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GUEULE DE MOTS
Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un
visage...
Cette
rubrique reprend vie en 2010 pour laisser LIBRE PAROLE À
UN AUTEUR...
libre
de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts
littéraires, de son attachement à la poésie,
de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons
d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa
vie parallèle
à l'écriture. etc
Ce mois... avril 2014
Libre
parole
à…
Karim Cornali et
Marie-Josée
Christien
Dialogue
autour
de « Petites notes d’amertume »
de Marie-Josée Christien
(Editions Sauvages, 1er trimestre 2014).
K.
Bonjour Marie-José,
J'aimerais que sous la forme d'un dialogue, nous parlions de tes Petites
notes d'amertume qui viennent de paraître
aux Editions
Sauvages. C'est pour la revue en ligne Francopolis dont je viens tout
juste de devenir membre. Est-ce que tu veux bien? Je pense tout garder
de cette correspondance par mails, comme, par exemple, tout ce que je
suis en train d'écrire là tout de suite quand je tape sur
les touches de mon clavier.
Amicalement,
Karim
M-J.
Bonjour Karim,
Pourquoi pas ? Aimant "plus que tout la complicité intense du
dialogue", c'est une idée qui ne peut que m'enthousiasmer.
A bientôt,
Marie Josée
K.
« La complicité intense du dialogue » dont tu parles
me rappelle cette phrase de ton recueil : « S’il n’y avait
l’espoir de la partager un jour, l’écriture serait bien vaine.
» Je ne me lasse pas de relire tes fragments, sans doute parce
que tu cherches vraiment à dialoguer avec ton lecteur.
Contrairement à une écriture hermétique, tes
pensées diffusent de la clarté sur tous les sujets qui te
sont essentiels, et je peux alors m’en nourrir et cheminer avec toi.
Pour qui, pourquoi écrit-on ?
M-J.
Ecrire est pour moi avant tout une impérieuse
nécessité intérieure. Je suis consciente que toute
écriture authentique mêle voix personnelle et voix
collective. Parce que je suis un être social, fait d'une
histoire et d'une culture, que j'ai la même expérience de
vie que tout le monde ou presque, avec famille, métier et amis,
je capte les éléments du monde qui m'entoure et auquel je
participe. Je suis en effet loin de la poésie nombriliste comme
de la poésie "hors-sol". L'écriture de poésie est
spécifique, car elle implique une polysémie à
l'infini. La place du lecteur est de ce fait
prépondérante. C'est lui seul qui, par sa lecture,
peut ouvrir les chemins possibles que je propose et retrouver la
cohérence du texte par son imaginaire et sa sensibilité.
Ceci dit, mis à part pour Correspondances écrit en
complicité avec Guy Allix, quand j'écris, le lecteur
potentiel n'est pas un interlocuteur clairement défini. Je
n'écris pas "pour" tel ou tel lectorat. Je tiens à garder
coûte que coûte mon exigence et éviter la
complaisance et les effets de mode.
Une petite parenthèse sur l'hermétisme, je pense que la
poésie doit garder un noyau obscur et irréductible.
J'aime qu'elle présente une lecture immédiate, accessible
mais qu'à la relecture, on perçoive d'autres creusements,
d'autres explorations, d'autres complexités, au-delà de
la simplicité apparente.
K.
Beaucoup de gens pensent que les poètes font exprès de se
rendre incompréhensibles pour donner l’illusion d’une profondeur
qu’ils n’ont pas, ou bien qu’ils ne savent pas se rendre plus
compréhensible parce qu’ils sont mauvais. Et beaucoup de gens
ont raisons, hélas ! C’est pourquoi il nous faut préciser
que nous ne cherchons pas, nous, poètes authentiques, à
noyer d’obscur. « Garder un noyau obscur et irréductible
» quand on écrit de la poésie signifie pour moi
préserver la part d’inconnu du monde, son mystère
intrinsèque. Ah ! Quand l’obscur se trouve dans la pleine
lumière du poème, voilà qui est réussi !
Tu écris que le peintre et poète Paul Quéré
avait raison de dire que « le poème cache plus qu’il ne
dévoile ». Pour moi, il dévoile, c’est sûr,
il soulève des voiles à l’infini, mais il ne cache pas
(pas volontairement en tout cas). Je dirais qu’il est hermétique
par essence, propagateur de lumière par désir,
volonté et nécessité, et que l’ombre
projetée dans nos âmes à sa lecture est
inévitable. On se baigne dans sa lumière et on plonge
dans son ombre, pour vivre et connaitre davantage.
Alors, selon toi, « la poésie a pour domaine le
réel et bien au-delà » ?
M-J.
Tu as raison, l’obscur, tel que je le perçois, n’a rien à
voir avec l’illisible encore aujourd’hui largement pratiqué.
Ce n’est pas cet écran de fumée dont certains
parent leurs textes pour se donner l’air intelligent. Ombre et
lumière sont de faux contraires et sont aussi
indissociables que le jour et la nuit. C’est l’ombre qui donne la
lumière. Depuis Rembrandt, les peintres le savent bien.
L’obscur est bien cette part d’inconnu nécessaire qui nous rend
à notre humilité et à notre incertitude. L’obscur
est le noyau d’inachevé du poème. J’aime bien cette
idée d’inachevé, inséparable du réel. Car
pour moi, le réel ne se réduit pas à ce qui est
observable qu’il suffirait de consigner. Cela ne donne en
général que cette plate et ennuyeuse chronique du
quotidien qui est dans l’air du temps. Le réel, c’est tout ce
qui nous entoure, tel qu’il est reçu par notre corps, nos sens,
notre intelligence mais aussi notre imaginaire et notre intuition.
C’est cette totalité inachevée que j’inscris dans
l’expression « bien au-delà ». C’est en quelque
sorte le « sur-réel » d’André Breton et des
Surréalistes. C’est pourquoi la poésie est le creuset
qui parvient à rassembler tous les domaines de la
connaissance.
K.
Je lis dans tes notes : « Lorsque j’entends dire d’un film qu’il
est plein de poésie, je crains le pire. » Peux-tu me dire
ce que tu crains d’y trouver ? As-tu des exemples, de quoi rigoler…
M-J.
Je n’ai pas d’exemple précis en tête, car c’est le genre
de choses que je préfère m’empresser d’oublier. Ce sont
en général les médias qui nous servent ce
genre de phrase, pour qualifier un film à l’ambiance doucereuse
et surannée, avec de belles images couleur pastel. Ce qui montre
l’idée erronée qu’ils se font de la poésie et
qu’ils contribuent à véhiculer, qui témoigne de
leur inculture en la matière. Ceci est désolant et
disqualifie la poésie aux yeux du public, l'associant à
un univers de mièvrerie. Inutile de dire que je fuis les films
« pleins de poésie ».
K.
Je lis aussi : « J’essaie de garder à l’esprit que chez
tout être peuvent cohabiter le meilleur et le pire. »
Connais-tu de toi-même ce qu’il y a de meilleur et ce qu’il y a
de pire ?
M-J.
Se connaître soi-même peut sembler une gageure, tant
la tâche est infinie et sans doute impossible, mais c’est
l’indispensable voie à suivre. La poésie doit
en tout cas nous aider à approcher de cette connaissance de soi.
J’espère avoir quelquefois su donner le meilleur,
étant entendu que « ce que j’écris / est ce que je
suis / de mieux. » Je cherche juste à être en accord
avec moi-même, me sentir digne. Je ne peux qu’espérer
n’avoir jamais à montrer le pire. Mais n’oublions pas que le
pire est une affaire de circonstances, et nul ne peut avoir la
prétention d’être certain de s’en préserver, pas
plus moi que les autres. Avoir cela à la conscience permet
d’éviter le manichéisme et les jugements
hâtifs.
K.
Et puis aussi : « Il existe de rares personnes qui irradient et
vous rendent intelligents et créatifs comme par contagion.
» Je me suis senti visé. Avais-tu déjà
entendu parler de moi avant d'écrire ça (je plaisante, ne
réponds surtout pas à cette boutade)? En fait, j’aimerais
être ce type de personne et que mon petit garçon soit un
jour considéré comme tel ! Quelle belle vie ce serait !
M-J.
J’ai eu la chance de connaître quelques personnes de cette trempe
dans ma vie. Mais je remarque qu’il est facile de passer à
côté et de les manquer, car ce sont des personnes humbles
et discrètes. C’est toute la magie et le mystère
des rencontres fortes et déterminantes.
Mais je crois qu’à des degrés divers nous faisons tous un
jour ou l’autre cette expérience. Notre vie est faite de
rencontres qui ne sont pas des hasards, surtout en poésie.
Par la revue Kahel que tu viens de créer, cette
expérience de rencontres est pour toi
d’ores-et-déjà en route.
K.
Oh ! Je me souviens avoir déjà fait ce type de
rencontres, bien avant Kahel, mais c’est vrai que la création de
cette revue me permet de belles découvertes.
Tes notes portent un regard singulier sur la poésie, sur ta
façon d’être au monde, sur tes valeurs, sur ce que tu
aimes ou n’aime pas chez les autres, sur la question de
l’amitié, etc. Je voulais te dire que je m’étonnais de
trouver à chacune de tes pages, qui contiennent six à
huit fragments, tant de lignes qui m’interpellent, me parlent, me
donnent envie de relire ou bien de stopper ma lecture un moment pour
réfléchir ou méditer, écrire, creuser plus
profond en moi pour une vie plus authentique.
Il m’arrive de lire des ensembles d’aphorismes/ de pensées/ de
poèmes brefs/ de notes/ de fragments/ de réflexions et de
m’ennuyer ferme, ne trouvant que rarement ces perles
pêchées au fond de l’océan, ces perles brunes
éblouissantes. Et je suis là, tenant ton petit livre
entre mes mains, ton recueil comme un écrin avec toutes ces
perles à l’intérieur que je prends garde de ne pas
laisser tomber, s’échapper, glisser, rouler. Je regarde tous ces
reflets changeant d’une mer intérieure située en Bretagne.
Je trouve que ce paragraphe pourrait faire une bonne "conclusion"
à notre entretien. Qu’en penses-tu ?
M-J.
Oui, on peut conclure comme cela. A mon sens, c'est au lecteur que doit
revenir le dernier mot...
***
Quelques extraits
" Dans
les années 80, nous n’avions plus de futur. Aujourd’hui, nous
n’avons plus de présent. Bientôt on nous volera même
ce qu’il nous reste de passé. "
" Faire vivre une revue donne à connaître quelques belles
rencontres, une foule d’opportunistes et beaucoup d’ennemis anonymes ou
déclarés. Mais certaines rencontres lumineuses compensent
à elles seules largement ces désagréments.
"...
(tirés du recueils sur le site : Recours au poème)
« Ce n’est pas parce qu’on est en vie qu’on est vivant
».
« La poésie n’a pas pour but d’expliquer le monde
mais de le vivre intensément ».
(tirés de la Revue Texture)
***
Marie-Josée Christien est
poète, critique et collagiste.
Elle est traduite en allemand, bulgare, espagnol, breton et portugais.
Elle a obtenu le Prix Xavier-Grall pour
l'ensemble de son oeuvre.
Elle Vit à Quimper. Membre de
l'Association des Ecrivains Bretons et de la Charte des Auteurs et
Illustrateurs Jeunesse. Une vingtaine d'ouvrages parus chez plusieurs
éditeurs. 6 recueils édités par les Éditions sauvages
Visiter son site : Rue Marie-Josée
Christien
Karim
Cornali, connu pour sa Revue de Voyage Kahel,
est notre invité au Salon de lecture, poèmes inédits.
pour Gueule de mots avril 2014
recherche Karim Cornali
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