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GUEULE DE MOTS
Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un
visage...
Cette
rubrique reprend un second souffle en ce début 2014 pour laisser
LIBRE PAROLE À
UN AUTEUR...
libre
de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts
littéraires, de son attachement à la poésie,
de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons
d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa
vie parallèle
à l'écriture...etc.
Ce mois octobre 2015
Libre parole à…
Dominique Zinenberg
La vie, la poésie... entretien par Myrto Gondicas.
Myrto Gondicas : Quand avez-vous
commencé
à écrire? Avez-vous eu des périodes sans ?
Dominique
Z. J'ai commencé à écrire dès que
j'ai su
écrire. Dès l'âge de sept-huit ans, j'envoyais des
lettres à mes parents quand j'allais en colonie et je
décrivais tout ce que je voyais autour de moi. Je
décrivais plus que je ne racontais. Parfois j'écrivais de
petits textes, entre chansons et poèmes.
A l'âge de 13 ans, j'ai commencé un journal intime que
j'ai poursuivi jusqu'à 27 ans, je crois. J'y insérais mes
poèmes. Du coup j'ai une valise pleine d'énormes cahiers
correspondant à ces années de formation.
Il m'est arrivé de ne pas pouvoir écrire pendant
des mois, peut-être même un an voire deux. Mais l'obsession
d'écrire restait vivement ancrée en moi. Cette
pensée là ne m'a jamais quittée.
M.G : Quels
rapports établiriez-vous, dans votre pratique, entre lecture et
écriture ?
D.Z.
Je lis bien davantage que je n'écris. Après trois jours
sans lire, je commence à ne pas me sentir bien, à
être en manque. Il y a passage secret, souterrain entre lecture
et écriture. L'un conduit à l'autre même si parfois
la force d'écriture de certains
écrivains bloque l'accès à ma
propre écriture. Qu'importe! Il vaut mieux avoir lu des textes
essentiels que de passer à côté pour éviter
de ne pas écrire. La confrontation à des écrivains
majeurs (poètes, romanciers) a plus de sens pour moi et
est d'une nécessité incommensurablement supérieure
à celle d'écrire moi-même. C'est ce qui me nourrit,
me procure des émotions, me fait réfléchir et
rêver et le cas échéant me permet, à mon
tour, de m'exprimer, de trouver ma voix/voie.
M.G : S'il
y a lieu, en fonction de quoi vous partagez-vous entre les formes en
prose et vers ?
D.Z. Je
n'écris pas que des vers. Parfois j'écris des
nouvelles, des contes et aussi des textes critiques.
Pourquoi
tel jour on se réveille avec en soi la clarté d'un
poème ou l'énigme d'une prose? Je l'ignore. C'est un peu
comme choisir pour son lieu de promenade d'aller du côté
de chez Swann ou du côté des Guermantes, selon le temps,
la disposition d'esprit, le rythme de son pas, de son cœur, le temps
qu'il fait et dont on dispose...
M.G.
: Je
crois que vous
avez tous une expérience d'un rapport
professionnel, de travail, avec des adolescents ou de jeunes adultes.
Souhaitez-vous en dire quelque chose qui ait à voir avec ce que
vous écrivez?
D.Z. En tant
qu’enseignante, j'ai beaucoup
pratiqué les haïku(s) avec mes élèves de
6ème. Je les initiais à cette forme courte en même
temps qu'à l'étude des quatre types de phrases
(déclarative, interrogative, injonctive, exclamative) ainsi
qu'à la différence entre la phrase verbale et la phrase
nominale. Tout cela, dans mon esprit, va de pair. On lisait d'abord
beaucoup de haïkus traditionnels japonais. On les classait selon
la saison qu'ils représentaient, selon les types de phrases etc.
Puis je les mettais au travail. Ils devaient écrire chacun
quatre haïkus : un par saison, un par type de phrases. Ils
passaient à mon bureau quand ils avaient fini. J'étais
très exigeante avec eux. Je voulais qu'ils comprennent l'esprit
haïku. J'ai obtenu des merveilles certaines années.
C'était joyeux. Ça rend heureux de travailler de
cette manière.
Avec mon 3ème, pour faire écrire des poèmes, je
créais des contraintes qui les obligeaient à sortir des
sentiers battus. Ils se prenaient au jeu; une année, j'ai pu
obtenir de mes 3èmes des poèmes d'une rare qualité
juste en leur imposant dix mots qu'ils tiraient au sort. Certains ont
écrit autant de poèmes que de listes de mots: on aurait
dit qu'ils ne touchaient plus terre!
M.G. :
Faites-vous
un
rapport entre écriture et transcendance (ou
spiritualité) ? Lequel ?
D.Z. Pour moi il
n'est réellement
question d'écriture que si l'acte lui-même
élève. De quelle manière, je ne sais. Est-ce une
recherche transcendantale? Peut-être, mais elle n'est pas
vraiment consciente et elle ne m'intéresse pas en tant que
telle. Je suis sans cesse en quête de justesse, de tentative de
traduction d'émotions, de sentiments, de pensées, en
images, en rythmes, en mises en pages suffisamment saisissantes
pour combler le manque ou crier son élémentaire
présence. On vit de vertige, d'élan, d'approche
fascinée avec Éros et Thanatos et il faut bien trouver un
moyen stylistique pour que ça suinte et vibre dans les textes
que l'on écrit. C'est donc sans doute par les interstices que le
spirituel pénètre et nimbe, éventuellement, les
proses et poésies qu'on écrit. Je ne suis pas loin de
croire en un état de grâce, parfois, mais un état
de grâce préparé par une lente, ingrate,
aléatoire maturation de tout ce qui entre dans la
préparation énigmatique du poème.
M.G. : Même question pour
écriture et collectivité
D.Z. Je ne
comprends pas ce que veut dire
« écriture et collectivité ». Je
réponds donc à l'aveugle. Pas de tour d'ivoire. Un
sentiment d'exil peut-être, mais pas d'indifférence aux
autres. Parfois une grande intimité avec des souffrances
particulières, des drames humains qui surviennent et affolent
l'actualité. C'est très variable. Ça peut me
submerger, comme ne pas vraiment m'atteindre. Je ne comprends pas moi-
même pourquoi telle catastrophe me fait écrire en un cri
de douleur et telle autre me laisse imperturbablement sans
réaction d'écriture.
M.G. :
Auriez-vous
quelque chose à dire de l'intervention dans votre
écriture de langues autres que le français (je pense,
sans exclusive, au latin) ?
D.Z. Les langues
étrangères
chantent en nous un refrain sous-jacent et délivrent un parfum,
une scansion qui devraient pénétrer la langue que nous
utilisons pour écrire. Dans quelle mesure cette invasion
d'autres langues dans la nôtre se fraye-t-elle un chemin, je n'en
sais rien. Je le sais d'autant moins que je n'ai pas connu
parallèlement deux langues à la fois dans mon enfance
comme les enfants qui parlent des langues différentes à
la maison et à l'école. J'en ai un peu l'idée
grâce à l'espagnol que je parlais pendant deux mois
l'été quand j'étais jeune fille et je finissais
même par rêver en cette langue, à pouvoir penser en
espagnol alors. Je ne sais qu'une chose : toute langue
étrangère me fait frémir et me parle en secret
sans que je ne comprenne rien. Je sais une autre chose : on ne pense
pas de la même manière en français, en anglais ou
en espagnol et l'on recherche parfois un mot étranger pour
exprimer avec une plus grande force et justesse telle ou telle
pensée.
Le latin est lointain, indisponible et pourtant indispensable.
Il est langue souterraine, structure souterraine, il fait partie de ma
culture mais de façon invisible. Il agit à la
manière de l'inconscient, c'est-à-dire très
fortement, mine de rien!
M.G. :
Auriez-vous quelque chose à dire des
rapports entre votre
écriture et l'image, ou les images ?
D.Z. Je voudrais
que mes textes donnent
à voir mais aussi à entendre. Je ne sais pas si j'y
parviens. Je décris peu. Je ne m'intéresse pas à
l'aspect technique de la description. Je ne sais pas le faire parce que
le faire m'ennuie. Ce sont plus des flashs ou des visions qui me
viennent que de véritables tableaux réalistes avec force
détails à l'appui. Je cherche plus à transposer
par des impressions visuelles, auditives ce que je ressens qu'à
donner à voir comme si je faisais une photo. Mais donner
à voir des volumes, des couleurs, des formes, des
lumières, oui, c'est ce que j'aimerais. Mais donner à
entendre la musique du vent, de l'orage, du cœur qui gronde ou soupire,
du pas précipité ou lent du marcheur, oui, c'est ce que
j'aimerais! Je n'ai pas l'esprit assez philosophique pour jongler avec
l'abstraction de concepts et n'être que dans l'entendement. Je
n'y tiens d'ailleurs pas. Je préfère penser en images, en
assonances et allitérations, en rythmes et gestes plutôt
que de façon abstraite.
J'espère,
chère Myrto, que j'ai répondu à ton attente...
***
Les
coulisses d'un entretien. (D. Zinenberg)
Myrto Gondicas est une personne que je
connais depuis des années. On se voit, se côtoie, se perd
de vue, se retrouve, mais tout compte fait, au fil du temps, se tissent
entre nous peu à peu des liens sans contraintes, sans
lourdeur, un fil ténu mais solide en constante liaison avec le
labyrinthe de la poésie.
Il lui est venu à l'esprit au printemps, cette année,
d'organiser une rencontre entre François Bordes (poète
ayant publié Le Logis des passants de peu de biens aux
Éditions de Corlevour), Jérôme Villedieu
(poète ayant publié Procédures du silence
chez
Lucie éditions) et moi (qui venais de publier Fissures
d'été aux Éditions du Cygne) une rencontre
à la Librairie de La Lucarne, à Paris, rue de l'Ourcq.
Pour préparer cette soirée-poésie, Myrto nous a
fait parvenir un questionnaire. Ce sont mes réponses à
ces questions que je vous présente. La soirée a eu lieu
le 6 juin 2015.
***
Présentation de Myrto Gondicas.
Myrto est traductrice, essayiste et poète.
Elle traduit parfois de l'anglais ou de l'américain (deux
ouvrages), mais surtout du grec (ancien et moderne) et s'est
spécialisée dans le théâtre. On compte
à son actif six traductions du grec ancien chez Arléa
dont Épictète et elle a en chantier deux traités
de Plutarque. Elle a traduit pour le théâtre des Treize
Vents l'Alceste d'Euripide.
Voici ce qu'elle disait à Françoise Salamand de la
traduction en 1998 pour la revue Filigranes : « Traduire,
c'est chercher à retrouver un sens dans un contexte historique,
en se disant que, si c'est possible, et une fois réalisé,
ce sera tout aussi parlant pour nos contemporains. »
Par ailleurs, Myrto Gondicas est poète et publie
régulièrement dans diverses revues : L'Atelier du roman,
Filigranes, Brèves, N4728, Fario, Phœnix (dont elle est membre
du comité), La passe, Borborygmes ainsi que sur le site des
revues Coaltar et Levure littéraire, Les Carnets d'Eucharis.
Elle collabore à l'édition de l'œuvre posthume de
Cornelius Castoriadis, au seuil. Elle a créée en
collabation avec Emmanuelle Bollack des livres d'artistes.
Myrto sait voir et donne à
voir. Ses poèmes (principalement en prose) sont ouverts sur le
réel, captent la sensualité et/ou la dureté
de l'instant, ne refusent pas le lyrisme mais elle sait le lier au
trivial, au cruel et presque au surnaturel qui surgit au détour
d'images insolites, d'oxymores inattendus.
Voici un un extrait de Cairn, 2008, paru dans
la revue N4728 de Myrto Gondicas
« Le ruisseau gai né d'un soir fourbu
promène, depuis, son cours indocile. Ses rives, insensiblement,
s'ouvrent. Il se fait oued, ravine l'âme au passage, après
l'avoir un temps abreuvée: soûle comme une grive, la
voilà qui chante. Puis s'affole, a perdu le bord. Où
nager ? Chansons derechef, éplorées, ahanant à
contre-pente. Et l'âme s'imagine ensevelir le fleuve sous ses
alluvions ! Rêve-t-elle ? Le corps (qu'elle est) n'est pas dupe:
l’eau, il connaît. On ira selon le fil, bon gré mal
gré, reprenant pied quelquefois, éclaboussée par
les résurgences; et l'on consent à peiner, mais on est
secouée de hoquets, sentant la mer à une distance
improbable. »
XXX
Présentation
de Dominique Zinenberg
Née à Paris, elle
vit en Normandie, enseignante en collège, membre de la Revue
Francopolis depuis 2014 où elle a publié quelques
poèmes et participation à différentes rubriques.
Publications aussi dans différentes Revues
: Arpa - L'Arbre à Parole - Friches - et dans le recueil
Poètes pour Haïti.
Publications : Fissures d'été aux Éditions du Cygne.
pour Gueule de mots octobre2015
Dominique Zinenberg-France