GUEULE DE MOTS -ARCHIVES 2010

Eric Dubois - Hélène Soris - Laurence Bouvet

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GUEULE DE MOTS

Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage...
Cette rubrique reprend vie en 2010 pour laisser LIBRE  PAROLE À UN AUTEUR...
libre de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts littéraires, de son attachement à la poésie,
de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa vie parallèle
à l'écriture. etc

Ce mois de mars 2011

  Libre parole à… Jean-Pierre Lesieur

Ce mois-ci, je vous présente Jean-Pierre Lesieur, une figure incontournable de la poésie contemporaine. Poète lui-même, éditeur de revues de poésies, il est la « bonne âme » de tous les poètes en recherche de soutien. Par un accueil indéfectible, le poète de talent est accueilli et publié dans sa revue. Jean-Pierre Lesieur, à-travers ses écrits et ses poèmes a le talent de mettre son grain de sel  dans le microcosme poétique ; de ses Landes où il vit, il décoche ses flèches acérées sans crainte ni remord. Il n’hésite pas à dire les quatre vérités à tous ceux qu’il dénonce.
C’est une figure de premier plan du monde de la poésie, vous dis-je ! Son action depuis plusieurs décennies dans les revues littéraires le fait considérer comme « le plus important revuiste de sa génération » Cette consécration décernée par ses collègues est amplement méritée, j’en suis sûr.
Pour nous, il a écrit ce texte, où il parle de lui, de son amour depuis toujours de la poésie, de ses activités afin de satisfaire cette passion. Et aussi  il nous donne son avis sur la poésie d’aujourd’hui, l’Internet, les maisons d’éditions. Texte instructif pour nous tous.

Un grand merci à lui, au nom des lecteurs de francopolis. (Michel Ostertag)

 

J’aime la poésie, j’aime la poésie.

Je l’aime tellement que c’est la troisième revue que je publie en fabriquant moi-même les numéros un à un et en les diffusant par correspondance. La première s’appelait Le puits de l’ermite, la seconde, plus innovante, Le pilon et la dernière que je fabrique encore aujourd’hui Comme en poésie.

Mon activité poétique s’étend sur une cinquantaine d’années durant lesquelles j’ai été au cœur de la poésie. J’ai connu une poésie qui ne se faisait pas chez les grands éditeurs, souvent même pas chez les petits, mais plutôt dans cet Underground qui a mené beaucoup de poètes vers l’édition, ou vers l’abandon pur et simple, quand ce n’était pas vers la mort comme André Laude.

J’ai connu aussi le compte d’auteur et ses arnaques contre lequel fut fondé le CALCRE et qui aurait dû moraliser l’édition, ce qui, quand je vois aujourd’hui le nombre d’éditeurs, qui demandent aux poètes de l’argent, pour faire simplement leur boulot éditorial, n’est pas une réussite totale.

J’ai connu des petites revues ronéotées, tirées sur des presses à épreuves, ou simplement manuscrites et leurs animateurs pétri de foi en la poésie et de désir pour mettre leurs textes à la portée du plus grand nombre.

J’ai d’ailleurs réuni, dans mon garage, que j’ai baptisé « garages aux poèmes », tous ces fascicules tirés parfois à très peu d’exemplaires et dont il ne doit plus rester de traces dans le monde poétique avec un grand nombre de recueils, mettant le tout en lecture publique et gratuite.

J’ai tenté de mettre de la poésie tract, dans les rues, dans les facultés, dans les écoles, dans les postes et les transports, avec Dagadès, Jean-Paul Besset, Claude Ardent, Cussat-blanc, et d’autres. C’était en 68/69.

Tout ceci pour dire que j’ai vécu la poésie de l’intérieur mais avec un œil de revuiste, souvent impécunieux, et sans soutien de l’establishment, auquel je n’étais inféodé ni d’une manière, ni d’une autre.

J’ai connu aussi les lettristes, Isou et Lemaitre qui inventaient une poésie parfaitement inaudible et qui n’avait aucun sens, qu’ils allaient déclamer devant des travailleurs de chantier, éberlués.

C’est de tout ce passé que j’ai tiré un jour la leçon que pour ma poésie et pour celle des autres le meilleur vecteur était de fabriquer soi même une revue. Je me suis donc donné les moyens de mettre cette réflexion en acte. Avec des casses d’imprimerie et une petite presse Freinet, au début, une Gestetner ensuite, puis plus récemment des moyens plus actuels,( ordinateur, photocopieuse, reliure à la colle et à la main,  j’ai réalisé mes besoins d’impression. Et j’ai publié en revue la bagatelle de plus de 500 poètes contemporains. C’est une ambition comme une autre.

Ma propre poésie a hérité de cette manière d’être sous-jacente d’une certaine révolte et d’une recherche vers la simplicité en poésie qui n’a pas toujours été bien comprise de mes contemporains. J’aime bien aussi utiliser des petits personnages Petit plus, mi ordinateur mi homme,  Zébane Fanfreluche le doudou qui vit au fond d’un sac de dame, et les faire évoluer dans un univers où tout n’est pas facile.  Ma vie aussi me sert de descente dans les dessous de la poésie : infarct que j’ai écrit après un infarctus en hôpital, ballade bitume, ma vie pendant la guerre dans les rues du Marais à Paris, le mangeur de lune, journal d’une vie réinventée et réelle, Olga saudade for ever, une idylle qui ne finira qu’avec moi. L’animal poétique et ses munitions, qui prend le poète comme cible.

Depuis quelques temps j’ai découvert le théâtre pour jouer mais aussi pour écrire et j’ai commencé une collection en ce sens aux éditions Gros textes avec Portes ouvertes ou rouges, qui mêle des poèmes et des courtes scènes et donne un souffle particulier à la poésie dite.

Si je jette un regard en arrière et que je vois la production de poètes que j’ai vus démarrer en même temps que moi je me dis qu’il y a entre eux et moi une grosse différence de publications. Je pense que je ne suis pas dans la ligne de la poésie qui se fait, en maniant l’humour, la dérision et la révolte pas toujours maîtrisée. Je n’ai pas publié chez de grands éditeurs mais en avais-je envie ?

Je me suis toujours ressenti comme un petit poète, quelqu’un de dérisoire, qui dit ce qu’il peut dire et qui réalise ce qu’il peut réaliser, un artisan de la poésie, plus qu’un artiste installé c’est comme ça que je me sens en accord avec moi-même.

Je trouve que la poésie actuelle part dans tous les sens, il n’y a plus d’école, plus de chapelle, on trouve de tout sur Internet et hélas beaucoup de déchets poétiques et je veux me battre jusqu’à mon dernier souffle que la revue papier reste l’aune de la publication en poésie.

Je reconnais à Internet, la vertu du relationnel, les possibilités énormes de mélange des différents arts en une fusion poétique, la puissance de la communication et le pouvoir de diffuser des idées. Mais pas pour le poème.

Je disais que la poésie actuelle, plus peut-être que celle des autres générations est le fait individuel. Les poètes qui demandent à faire partie d’un groupe sont inexistants, d’ailleurs il n’y a pas de groupe et aucun éditeur ni organe pour les fédérer. Beaucoup me parlent de leur solitude, des difficultés qu’ils rencontrent à se faire publier, de la déception de la diffusion de la poésie que plus personne n’organise. Les revues remplacent les comités de lecture chez les éditeurs qui se servent souvent à même les revues pour faire leur marché. Ils publient bon an mal an quelques poètes dont ils ne peuvent aider l’édition par les autres diffusions plus rentables.

J’ai côtoyé des grands et de moins grands poètes, personnellement et dans leurs écrits. J’ai vu vivre de petits éditeurs, qui se battaient comme des chiens, pour éditer de jeunes poètes, au début, à compte d’éditeur, et qui viraient leur cuti quand ils se rendaient compte du peu de bénéfice, qu’il pouvait retirer de leurs ventes.

La poésie m’a apporté beaucoup de joie, de plaisir, mais surtout par les contacts que j’ai pu établir avec les uns ou les autres et dont j’ai gardé trace, en moi, pour toujours.

 
Jean-Pierre Lesieur


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Jean-Pierre Lesieur (né en1935 dans le Marais à Paris) est un poète français contemporain.

Son œuvre

Il a participé à la création de plusieurs revues de poésie :

Il est l'auteur d'un certain nombre de recueils de poésie :

  • Premiers pas (Jean Grassin) ;
  • A l'envers de la lorgnette (Pierre Jean Oswald) ;
  • Manuel de survie pour un adulte inadapté (Guy Chambelland) ;
  • L'O.S des lettres (l'Athanor) ;
  • Ballade bitume (Le Dé bleu) ;
  • Infarct (Comme en poésie) ;
  • Mon papa m'a dit, illustré par Claudine Goux (Comme en poésie) ;
  • Manuel de survie (réédition augmentée, Gros textes) ;
  • L'O.S des lettres (réédition augmentée, Gros textes) ;
  • Zébane Fanfreluche (éditions de l'Atlantique) ;
  • Minute papillon (comme en poésie) ;
  • L'animal poétique et ses munitions (Gros textes) ;
  • Le mangeur de lune (comme en poésie).

Il participe à ne nombreuses revues de poésie et apparait dans quelques anthologies.


FAIRE SURFACE

Il faudra bien un jour parler

pas moi peut-être,

pas seul,

pas divaguer aux lanternes des fantasmes,

laisser remonter du noir des éclairs de honte

prendre appui sur les digues les moins hautes.

FAIRE SURFACE


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         pour Gueule de mots mars 2011
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