GUEULE DE MOTS -ARCHIVES 2010

Eric Dubois - Hélène Soris - Laurence Bouvet

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GUEULE DE MOTS

Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage...
Cette rubrique reprend vie en 2010 pour laisser LIBRE  PAROLE À UN AUTEUR...
libre de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts littéraires, de son attachement à la poésie,
de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa vie parallèle
à l'écriture. etc

Ce mois de février 2011

  Libre parole à… CHARLES DOBZYNSKI

Ce mois-ci, Charles Dobzynski se présente à nous.
Grand merci à Charles Dobzynski pour ce magnifique texte qui honore le site Francopolis.

Je vous invite à lire son œuvre, poésie et récits. Cet auteur est une grande figure des lettres françaises.

(Michel Ostertag)

 
 ON  NE  SAURAIT JUGER  SA VIE

 
 
Sauvé par une chanson

Ceci n’est pas une confession. Ni une auto-fiction, comme le veut la mode. Ni même un  auto-jugement. Qui saurait prétendre équitablement juger sa vie, ou la jauger ? Ce serait l’inscrire sur des fiches. Requérir ou plaider. La vie n’a pour avocat désigné que ses actes qui sont toujours des actes d’état civil en mauvais état, mal fichus comme les miens. Comment fait-on pour se traduire  du présent à l’indicatif  futur ?  C’est que l’on appartient d’abord, corps et biens, à son passé. Le mien sort d’un trou à rats, un coin de la cave qui m’abrita un moment et contribua à me sauver la vie pendant la guerre. Ce qui m’a sauvé aussi, d’autre part, c’est un réflexe, le contraire d’un trou de mémoire : la réplique non préméditée du souvenir sous forme d’une chanson. J’avais été pris au piège de la rafle du 16 juillet 1942. Comme un policier me demandait où j’étais né, j’eus la présence d’esprit de lui mentir – répondre «à Varsovie» me condamnait à être embarqué vers Drancy… Ce qui me vint en tête et sur la langue, spontanément, c’est le refrain d’une chanson très populaire – on dirait un tube aujourd’hui – interprétée par Mistinguett. Et je lançais, sans fredonner : «Je suis né dans l’faubourg Saint-D’nis»  provoquant l’hésitation du policier – l’ordre était en principe de ne pas s’occuper des enfants nés sur le sol de France – Il m’accorda un répit (était-ce voulu ? c’est plausible !) qui nous permit à ma mère et moi de nous éclipser sur le champ…

Détail anecdotique, dira-t-on. Certes, mais qui montre que la vie a plus d’un tour dans son sac et que s’il lui arrive de ne tenir qu’à un fil, cela peut être le fil d’une chanson !  Mon enfance a connu le sévère apprentissage de la clandestinité, de l’humiliation, de la mort partout aux aguets. «J’ai porté l’étoile jaune / enfoncée jusqu’à la garde» ce vers ponctue ma chronique des années noires et mes premiers pas en poésie. Peut-être ai-je découvert la poésie comme échappatoire, seul moyen d’évasion d’une condition devenue inhumaine. C’était un autre état, une seconde nature. J’ai même parlé de seconde naissance qui modifiait radicalement la configuration de la première et lui donnait un autre sens.
           
À cette époque, assurément, je ne savais pas ce qu’était la poésie. Seules quelques lectures m’orientaient : Hugo, d’abord, Baudelaire, Verlaine, quelques symbolistes. Je ne suis pas certain de le mieux savoir aujourd’hui, malgré la quantité de textes avalés par la broyeuse cérébrale. Ma passion consiste à la chercher, à la débusquer, là où elle n’est pas, où elle n’est pas censée se trouver, dans les résidences secondaires du détail et du lexique.  Dans certains mots ou certains méandres de la réalité qui n’obéissent à aucune topographie. Rien ne définit vraiment le poète si ce n’est ce qu’il écrit, lui qui est à la fois «rêveur de fond» comme il me plaît de le nommer et éveilleur de formes. La science, accordée à nos rêves, ouvrait à la fiction le champ des hypothèses et des conjectures. Elle me semblait le passage obligé, le moyen de présager et de ménager l’avenir : «Les jeunes de ce temps n’ont pas le mal du siècle / Le mal de l’avenir leur tient lieu de secret» écrivais-je alors, ayant 22 ou 23 ans, et confondant arbitrairement avec la réalité, la science-fiction dont j’étais féru. Au nom d’une soif d’absolu qui n’était sans doute qu’un reliquat du messianisme inné, complété par l’une des fulgurances de Rimbaud : «Il faut être absolument moderne»

Charles Dobzynski


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Charles Dobzynski est un écrivain et poète français, né en 1929 à Varsovie.

Il naît en Pologne, mais sa famille émigre en France lorsqu'il est à peine âgé d'un an. Il échappe de justesse à la déportation pendant la Seconde Guerre mondiale, mais sa famille doit se cacher. Sa mère l'incite à la lecture très jeune. Il dirige un temps une entreprise de textile.


Poète précoce, il publie son premier poème en 1944 dans un journal de jeunes issu de la Résistance. Fin 1949, Paul Éluard présente ses premiers poèmes dans Les Lettres françaises. Sur proposition d’Aragon il entre à la rédaction du quotidien Ce soir. Aragon et Elsa Triolet préfacent deux de ses recueils. Son œuvre est imprégnée par ses trois passions : l'astronautique, le cinéma et la poésie.


Il est de ceux qui ont compté aux Lettres françaises et à Action poétique. Il collabore à de nombreuses autres revues et traduit Rainer Maria Rilke. Par ailleurs, il appartient à l'équipe de direction de la revue Europe dès le début des années 1970, aux côtés de Pierre Abraham et de Pierre Gamarra.


Il côtoie également Tristan Tzara et le lettrisme (Groupe lettriste) dont il est exclu pour avoir écrit un poème non-conforme aux canons dictés par Isidore Isou. Il exerce également longtemps l'activité de journaliste et de critique de cinéma.


Son Anthologie de Poésie Yiddish a connu un succès remarquable, le tirage des trois éditions ayant dépassé les 20 000 exemplaires. La bourse Goncourt de poésie a été attribuée à Charles Dobzynski en 2005 pour l'ensemble de son œuvre. Il est Chevalier des Arts et Lettres, membre de l'Académie Mallarmé et président du jury du prix Guillaume Apollinaire.


Source Wikipedia
 

Il a publié une quarantaine de recueils de poésie, ainsi que des poèmes en prose et des romans et nouvelles. Le dernier ouvrage, intitulé « J’ai failli la perdre » est édité aux éditions de la Différence, 2010
- J'ai failli la perdre La Différence (2010)
- Lanzarote La Porte (2009)
- Gestuaire des sports Le Temps des cerises (2006)
- La scène primitive La Différence (2006)
- Le réel d'à côté L'Amourier (2005)
- Corps à réinventer La Différence (2005)
et plus

 

Quelques sites :

sur Écrits-vains
le Printemps des poètes
Le Capital des mots



LES MOTS

Quand les mots en ont assez
ils tournent la page
sans plus rien savoir ni vouloir
de ce qui est advenu
ou dérivé d'eux
le mal ou le bien
n'est pas leur affaire
immoraux murés dans leur égotisme
ils s'installent à la margelle
du puits
dans le blanc qui reste
et épongent peu à peu
dans une flaque d'eau morte
leur portion de réel
irréalisé.

Charles DOBZYNSKI




         pour Gueule de mots février 2011
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