Ce mois de décembre 2005 :
ALLER
PAR
LEILA ZHOUR
Si je devais choisir un mot, un
verbe, pour le garder seul, nu, un peu à la manière dont on
choisit une pierre pour la monter en solitaire, il me semble qu'aller
aurait l'exclusivité de mon attention. C'est un mouvement. La racine
du mouvement. D'autres verbes indiquent d'autres mouvements, le "faire",
cette action faite verbe, d'autres encore la manière même d'aller.
C'est monter, courir, descendre, boîter, traîner etc. Même
venir, ce proche cousin de l'aller, ce point de vue de destination, appartient
encore au mouvement premier du verbe aller.
Aller n'est pas non plus un mot
soumis. Avec son allure rassurante de verbe du premier groupe, il a pourtant
l'irrégularité insidieuse et tenace dès le présent
de l'indicatif. C'est un original qui, au futur, à cette fantaisie
paradoxale de retrouver son radical originel ir-. Sa racine n'apparaît
que dans le mouvement à venir. C'est un astucieux qui vous trompe
sans que vous ne vous en rendiez compte, tant on l'emploie, tant on finit
par oublier sa finesse. On n'y prend plus garde.
Aller est donc mouvement. Même sa conjugaison bouge, fluctue, et tout
l'esprit s'engage dans la direction de l'allant, ce lui qui va, tendu que
l'on est, sans cesse, vers cela, là-bas, innommé la plupart
du temps.
Je vais vers demain. Je vais aveuglément,
je tâtonne donc. Pour ne pas trébucher, je cherche des lumières,
cet intérieur de soi où l'on chemine lentement. J'explore les
profondeurs en strates de mes silences, étrange spéléologie
dans l'opacité de mon âme. C'est descendre encore, s'absorber.
Je vais vers elle aussi, proche
et lointaine, c'est demain, un autre lendemain. Je me mets nue pour elle.
C'est effrayant, mais c'est toujours ce geste vers, cet élan qui va,
qui me pousse. "Aller", c'est donner, c'est recevoir.
Je vais et l'incessante marche épuise tout comme elle ressuscite.
Mon souffle jongle, fait danser les émois, atterré de vie.
"Aller" me dit et me contient, je vais, j'irai et quand dans un terme dont
je ne sais rien encore le mouvement cessera, quand je n'aurai plus pour l'instant
à venir ce regard où l'intérieur se libère dans
l'extérieur, ce sera un "aller" encore, un aller simple et je l'apprivoise
dans chaque geste qui s'élance.
Leila Zhour
vit et travaille en France.
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