Ce mois de février 2006:
LA PORTE
Extrait des déclinaisons sur l'imposture
PAR
LAURENCE MURPHY
Et pourtant elle n’avait pas claqué
cette porte, elle n’avait pas lutté, elle n’avait pas grincé,
elle n’avait pas crié ni supplié ni imploré. Une porte
disciplinée, la porte.
Elle s’était fermée. Elle l’avait trompée.
La femme regarda autour d’elle, indécise,
imprécise. Il n’y avait plus de bruits dans la pièce, plus
de froissements, plus de cliquetis, plus de murmures ni de discours, plus
de bruits sourds.
Était-ce le silence qui se faisait si lourd ? Dehors, on pouvait faire semblant.
Dehors, on pouvait crier fort.
Dehors, on leur donnerait tort.
Dehors.
Mais là, dépouillée,
isolée, sans le support de ce dehors, mais là, debout dans
sa chemise de noyée, cheveux défaits, mains affolées,
mais là, derrière cette porte refermée, c’était
la peur qui jouait au fort, c’était sa peur qui peuplait l’heure.
Elle s’assit. Face à la porte.
Les yeux fixés sur le bois
nu, elle dessinait dehors, là toute nue. C’était ses yeux qui
dessinaient et ses pensées qui soupiraient, en murmurant avec ses
mains des petites choses de réconfort, des petites choses du dehors.
Les minutes traînaient derrière ces portes, elles s’étiraient toujours, elles fatiguaient le jour.
Elle l’avait remarqué, la
première fois. Et puis la deuxième. Et puis la troisième,
elle avait renoncé à les accélérer, elles comprenaient
pourquoi elles n’étaient pas pressées.
Enveloppée dans la chemise,
la chemise bleue des rescapés, elle attendait, elle attendait que
l’autre porte, celle qui ouvrait, fatalité, sur une pièce sans
fierté, qui attendait la femme marquée, elle attendait cette
fois-ci que cette porte-là soit verrouillée.
Laurence Murphy, 22 mars 2002
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Traduction anglaise.
The door
And yet it hadn’t slammed, that door, it had not fought, it had not squeaked,
it had not shouted nor cried out , it had not begged. A well behaved door,
that door.
It had just closed. It had fooled her.
The woman looked around her, unsure, hesitant. There were no more noises
in the room, no more swooshing, no more knocking, no more whispers nor speeches,
no more dull noise.
Was it what silence was, that sudden heaviness ? Outside, one could pretend.
Outside, one could shout, and loud.
Outside, they would be wrong.
Outside.
But in the room, forgotten, all alone, with no rail from outside, but there,
standing straight, drowned in her shirt, hair undone, hands unsure, but there,
behind that closed door, it was her fear bragging so loud, it was her fear
filling the time.
She sat. Facing the door.
Staring at the plain wood of that plain door, she was sketching the outside,
there, all alone. It was her eyes tracing the lines and her sorrows sighing
so high, it was her hands whispering so low, very small words of solace,
very small words from outside.
The minutes dragged behind those doors, they always stretched, they always tried to tire the day.
She had noticed it right from the start, the first time. And the second.
And the third time, she’d given up. Speeding them up, was not her will. She
understood their lethargy. Wrapped in her shirt, in the blue shirt of those
who fight, she was waiting for that one door, that other one, fateful doorway,
waiting for her, the marked woman, she was waiting at that minute for that
one door to be locked tight..
Laurence Murphy
Laurence Murphy habite sur la Côte Est des Etats-Unis.
Vous pouvez lire de sa poésie sur Poésie Synaptique
Et un peu plus sur le site Le Terrier, en bout de table.
" J’aime les mots, les lire, les écrire, jouer avec eux, leur faire dire mes dires...
Traductrice, vivant aux États-Unis depuis maintenant 20 ans, je suis
française bien avant tout. J'essaie, par l'écriture, de saisir
des moments, de décrire un battement, un sursaut, une hésitation,
un élan, un sanglot, l’étincelle d’un regard, l'écho
d'un rire, la ride d'un soupir, enfin, j'essaie de dire. " Laurence.
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