GUEULE DE MOTS -ARCHIVES 2010

Eric Dubois - Hélène Soris - Laurence Bouvet

.
GUEULE DE MOTS

Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage...
Cette rubrique reprend vie en 2010 pour laisser LIBRE  PAROLE À UN AUTEUR...
libre de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts littéraires, de son attachement à la poésie,
de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa vie parallèle
à l'écriture. etc

Ce mois...  avril 2014

  Libre parole à…                Karim  Cornali     et    Marie-Josée Christien

        

 Dialogue autour de « Petites notes d’amertume »
 de Marie-Josée Christien (Editions Sauvages, 1er trimestre 2014).


K.

Bonjour Marie-José,
J'aimerais que sous la forme d'un dialogue, nous parlions de tes Petites notes d'amertume qui viennent de paraître aux Editions Sauvages. C'est pour la revue en ligne Francopolis dont je viens tout juste de devenir membre. Est-ce que tu veux bien? Je pense tout garder de cette correspondance par mails, comme, par exemple, tout ce que je suis en train d'écrire là tout de suite quand je tape sur les touches de mon clavier.
Amicalement,
Karim
 
M-J.
Bonjour Karim,
Pourquoi pas ? Aimant "plus que tout la complicité intense du dialogue", c'est une idée qui ne peut que m'enthousiasmer.
A bientôt,
Marie Josée

K.
« La complicité intense du dialogue » dont tu parles me rappelle cette phrase de ton recueil : « S’il n’y avait l’espoir de la partager un jour, l’écriture serait bien vaine. » Je ne me lasse pas de relire tes fragments, sans doute parce que tu cherches vraiment à dialoguer avec ton lecteur. Contrairement à une écriture hermétique, tes pensées diffusent de la clarté sur tous les sujets qui te sont essentiels, et je peux alors m’en nourrir et cheminer avec toi.
Pour qui, pourquoi écrit-on ?

M-J.
Ecrire est pour moi avant tout une impérieuse nécessité intérieure. Je suis consciente que toute écriture authentique mêle voix personnelle et voix collective.  Parce que je suis un être social, fait d'une histoire et d'une culture, que j'ai la même expérience de vie que tout le monde ou presque, avec famille, métier et amis, je capte les éléments du monde qui m'entoure et auquel je participe. Je suis en effet loin de la poésie nombriliste comme de la poésie "hors-sol". L'écriture de poésie est spécifique, car elle implique une polysémie à l'infini. La place du lecteur est de ce fait prépondérante.  C'est lui seul qui, par sa lecture, peut ouvrir les chemins possibles que je propose et retrouver la cohérence du texte par son imaginaire et sa sensibilité. Ceci dit, mis à part pour Correspondances écrit en complicité avec Guy Allix, quand j'écris, le lecteur potentiel n'est pas un interlocuteur clairement défini. Je n'écris pas "pour" tel ou tel lectorat. Je tiens à garder coûte que coûte mon exigence et éviter la complaisance et les effets de mode.
Une petite parenthèse sur l'hermétisme, je pense que la poésie doit garder un noyau obscur et irréductible. J'aime qu'elle présente une lecture immédiate, accessible mais qu'à la relecture, on perçoive d'autres creusements, d'autres explorations, d'autres complexités, au-delà de la simplicité apparente.

K.
Beaucoup de gens pensent que les poètes font exprès de se rendre incompréhensibles pour donner l’illusion d’une profondeur qu’ils n’ont pas, ou bien qu’ils ne savent pas se rendre plus compréhensible parce qu’ils sont mauvais. Et beaucoup de gens ont raisons, hélas ! C’est pourquoi il nous faut préciser que nous ne cherchons pas, nous, poètes authentiques, à noyer d’obscur. « Garder un noyau obscur et irréductible » quand on écrit de la poésie signifie pour moi préserver la part d’inconnu du monde, son mystère intrinsèque. Ah ! Quand l’obscur se trouve dans la pleine lumière du poème, voilà qui est réussi !
Tu écris que le peintre et poète Paul Quéré avait raison de dire que « le poème cache plus qu’il ne dévoile ». Pour moi, il dévoile, c’est sûr, il soulève des voiles à l’infini, mais il ne cache pas (pas volontairement en tout cas). Je dirais qu’il est hermétique par essence, propagateur de lumière par désir, volonté et nécessité, et que l’ombre projetée dans nos âmes à sa lecture est inévitable. On se baigne dans sa lumière et on plonge dans son ombre, pour vivre et connaitre davantage.
Alors, selon toi, « la poésie a pour domaine le réel et bien au-delà » ?

M-J.
Tu as raison, l’obscur, tel que je le perçois, n’a rien à voir avec l’illisible encore aujourd’hui largement pratiqué. Ce  n’est pas cet écran de fumée dont certains parent leurs textes pour se donner l’air intelligent. Ombre et lumière sont de faux contraires et sont aussi  indissociables que le jour et la nuit.  C’est l’ombre qui donne la lumière. Depuis Rembrandt, les peintres le savent bien.  L’obscur est bien cette part d’inconnu nécessaire qui nous rend à notre humilité et à notre incertitude. L’obscur est le noyau d’inachevé du poème. J’aime bien cette idée d’inachevé, inséparable du réel. Car pour moi, le réel ne se réduit pas à ce qui est observable qu’il suffirait de consigner. Cela ne donne en général que cette plate et ennuyeuse chronique du quotidien qui est dans l’air du temps. Le réel, c’est tout ce qui nous entoure, tel qu’il est reçu par notre corps, nos sens, notre intelligence mais aussi notre imaginaire et notre intuition. C’est cette totalité inachevée  que j’inscris dans l’expression « bien au-delà ». C’est en quelque sorte le « sur-réel » d’André Breton et des Surréalistes. C’est pourquoi la poésie est le creuset qui  parvient à rassembler tous les domaines de la connaissance.

K.
Je lis dans tes notes : « Lorsque j’entends dire d’un film qu’il est plein de poésie, je crains le pire. » Peux-tu me dire ce que tu crains d’y trouver ? As-tu des exemples, de quoi rigoler…

M-J.
Je n’ai pas d’exemple précis en tête, car c’est le genre de choses que je préfère m’empresser d’oublier. Ce sont en général  les médias qui nous servent ce genre de phrase, pour qualifier un film à l’ambiance doucereuse et surannée, avec de belles images couleur pastel. Ce qui montre l’idée erronée qu’ils se font de la poésie et qu’ils contribuent à véhiculer, qui témoigne de leur inculture en la matière. Ceci est désolant et disqualifie la poésie aux yeux du public, l'associant à un univers de mièvrerie. Inutile de dire que je fuis les films « pleins de poésie ». 

K.
Je lis aussi : « J’essaie de garder à l’esprit que chez tout être peuvent cohabiter le meilleur et le pire. » Connais-tu de toi-même ce qu’il y a de meilleur et ce qu’il y a de pire ?

M-J.
Se connaître soi-même peut sembler une  gageure, tant la tâche est infinie et sans doute impossible,  mais c’est l’indispensable  voie  à suivre. La poésie doit en tout cas nous aider à approcher de cette connaissance de soi. J’espère avoir quelquefois su donner  le meilleur, étant entendu que « ce que j’écris / est ce que je suis / de mieux. » Je cherche juste à être en accord avec moi-même, me sentir digne. Je ne peux qu’espérer n’avoir jamais à montrer le pire. Mais n’oublions pas que le pire est une affaire de circonstances, et nul ne peut avoir la prétention d’être certain de s’en préserver, pas plus moi que les autres. Avoir cela à la conscience permet d’éviter le manichéisme et les jugements hâtifs. 

K.
Et puis aussi : « Il existe de rares personnes qui irradient et vous rendent intelligents et créatifs comme par contagion. » Je me suis senti visé. Avais-tu déjà entendu parler de moi avant d'écrire ça (je plaisante, ne réponds surtout pas à cette boutade)? En fait, j’aimerais être ce type de personne et que mon petit garçon soit un jour considéré comme tel ! Quelle belle vie ce serait !

M-J. 
J’ai eu la chance de connaître quelques personnes de cette trempe dans ma vie. Mais je remarque qu’il est facile de passer à côté et de les manquer, car ce sont des personnes humbles et discrètes. C’est toute la magie et le mystère  des rencontres fortes et déterminantes.
Mais je crois qu’à des degrés divers nous faisons tous un jour ou l’autre cette expérience. Notre vie est faite de rencontres qui ne sont pas des hasards, surtout en poésie.
Par la revue Kahel que tu viens de créer, cette expérience de rencontres est pour toi d’ores-et-déjà en route.

K.
Oh ! Je me souviens avoir déjà fait ce type de rencontres, bien avant Kahel, mais c’est vrai que la création de cette revue me permet de belles découvertes.
Tes notes portent un regard singulier sur la poésie, sur ta façon d’être au monde, sur tes valeurs, sur ce que tu aimes ou n’aime pas chez les autres, sur la question de l’amitié, etc. Je voulais te dire que je m’étonnais de trouver à chacune de tes pages, qui contiennent six à huit fragments, tant de lignes qui m’interpellent, me parlent, me donnent envie de relire ou bien de stopper ma lecture un moment pour réfléchir ou méditer, écrire, creuser plus profond en moi pour une vie plus authentique.
Il m’arrive de lire des ensembles d’aphorismes/ de pensées/ de poèmes brefs/ de notes/ de fragments/ de réflexions et de m’ennuyer ferme, ne trouvant que rarement ces perles pêchées au fond de l’océan, ces perles brunes éblouissantes. Et je suis là, tenant ton petit livre entre mes mains, ton recueil comme un écrin avec toutes ces perles à l’intérieur que je prends garde de ne pas laisser tomber, s’échapper, glisser, rouler. Je regarde tous ces reflets changeant d’une mer intérieure située en Bretagne.

Je trouve que ce paragraphe pourrait faire une bonne "conclusion" à notre entretien. Qu’en penses-tu ?

M-J.
Oui, on peut conclure comme cela. A mon sens, c'est au lecteur que doit revenir le dernier mot...

***

Quelques extraits

" Dans les années 80, nous n’avions plus de futur. Aujourd’hui, nous n’avons plus de présent. Bientôt on nous volera même ce qu’il nous reste de passé. "

" Faire vivre une revue donne à connaître quelques belles rencontres, une foule d’opportunistes et beaucoup d’ennemis anonymes ou déclarés. Mais certaines rencontres lumineuses compensent à elles seules  largement ces désagréments. "...

(tirés du recueils sur le site : Recours au poème)

« Ce n’est pas parce qu’on est en vie qu’on est vivant ».

 « La poésie n’a pas pour but d’expliquer le monde mais de le vivre intensément ».
  (tirés de la Revue Texture)

***

Marie-Josée Christien est poète, critique et collagiste.
Elle est traduite en allemand, bulgare, espagnol, breton et portugais.

Elle a obtenu le Prix Xavier-Grall pour l'ensemble de son oeuvre.

Elle Vit à Quimper. Membre de l'Association des Ecrivains Bretons et de la Charte des Auteurs et Illustrateurs Jeunesse. Une vingtaine d'ouvrages parus chez plusieurs éditeurs. 6 recueils édités par les Éditions sauvages

Visiter son site : Rue Marie-Josée Christien


Karim Cornali, connu pour sa Revue de Voyage Kahel,
est notre invité au 
Salon de lecture, poèmes inédits.
         pour Gueule de mots avril 2014
recherche Karim Cornali 


Site créé le 1er mars 2002-Rubriques novembre 2004

textes sous copyright