GUEULE DE MOTS -ARCHIVES 2010

Eric Dubois - Hélène Soris - Laurence Bouvet

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GUEULE DE MOTS

Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage...
Cette rubrique reprend vie en 2010 pour laisser LIBRE  PAROLE À UN AUTEUR...
libre de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts littéraires, de son attachement à la poésie,
de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa vie parallèle
à l'écriture. etc

Ce mois de décembre 2010

  Libre parole à… GILLES BIZIEN

Les artistes aujourd’hui savent montrer les différentes facettes de leurs talents : ils sont poètes, écrivains, peintres, récitants, et en écriture savent passer de la poésie à la nouvelle, en édition papier ou en version numérique.
Ils adhèrent pleinement à toutes ces technologies qui font l’essentiel de notre vie actuelle.

Ce mois-ci, c’est avec un immense plaisir que je vous présente Gilles Bizien.
Artiste complet s’il en est.
En parallèle à la poésie, il écrit des textes fantastiques publiés chez l’éditeur québécois, Popfiction.

Pour les lecteurs de francopolis, Gilles Bizien livre ici une longue réflexion sur l’acte d’écrire, l’implication personnelle qu’il demande, la place importante qu’il prend dans la vie même d’un auteur.
Longue réflexion qui nous offre un réel plaisir de lecture, avec l’invitation d’en   assurer un prolongement personnel.

 (Michel Ostertag)
 

Gilles Bizien : Pourquoi écrire

Il n’est jamais simple de répondre à cette question : « Pourquoi écrire ? » ou « Pourquoi écrivez-vous ? ». Tout d’abord parce que cela relève de l’intimité. Ce que l’on peut assurément noter chez la plupart des écrivains, c’est le désir de répondre à un besoin vital de donner une existence à une nécessité intérieure. Comme le dit Roland Barthes : « La littérature ne permet pas de marcher, mais elle permet de respirer ». J’aime beaucoup cette citation de Franz Kafka : « La littérature est assaut contre la frontière », j’ajouterai simplement contre la frontière intérieure : le besoin d’écrire. Frontière, borne, délimitation, démarcation, limite, comme on voudra pour matérialiser l’impérieux besoin de création au centre de soi. Pour autant, il ne faudrait pas prendre cette réflexion pour de l’égocentrisme. Mais plutôt comme une irrésistible, une pressante injonction à coller au plus proche de soi même.

Similairement, on retrouve souvent la question tournée dans un autre sens. Tel que : « Faut-il avoir quelque chose à dire pour écrire ? ». Quelque chose d’intelligible ? Au fond, on revient au questionnement initial. C’est cette nécessité intérieure qui est le message des auteurs. Cette motivation intime qui est véritablement un aveu, une déclaration, en amont de la production littéraire proprement dite. Si je ressens ce besoin c’est que fatalement, j’ai quelque chose à dire. Alors, ma parole vaut.  

Il faudrait ajouter un mot sur « Quoi écrire ? ». A mon sens, cela s’apparente plutôt aux considérations d’ordres techniques. Le genre, la traduction matérielle d’une pensée, le style, l’objectif, etc.…Ce qui ne nous intéresse pas ici.

On pourrait mentionner le fait que l’écriture, une fois l’œuvre produite, échappe toujours à l’auteur. En quelque sorte, l’écrivain n’a plus la main sur ce qu’il a produit. L’œuvre prend parfois une ampleur sociétale, une dimension sociale, une envergure culturelle étonnante, sans que cela soit prémédité. L’œuvre symbolise quelquefois, entre les balises morales de l’homme et des sociétés, l’insoumission, la dépravation, des idées neuves, un regard de haute volée sur le monde. Ce qui n’est pas sans engendrer de l’étonnement, de la sympathie, de la répugnance, de la haine. L’oeuvre est parfois récupérée à des fins politiques ou sert des causes humanistes. Cependant, tout cela bien plus loin en aval du cocon intime et profond qui l’a fait naître.  

Bien sûr, on pourra trouver chez d’autres des motivations différentes. Il y a autant de raison d’écrire que d’écrivain. Par exemple, l’auteur de pamphlets aura pour but de s’attaquer à un pouvoir quelconque, de dénoncer des injustices. Un romancier axera son défi sur le plaisir, le rêve, l’évasion, qu’il pourra donner aux lecteurs.

Mais pour se comprendre, il est bon de se poser la question suivante : « Que serait ma vie sans l’écriture ? ». Pourrais-je vivre sans cela ? Serais-je en phase avec moi-même ? Vivre tout simplement serait-il possible ?

J’écris pour être vivant. J’écris parce que je dois écrire. Je ne suis ni forçat ni galérien. Je ne tire aucun wagon trompeur, faux, feint. Ce sont les wagons qui me poussent. Sans eux, je n’aurai pas même conscience d’être dans un souterrain. J’écris pour ne pas étouffer, pour me baigner pleinement dans ce ruisseau intime qui coule entre les roches de mes poumons. J’écris parce que sans cela mes nerfs, mes fibres, n’auraient pas la vibration conforme.  J’écris pour que l’ébranlement de mes membres fasse sourdre cette musique interne, le frissonnement idoine. Je ne suis ni embastillé ni captif. Je suis vivant.

Le poème apparaît, chaque fois qu’une peuplade solaire de sons et d’images s’installe dans la poitrine ou couve sous le fleuve de peau du corps. Chaque fois qu’un monde équivoque circule comme du sang neuf dans les artères. Le poème naît d’un effondrement enfantin. De la plus petite particule qui voyage en fraude telle une fée miniature et hallucinée entre les routes ferroviaires de l’espérance.

Parfois une pluie new-yorkaise, l’écume bleue d’une caresse, ruissellent sur les barreaux qui encagent le cœur. Quand le jour s’épuise, il y a ce soulèvement, cette tension justificative de la vie, à l’intérieur. Il y a la part de malédiction, la saignée, une étoile, un coin de nuage, dansant sur les pupilles. Tout ce qui nous consume et nous maintient vivant paradoxalement.

Mais qu’importe la mer, les arbres aux épaules de ruffians, le sable poudreux qui tombent des astres, sans les mots. Qu’importe la mer, les arbres, le sable, sans les mots au-dedans. A quoi servirait le long roucoulement de l’espace au dessus de nos têtes, si ce n’est pour vivre incroyablement proche du poème. Je sais que la chanson de nos vies manque de couleur. Je sais que ta silhouette pleine de fragments, d’impacts de rêve, comme nous tous, quitte souvent le monde. Cargos fantômes, tu dérives vers un  port de fortune ressemblant à un baiser sans amour. La dérive même est notre patrie.

Nos bras sont trop courts, lessivés. Nous n’attrapons qu’avec les yeux. Parce que tout se répond, tout se fait écho dans le cœur des choses. Il suffit d’écouter les choses et les êtres qui les traversent pour comprendre qu’il n’y a ni ordre ni désordre dans ce qui nous entoure. Les choses sont de longues trajectoires non statiques, des météores, des sortes d’aérolithes aux traînées vaporeuses. Elles nous paraissent immobiles alors qu’elles sont en réalité des vortex avalant la conscience. Les êtres pour la plupart ne sont pas conscients qu’ils marchent au travers de champs de forces qui pourraient effacer leurs craintes, porter leur douleur, écraser leur lassitude.

Des chevaux insaisissables chahutés par le vent atterrissent sur l’hiver, sur le pétale scintillant de quartz de nos fuites. Les signes sur les visages ne trompent pas, reflètent le besoin, l’île qui nous manque. Hoquets sur nos vies, je veux voir le globe de verre des eaux rouler sous des ponts gracieux comme des goélettes. Je vais, je viens, entre enfer et dérisoire. Amour sans paradis, paradis sans illusion. Je veux toucher le double. Le sol, un échiquier de confusions, plate-forme mouvante, aérogare avec toi au milieu.

Ce qui coule le long des fissures, le courant, une lisière verticale. Adjoints aux souterrains de nos envoûtements, les cultes grossiers, les accouplements avec la mort. Le ciel sous terre est un lac acide. Le ciel sous terre abrite des animaux qui n’étancheront jamais notre solitude. Des animaux ailés qui cependant rampent, qui ne verront plus la lumière, enfermés dans la noirceur. Cerfs aux ramures brûlées par des cosmos nocturnes, loups prisonniers de leurs légendes, animaux miroirs. Mais voyagent-ils plus que l’homme ? Laissent-ils des traces sur le sol et les cœurs ? Connaissent-ils les prières des pauvres gens ?

Le père cherche ses enfants. Le fils cherche une caresse dans les yeux de sa mère. Les fontaines s’appellent des sources. Aurore miraculeuse que personne ne traverse. Peut-être que les enfants chétifs partent encore en pèlerinage vers l’espoir sur des traîneaux bleus. Peut-être que les mains des amants bruissent à la façon de l’eau vive. Tandis que s’enlisent les bourreaux dans des gloires fabriquées.

C’est comme cueillir le rêve sur le dos de la mort. Ca dépasse l’espace et le temps. Il n’y a ni besoin de croyances ni d’église, juste la soif galactique du plongeon. 

On pourrait pleurer après le dépouillement. Trimbaler nos carcasses alcoolisées sur de l’asphalte trempé d’urine sans toucher aux gouffres derrière les yeux. On pourrait continuer à écrire sans voir, comme penser au ciel sans jamais y monter, comme s’empaler sur un horizon perdu en nous et non au-delà de nous. Qui niera qu’écrire n’est pas aussi l’arbre sensible où nous accrochons nos furtifs mirages, nos brèves amours. Pourtant personne n’en revient vraiment. Personne n’en revient vraiment car il y a plus. Pays évanescent certes, bras de vent qui écartent les forteresses et les remparts, qui creusent la terre brune gonflée de cadavres. A la fois déclin et enfance.

Avant, il fallut renoncer aux promesses. Se cacher au travers du monde trop grand. Trop grand pour moi, trop grand pour toi. Même quand l’idée rassurante d’un nuage déroulant sa main, ses séquences baroques, sur la rue, ne devenait plus accessoire. Il fallait bien continuer à lutter. Tout au moins avancer. Ne pas laisser pourrir le fouillis de caillasses emplissant la voix. Ne pas laisser se perdre la preuve de l’attention portée aux multitudes d’éternités contenues dans l’instant.

J’entends toujours crisser ce train. Je l’entends distinctement. Il roule sur des voies ultra ferrées. Il pénètre des tunnels saturés de lumière. Je perçois les sons agressifs que les wagons produisent. Un hurlement mécanique comme vomi par des bouches invisibles. Des milliers de bouches paranoïaques d’une foule fantomatique. Des visages et des corps altérés, flottants, qui ne peuvent traverser le rideau du réel.

Où va ce train ? A-t-il une destination ? Emporte t-il des passagers ? Les larges fenêtres vitrées des wagons défilent à grande vitesse. Je voudrais que ce train soit le train de l’écriture. Je voudrais monter dedans, m’y installer. Je sentirais sa carcasse métallique m’envelopper ou plutôt m’emprisonner. Qu’il s’arrête un instant pour que je puisse monter dedans. Je ne veux pas rester à quai. Même en marche, il me semble que je peux même monter à l’intérieur. Malgré la vitesse. Malgré le rugissement de ses roues d’acier. Malgré le vacarme assourdissant de sa marche. Je veux être lui. Je désire m’intégrer à son corps, faire partie de ses atomes, de sa tôle rectangulaire et constellée de rivets. Je veux qu’il m’avale, qu’il m’engloutisse, que son exosquelette ne fasse qu’une bouchée de moi. Je veux être le rêve d’un rêve.

Mais le poème ne saurait être autre chose qu’un indice. Quand le poème apparaît, ce que je vois est double. Il y a ce que je suis mêlé aux mondes qui s’ouvrent. Il y a toutes ces impermanences tangibles.
 

Pour finir, un mot sur l’universel :

Un poète, un écrivain, doit mettre au monde des œuvres qui témoignent du haut degré d’intelligence de l’espèce humaine. Et cela dans le but d’étouffer chez l’homme les penchants pour la destruction, le mercantilisme, la violence, l’asservissement… Il doit être un émissaire de sa propre culture et des cultures contemporaines que le génie humain à su développer. Il doit être un miroir de ce que nous sommes sans en occulter la moindre part.
C’est vers l’universel qu’il faut aller. Chaque peuple possède un héritage à transmettre, un morceau du puzzle universel. Un héritage spirituel témoignant de son rapport au monde. Les écrivains, les poètes, les artistes, sont sans doute les symboles les plus marquants de cet héritage culturel. Ils ont en eux les ressources qui permettent de rendre visible l’universel. Je dis souvent que l’universel est atteint quand le visible et l’invisible se rejoignent.
La littérature et à plus forte raison la poésie, doivent nous parler de l’homme, de sa condition, de son génie, sans cependant écarter les abysses de ténèbres inhérents à sa nature. La littérature et la poésie doivent véhiculer les composantes universelles de l’homme. Parfois même en prenant des parties prix peu défendables à première vue. Mais est-ce véritablement un paradoxe ?

Bien sûr, l’universel est un langage abordable et compréhensible par tous. Bien sûr, je le répète encore, le champ de valeurs universelles, valeurs que certains appellent négatives lorsqu’elles décrivent la monstruosité de l’homme ou positives lorsqu’elles se bornent à décrire les sentiments les plus nobles de l’espèce humaine, adopte des formes, des genres, des styles, des singularités multiples. L’universel est une boule à facettes dont chaque fragment est un témoignage précieux qui ne peut être réduit à un positionnement politique. La création dans cette acceptation, se situe au-delà des clivages et des luttes d’influence. La création n’est que témoignage spirituel. (Gilles Bizien)




Gilles Bizien : dernière parution

 

Spectres et autres noirceurs, recueil de nouvelles fantastiques, aux Éditions Popfiction.

- Lire des critiques de Spectres et autres noirceurs :

Blog : Vampire

Blog : Limaginaria




Enfant pour l’enfer : Editions Popfiction


Si la peur, recueil de poèmes, aux Editions Ex Aequo

 

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