible fragment,
Que ne trahit que sa couleur imprécatoire,
Pour atteindre le bois de votre porte hostile,
Pour entamer le froid de votre coeur muré,
La mèche lente et l'huile pauvre de ma voix,
Veilleuse au jardin le plus bas,
Évocatrice balbutiante de la tour.

*
Seuil de son corps murmurant

ce livre
à la lampe je le dédie
à la lampe c'est-à-dire à la nuit
même dôme et même clarté
même indifférence et même
intimité vindicative
lampe et nuit insondables et proches
de la question que le calme infini
de dehors chuchote en l'étouffant
comme on se détourne d'un crime
ce livre je le casse en vous regardant
choses nues
malgré l'amarre souterraine
malgré le pas mortel
inaccoutumé

*
Une forêt nous précède
et nous tient lieu de corps
et modifie les figures et dresse
la grille
d'un supplice spacieux
où l'on se regarde mourir
avec des forces inépuisables
mourir revenir
à la pensée de son reflux compact
comme s'écrit l'effraction, le soleil
toujours au coeur et à l'orée
de grands arbres transparents

***


* Il me reste, ô lecteurs, à vous conseiller non pas de lire mais de dire à haute voix, sobrement, sans la moindre emphase ces quelques poèmes de Jacques Dupin que j'ai choisis, car c'est ainsi que l'on peut apprécier au delà du signifié, obscur, le signifiant qui diffracte sa lumière cruelle quoique bienfaitrice.

Jacques Dupin est né à Privas, en Ardèche le 3 mars 1927 et s'est éteint le 27 octobre 2012, à Paris. Il passe son enfance au sein d'un hôpital psychiatrique dirigé par son père.
Il fait ses études de droit et d'histoire à Paris. Dès 1947, il rencontre René Char qui préfacera en 1950 son premier recueil: Cendrier du voyage.

(En apprendre plus sur cet Auteur dans notre rubrique
Une Vie, un Poète (avril 2014)

**
Et pourquoi pas terminer cette lecture sur une note épicée offerte par Dominique !

Ce sont d'épices les poussières courant les siècles et les monts, coulant dans les ravines et les mortiers et répandant des vagues ocres sur la terre; des aromates percussions, des aromates -stigmates pour déesses et des feux fauves alléchant les palais et déliant les langues. Nous sommes épices noires, essaimant dans la fièvre un jet de senteurs poivré ; nous sommes rouges, volcans crachant des laves safranées et des piments comme bec d'oiseau; nous sommes ivoires comme un cumin, comme un gingembre, et soleil couchant nos curcumas et nos bétels ; et nous volons, musique ancienne, rythme sauvage et nous voulons, semelles au vent, vanille et cannelles
enivrer l'horizon, nous, nos cyclones sont des mets et nos secousses des festins.
Nous sommes les passeurs d'histoires et de légendes, nous sommes les récits des fêtes et des foules et nous scandons par nos éclats de pourpre et de genièvre, par nos douceurs de paprika et de muscade, par le flot balsamique de nos chants, le battement des vies de nos ancêtres et nous recommençons la course de la nôtre, risquant le cri de cette empreinte.
Dominique Zinenberg
(extrait de Les Feuillets d'obsidienne,2011)



KEVIN BRODA


Kévin Broda, poète publié dans Kahel #2, choix Karim Cornali

L’AUTRE RIVE

aujourd'hui
encore quelques pas
vers la lumière
en compagnie de ma femme
aujourd'hui
je n'ai pas peur
du vide
je l'attend même
aujourd'hui
je mets mes gants
et je traverse
le grand froid
tête haute
les yeux fixés
sur l'autre rive

( publié dans Kahel #2 (revue des poètes voyageurs).

Visité son Blog Kévin Broda

 
LOUISE WARREN

        Louise Warren, poète et essayiste du Québec, choix Gertrude Millaire
J’ai peur
j’ai peur pour eux, là-bas
calme-toi, mais calme-toi
c’est l’œil qui décide, c’est la langue qui parle
fermer un texte m’affole
j’ai promis de tout dire
hier encore
hier
ils ont téléphoné
les amours morts
au bout du fil
ils veulent savoir
s’il reste quelque chose de vivant
de sensible
un sentiment, un souvenir ou
à peine un regard
au fond de la fosse
colonne de mots
les pans du monde disparaissent
comment dormir quand une voix demande
à qui sont ces yeux
lettres et journaux m’emportent
vont finir par m’emporter
je reviens, je reviens sans cesse
le blanc sur le blanc
et moi qui demande la paix

Je dis que je suis allée là-bas
que j'ai marché, tellement marché
palmeraies rouges, villes souterraines
charrettes passent, ziggourats, vertiges,
les lettres tombent avec les toits des maisons,
avec les bombes, avec un peuple.

Le monde est-il fini ?
Ai-je encore le temps de tirer les rideaux
de glisser ma main dans les cheveux de mon fils
de boutonner son manteau ?

On nous montre les morts et les blessés
les visages en éclats
dans les décombres
les yeux des enfants
au-dessus de la mort
la nuit me réveille
combien de morts, combien ?
combien d'amour enterré ?
Terre noire ! Terre noire!
la femme à la tête qui balance
j'emporte son visage dans le vent
dans la pliure de son voile
blanc visage emporté
la souffrance explose des montagnes
c'est cela que j'ai appris de mes yeux
c'est cela que nous regardons
et puis le blanc des visages
des drapeaux qui flottent
et puis nous regardons l'eau

Scorpions dans le sable
je demande comment se fait-il que
les lacs, l'eau nous apaisent
parce que le ciel s'y reflète
parce qu'on ne peut rien y planter
je ne suis plus seule pour traverser la nuit
nous la traversons ensemble
mon souffle sur mon bras
mon souffle à la fenêtre
ma bouche dans la buée
contre la chaleur du verre
et nos têtes ensemble
laisse ta tête, laisse-la
revenir un autre jour
en langue inverse
tout traduire
me rassembler
jusque-là
à l'intérieur des feuilles
le petit la petite endormie
mais la pâleur, une telle pâleur
ne demande rien d'autre que la présence
chaude et pleine de tes mains
leurs évanouissements
de la joue à l'épaule
leurs apparitions
boucle d'oreille se balance
sur une scène immobile
la poussière tombe
ne finit plus de tomber
la bouche ce trou noir
où la langue repose
s'ouvre
je dis un seul poème
c'est toi, c'est ton pas
amour
et moi vivante en vous. 1


**

Parfois le présent contient trop de présence, trop de présent. On sent que la lumière entre dans les doigts, que les maisons rétrécissent. Il faut alors orienter le temps, tracer un sentier, creuser un fossé, suivre une fourmi, marcher seule. 
« Nous, paroles inquiètes » 2

1.
(Tiré du recueil Terra incognita, Montréal, Éditions du remue-ménage, 1992.)
L’écriture, comme dira l’auteure à la fin de son livre dans «Page de journal», donne parfois accès à une sorte de
« révélation » sur nous-mêmes.


2. (extrait tiré de Anthologie du présent, coup de cœur des libraires Renaud-Bray 2012)... éd. du Passage
« On lit ce recueil comme on visite Venise. »
« un livre qui est assez long et lent, qui prend son temps. »

Voir aussi dans Francopolis,
du même auteur : Essai et Poésie (Pied des mots)


Visiter son site Louise Warren

Louise Warren, poète et essayiste québécoise a publié une vingtaine de recueils et quelques essais et de nombreux prix et mentions ont salué son oeuvre. Ses poèmes ont été traduits et publiés dans plusieurs pays.

Coup de coeur
 
Dana Shishmanian, Michel Ostertag
 Éliette Vialle, Dominique Zinenberg
Gertrude Millaire et Karim Cornali
Francopolis, avril 2014


Pour lire les rubriques des anciens numéros :

http://www.francopolis.net/rubriques/rubriquesarchive.html