ACCUEIL



Coup de coeur : Archives 2010-2011

  Une escale à la rubrique "Coup de coeur"
poème qui nous a particulièrement touché par sa qualité, son originalité, sa valeur.



 
( un tableau de Bruno Aimetti)


À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes, d'un niveau d'écriture souvent excellent, toujours intéressant et en mouvement.
Nous redonnons vie ici  à vos textes qui nous ont séduit que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.


Poème Coup de Coeur du Comité
MAI 2012


              
choix de Gertrude Millaire
...    Michèle Lalonde
choix de Michel Ostertag...     Flavie Cros  
choix de Dana Shishmanian...  Thélyson Orélien
choix d'André Chenet...          Umar Timol

                






UMAR TIMOL

M
Umar Timol, un auteur qui n'a plus besion d'être présenté à Francopolis. (choix André Chenet)


L'Autre,

Et, pourtant, comme un enfant qui retrouve le sein de sa maman, tu retourneras vers les mots, tu ne pourras pas t'en empêcher, tu retourneras en ce lieu nocturne - île quand les mots sont récalcitrants et continent quand ils sont enfiévrés - et tu te remettras à écrire, nouvelle ferveur, nouvelle intensité, avec ce sentiment tenace de ne pouvoir être autrement, de ne pouvoir faire que ça, tu t'en voudras d'obéir à cet appel, à cette injonction, tu t'en voudras de désirer encore les mots, de désirer encore les soudoyer, les malmener, les dépoussiérer et tu ne pourras pas t'empêcher de penser aux Autres, aux auteurs et aux livres que tu aimes et tu resteras pantelant, intimidé et tu voudras t'en aller, fuir, oublier ta sotte prétention, cette présomption grotesque, tu voudras, comme un vieux chat, te lover dans le corps chaud de la nuit et dormir mais plus tard, tout à l'heure, tu reviendras et tu te diras que tu es imposteur, poussière aux pieds du poème, car c'est ce que tu es, tu ne sais pas écrire, tu es maladroit et hésitant, tu ne fais que te répéter, tu n'inventes rien, si peut-être un vers un peu moins mauvais que les autres mais sinon rien, et tu resteras comme ça à ne rien faire, à attendre et parfois celui - l'Autre - qui est pur frénésie, pur lyrisme, descendra en toi et il plantera ses griffes dans ta chair, la digue cèdera et comme un automate tu transposeras ce flot ininterrompu qu'il a longtemps, - bien longtemps, avant la naissance du poème - , agencé, soudé, construit, l'Autre en toi tisse sa toile au mépris de ce que tu es, de ce que tu prétend être, lui n'a nul besoin d'être reconnu, nul besoin d'être aimé, il ne guette pas les louanges qui te permettent d'y croire, lui ne songe pas à la mort, lui ne demande pas une vaine postérité, lui n'a nul besoin d'affecter des grimaces à la comédie des convenances, il est impassible, presque indifférent, sa volonté ce sont les mots, il les manufacture selon ses caprices, selon ses envies, son devoir est de les forger en éblouissements et après quand tu reviendras inspecter ses méfaits tu te demanderas ce qu'il est, es-tu ou est-il l'apprenti sorcier qui confectionne de tels vertiges, de tels abysses et tu te répèteras que ça ne peut pas être toi, que c'est l'autre qui sait l'alchimie des mots, que c'est l'autre qui est le démiurge mais lui n'a que faire de tes hésitations, de ta mauvaise conscience, il n'est pas là pour se donner en spectacle, il a pour dessein de se vomir sur la page et tu t'en voudras d'être ainsi, tu t'en voudras d'être le dépositaire consentant d'un tel asservissement, tu t'en voudras de ne pas être un artisan réconcilié, quelqu'un qui exerce son art sereinement et qui sait son pouvoir et ses limites mais, tout à l'heure, plus tard, inéluctablement, tu reviendras vers l'Autre car il est le souffle créateur, il est ce vent de minuit qui embrase les cathédrales de feu et de glace, car il est en toi sans être toi, celui qui puise dans la matière infinie de ton être, vecteur de tes sens et du sens, celui qui t'accompagnera jusqu'aux portes de la mort, celui qui les ouvrira et celui qui fera de ta dernière parole, de ta dernière syllabe, de ta dernière lettre un poème.


Umar Timol, Île Maurice
Francopolis : Francosemailles et Librairie




MICHÈLE LALONDE


Michèle Lalonde, poète québécoise, ce poème très d'actualité dans les années 70, est malheureusement encore d'époque par le recul du francais au Québec. La défense du français est toujours d'actualité. (choix Gertrude Millaire)


Speak White

Speak white
il est si beau de vous entendre
parler de Paradise Lost
ou du profil gracieux et anonyme qui tremble dans les sonnets de Shakespeare

nous sommes un peuple inculte et bègue
mais ne sommes pas sourds au génie d'une langue
parlez avec l'accent de Milton et Byron et Shelley et Keats
speak white
et pardonnez-nous de n'avoir pour réponse
que les chants rauques de nos ancêtres
et le chagrin de Nelligan

speak white
parlez de choses et d'autres
parlez-nous de la Grande Charte
ou du monument à Lincoln
du charme gris de la Tamise
de l'eau rose du Potomac
parlez-nous de vos traditions
nous sommes un peuple peu brillant
mais fort capable d'apprécier
toute l'importance des crumpets
ou du Boston Tea Party

mais quand vous really speak white
quand vous get down to brass tacks

pour parler du gracious living
et parler du standard de vie
et de la Grande Société
un peu plus fort alors speak white
haussez vos voix de contremaîtres
nous sommes un peu durs d'oreille
nous vivons trop près des machines
et n'entendons que notre souffle au-dessus des outils

speak white and loud
qu'on vous entende
de Saint-Henri à Saint-Domingue
oui quelle admirable langue
pour embaucher
donner des ordres
fixer l'heure de la mort à l'ouvrage
et de la pause qui rafraîchit
et ravigote le dollar

speak white
tell us that God is a great big shot
and that we're paid to trust him
speak white
parlez-nous production profits et pourcentages
speak white
c'est une langue riche
pour acheter
mais pour se vendre
mais pour se vendre à perte d'âme
mais pour se vendre

ah !
speak white
big deal
mais pour vous dire
l'éternité d'un jour de grève
pour raconter
une vie de peuple-concierge
mais pour rentrer chez nous le soir
à l'heure où le soleil s'en vient crever au-dessus des ruelles
mais pour vous dire oui que le soleil se couche oui
chaque jour de nos vies à l'est de vos empires
rien ne vaut une langue à jurons
notre parlure pas très propre
tachée de cambouis et d'huile

speak white
soyez à l'aise dans vos mots
nous sommes un peuple rancunier
mais ne reprochons à personne
d'avoir le monopole
de la correction de langage

dans la langue douce de Shakespeare
avec l'accent de Longfellow
parlez un français pur et atrocement blanc
comme au Viêt-Nam au Congo
parlez un allemand impeccable
une étoile jaune entre les dents
parlez russe parlez rappel à l'ordre parlez répression
speak white
c'est une langue universelle
nous sommes nés pour la comprendre
avec ses mots lacrymogènes
avec ses mots matraques

speak white
tell us again about Freedom and Democracy
nous savons que liberté est un mot noir
comme la misère est nègre
et comme le sang se mêle à la poussière des rues d'Alger ou de Little Rock

speak white
de Westminster à Washington relayez-vous
speak white comme à Wall Street
white comme à Watts
be civilized
et comprenez notre parler de circonstance
quand vous nous demandez poliment
how do you do
et nous entendez vous répondre
we're doing all right
we're doing fine
we
are not alone

nous savons
que nous ne sommes pas seuls. 


L'insulte speak white est une injonction raciste permettant d'agresser ceux qui appartiennent à un groupe minoritaire, et qui se permettent de parler une autre langue que l'anglais dans un lieu public.
Au Québec, l'usage de cette insulte a continué jusque dans les années 1960, elle a diminué avec la prise de conscience qui a accompagné la Révolution tranquille. (Source Wikepedia)

                  



FLAVIE CROS


Flavie Cros, cette poésie faite de mots simples me repose des textes trop souvent alambiqués, hermétiques où la poésie n’est pas toujours apparente. (choix Michel Ostertag )

Musique

La musique me place en face de moi-même
Face au concret
Face à l’abstrait
Face à ce que je devrais être
Et que je ne suis pas

La musique c’est la nuance, le souvenir, l’émotion
Le passé, le présent, l’avenir, l’indéfinissable, la crainte
Le pardon, l’abstraction
C’est le rythme, l’histoire, le prologue et la conclusion
C’est le chatoiement de notes, de couleurs,
L’expression d’un sentiment secret
« l’impalpable bonheur »

Clavecin, piano, harpe
Violons, flûtes ou guitares
J’aime la poésie du son
Mais non le tintamarre
C’est un souffle d’air pur
Pour le cœur qui s’asphyxie
C’est l’élan du cœur d’un enfant vers sa maman
C’est l’au pure qui jaillit
C’est la fusion de deux opinions
C’est un autre soi-même, au-delà du réel
C’est la connaissance face à l’ignorance
C’est l’interprétation d’un tableau fantastique
Ce sont des doigts mystiques
Qui se promènent dans l’espace
Des robes mousseline qui valsent
Et puis l’oubli, le vide profond
De la musique interrompue…



Le chemin du cœur

Cœur en écharpe, Cœur en émoi
Cœur brisé, délaissé
Cœur de l’été
Cœur sur la main
La main du cœur
Cœur dur comme une pierre
Cœur d’une mère
Cœur dur
Cœur pur
Cœur à cœur
Cœur gai, cœur gros, cœur à rire
Cœur d’or
Et que dirai-je encore
Un sans cœur

Comment trouver le chemin du cœur ?


Ces deux poèmes ont été tirés du recueil de Flavie Cros intitulé « Le bonheur » édité chez Thélès
Ce recueil relate une vie dans un petit village de l’Hérault. Une vie heureuse, près des gens et de la nature.

Flavie Cros évoque ces lieux et ces époques sans jamais les nommer, avec une grande pudeur et beaucoup de délicatesse Avec des mots simples, des expressions qui ne sortent pas d’une longue maturation intellectuelle mais simplement du cœur,  elle a le don de recréer une atmosphère, des paysages contemplés, décrire des moments où l’âme du poète est toujours présente, ce qui donne des poèmes d’émotion qui provoquent en nous un écho à ce que nous sommes, nous aussi, amoureux d’un bonheur que nous teintons souvent de nostalgie…

A la justesse des mots s’ajoutent la couleur et la musique, elle sait trouver une grande variété de rythme, de la rivière qui court à l’hirondelle dans le ciel, mais aussi la pluie qui crépite, les bateaux décorés comme harnachés prêts pour la course, une mer indomptable et fantasque, également la solitude à deux ou seul à seul, le temps de vivre ou de mourir tout un bonheur parfois insaisissable.

Flavie Cros réside aujourd’hui entre Martigues et son petit village de l’Hérault, et continue de cultiver son jardin secret avec discrétion.

« Le bonheur » de Flavie Cros, poésie, éditions Thélès, 2011, 44 pages, 13 euros.


* Entrevue Vidéos sur Maritima TV




THÉLYSON ORÉLIEN


Thélyson Orélien, poète haïtien (choix Dana Shishmanian) 

Un récit sans histoires

Un récit sans histoires
De simples passés
De soulagements bouleversés
Le son de rêves en sommeil
Cette sortie pour de bon
au bon début
de débit d’encre

J’écris ici la profondeur d’une muse
Si confuse
Si éminente
Si teneuse
Tumultueuse et sonore
Le nord de la tête plongé dans les murs
En rime
En prose
Le sens contre bouleversera

D’ici
De là
De là-bas
Chanter les marges de la vie
sur folies des êtres
Et dépressions et déceptions
écrites dans la boue
comme dans l’eau froide
plein de peines

Sépulture qui ne peut apprendre à mourir
affranchira néant qui enveloppe le temps

La mort
Tel un faucon plane
Et guette sa proie
de tout son poids
Ici partout
Ailleurs nul ailleurs

L’enlèvement de ce balai
Immortelle solitude
aux creux d’une histoire assidue
L’apodicticité de misère
Fruit de la parure
Lenteur de délivrances
vers onde ensoleillée
de paix et de joie



Illusion à l’envers

Illusion à l’envers
d’une histoire de sel
J’irai à l’irréversibilité du temps
à l’accord de l’ordure
aux palmiers
vers les buissons étendus

Voilà l’or
qui n’est pas diamant
en ce jour de meurtrissures ovales

Je récuse tranches de vie
Bouleversée
Consignée dans la page 
La magie de la force attrayante
aux vers clairs
qui créent la peur dans l’âme
Ces angoisses dûment vécues

La perte
Les gaspillages
Les croyances bâclées
Pour ne pas les lire

J’espère au temps d’apaisement

Mon revirement
vers l’eau de la vie invisible
Les basculements
Les refoulements de la fin du mois
Du moi en ville
Très vil sobre
De cris silencieux d’adieux
et d’amours brutales



Du mépris de la grammaire

Du mépris de la grammaire
j’en ferai ma règle.
Jeux de mots
Jeux de vagues
La certitude anucléée

Je me supplie d’écrire lieux
que protègent lierres
Espace privilégié de l’attente
Ce chant pour amuser le jour
dans l’absence d’un alphabet
Contemplations néfastes
en accents muets
Fascinations exigées d’averses
qui font pleurer
lamenter
viser le non-sens 

Cesse de croire mes droits
apprivoisés des larmes
Seul pierre-mot



Mon chant
Je me souviens
Des remugles rances du soleil sur le bois des galetas
De la fermeté des voiles
Des longs linceuls de sel
Dans cette ville de chimères
 
Et je rumine encore le chant
Du destin qui m’attend
Quelque part de l’ignorance de l’aube
 
Pour ceux que je combats
Je n’ai aucune haine
Pour ceux que je défends
Je n’ai aucun amour
 
Nulle loi
Nul devoir ne m’oblige à me battre
Ni conseils de notables
Ni clameurs de la foule
 
Seul le puisant appel
D’une joie solitaire
M’a conduit dans le tumulte des nuages
 
Je fais de mon chant un smoking  
Une casaque couverte de dentelles
De mythologies rénovées
Des pieds jusqu’aux épaules
Des sans-aveux me l’ont arraché
Et s’en sont vêtus aux yeux du monde
 
Laisse-le, veux-tu
Mon chant
Il y a plus de courage à marcher nu.


Thélyson Orélien, poète haïtien. Il est également la tête de file et principal animateur des jeunes poètes haïtiens groupés autour du blog Parole en archipel.  « Rassembleur de vie et de voix », comme il se définit lui-même.



Coup de coeur de 

  André Chenet, Gertrude Millaire,
Michel Ostertag,
Dana Shishmanian 

  mai 2012

Pour lire les rubriques des anciens numéros :

http://www.francopolis.net/rubriques/rubriquesarchive.html