Autant
que je me souvienne, je me suis demandé très tôt
pourquoi deux et deux font quatre et si cette interrogation ne m'a pas
conduit à faire des études de mathématiques, elle
m'a emmené sur les chemins de l'imaginaire et fait passer pour
un enfant dans la lune. Aujourd'hui le rêve se poursuit tel que
l'exprime Claude Roy : «Il faudrait essayer de ne pas accorder trop de réalité à la réalité.
Le monde a grand besoin que nous doutions un peu de son existence. »
La
réalité c'est celle d'un enfant de banlieue à
Villejuif dans le Val de Marne, petit-fils d'émigrés et
de provinciaux venus à la capitale pour des raisons
économiques. Milieu modeste d'ouvriers et d'employés. Vie
entre école communale et famille : Serons-nous deux encore / dans les jeux de l’enfance / à semer de rires le jardin / Long après-midi de l’espoir.
Très jeune l'amour du lire et des livres. Les livres,
fenêtres ouvertes sur l'imaginaire, autre jardin d'évasion
et d'impossible à rêver.
La
poésie j'y entrerai plus tard, avec le plaisir des
récitations et cet instituteur qui me félicite durant le
passage du Certificat d'études de ma façon de dire Fantaisie de Nerval. Anecdotes, lectures, découvertes grâce aux professeurs (Le Plume de Michaux si loin de mon univers d'alors !) et aux ami(e)s. L'un d'entre eux fait un exposé sur Éluard,
je saute le pas de l'écriture. Premiers textes totalement
empreints de ceux que je lis, poésie d'adolescent qui a tout
à apprendre.
Entrée
dans l'âge adulte. Mariage, une compagne sans inhibitions qui me
fait sortir de l’œuf et m'emporte dans une existence qui fait feu de
tout bois. Textes publiés dans la revue Résurrection et
une fidélité réciproque qui durera 30 ans
jusqu'à la disparition de Jean Cussat-Blanc dont la confiance
fut un encouragement. Éblouissement immédiat quand je lis
Thierry Metz qu'il met en exergue dès leur
rencontre. Partage entre l'écriture poétique et la tenue
d'un journal personnel qui dure aujourd'hui depuis 40 ans. Admiration
de Char, fraternité avec l’œuvre de Claude Roy.
Rupture,
autres amours, paternité. Vie de famille, ses bonheurs et ses
aléas. Au fil des années, constitution d'une culture
poétique entre classiques et poésie contemporaine. Chaque
lecture renvoie à une autre, à un autre auteur. Chaque
part acquise de ce continent donne envie d'en découvrir
d'autres, dans le temps et l'espace, me rend plus exigeant quant
à ce que j'attends. Me manque le partage.
Je
le découvre à la suite d'un déménagement et
en me mêlant aux activités d'un groupe de poètes et
d'amateurs de poésie constitué à la
médiathèque municipale de Champigny sur Marne, autour
d'une bibliothécaire enthousiaste. Quand celle-ci part à
la retraite, je prends sa succession pour l'animation du groupe et
l'édition de la revue qu'il publie. Apprentissage fructueux qui,
à une échelle humaine, me permet de progresser dans mes
savoirs et d'envisager d'autres projets. Autre rencontre importante
avec l'association Hélices Poésie de Nogent sur Marne et son meneur Emmanuel Berland qui m'offre le grand plaisir d'éditer un recueil de textes.
Activités
multipliées dans l'univers si petit de la poésie mais si
chargé de force et d'espérance. Au delà des
difficultés rencontrées, des ego chagrins, conviction
renforcée que la parole poétique est essentielle au cœur
de la culture, qu'elle est le creuset de toute création
littéraire, qu'elle peut dire, dénoncer et s'engager.
Liens actifs avec l'association des Amis d'André Laude, autrefois croisé et dont l’œuvre garde toute sa verdeur.
Voilà pour ce parcours en poésie qui franchit aujourd'hui, avec la création du blog La Pierre et le Sel,
une nouvelle étape, celle du passeur que j'ai toujours
souhaité être, de l'animateur d'un travail collectif que
je préfère à la solitude cependant
nécessaire. C'est avec cet outil supplémentaire que la
poésie peut trouver de nouvelles attentions, porter sa voie,
faire éclore des voix jeunes et s'inscrire dans la lutte pour
une société à hauteur d'homme.
Pierre Kobel