GUEULE DE MOTS -ARCHIVES 2010-2011

   Jean-Pierre Lesieur - Serge Maisonnier - Juliette Clochelune... et plus

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GUEULE DE MOTS

Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage...
Cette rubrique reprend un second souffle en ce début 2014 pour laisser LIBRE  PAROLE À UN AUTEUR...
libre de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts littéraires, de son attachement à la poésie,
de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa vie parallèle
à l'écriture...etc.

Ce mois octobre 2015

  Libre parole à… Dominique Zinenberg

         La vie, la poésie... entretien par Myrto Gondicas.

Myrto Gondicas : Quand avez-vous commencé à écrire? Avez-vous eu des périodes sans ?

Dominique Z. J'ai commencé à écrire dès que j'ai su écrire. Dès l'âge de sept-huit ans, j'envoyais des lettres à mes parents quand j'allais en colonie et je décrivais tout ce que je voyais autour de moi. Je décrivais plus que je ne racontais. Parfois j'écrivais de petits textes, entre chansons et poèmes.

A l'âge de 13 ans, j'ai commencé un journal intime que j'ai poursuivi jusqu'à 27 ans, je crois. J'y insérais mes poèmes. Du coup j'ai une valise pleine d'énormes cahiers correspondant à ces années de formation.

 Il m'est arrivé de ne pas pouvoir écrire pendant des mois, peut-être même un an voire deux. Mais l'obsession d'écrire restait vivement ancrée en moi. Cette pensée là ne m'a jamais quittée.

M.G : Quels rapports établiriez-vous, dans votre pratique, entre lecture et écriture ?

D.Z. Je lis bien davantage que je n'écris. Après trois jours sans lire, je commence à ne pas me sentir bien, à être en manque. Il y a passage secret, souterrain entre lecture et écriture. L'un conduit à l'autre même si parfois la force d'écriture de certains écrivains    bloque l'accès à ma propre écriture. Qu'importe! Il vaut mieux avoir lu des textes essentiels que de passer à côté pour éviter de ne pas écrire. La confrontation à des écrivains majeurs  (poètes, romanciers) a plus de sens pour moi et est d'une nécessité incommensurablement supérieure à celle d'écrire moi-même. C'est ce qui me nourrit, me procure des émotions, me fait réfléchir et rêver et le cas échéant me permet, à mon tour, de m'exprimer, de trouver ma voix/voie.

M.G : S'il y a lieu, en fonction de quoi vous partagez-vous entre les formes en prose et vers ?

D.Z. Je n'écris pas que des vers. Parfois j'écris des nouvelles, des contes et aussi des textes critiques.
Pourquoi tel jour on se réveille avec en soi la clarté d'un poème ou l'énigme d'une prose? Je l'ignore. C'est un peu comme choisir pour son lieu de promenade d'aller du côté de chez Swann ou du côté des Guermantes, selon le temps, la disposition d'esprit, le rythme de son pas, de son cœur, le temps qu'il fait et dont on dispose...

 M.G. : Je crois que vous avez tous une expérience d'un rapport professionnel, de travail, avec des adolescents ou de jeunes adultes. Souhaitez-vous en dire quelque chose qui ait à voir avec ce que vous écrivez?

D.Z. En tant qu’enseignante, j'ai beaucoup pratiqué les haïku(s) avec mes élèves de 6ème. Je les initiais à cette forme courte en même temps qu'à l'étude des quatre types de phrases (déclarative, interrogative, injonctive, exclamative) ainsi qu'à la différence entre la phrase verbale et la phrase nominale. Tout cela, dans mon esprit, va de pair. On lisait d'abord beaucoup de haïkus traditionnels japonais. On les classait selon la saison qu'ils représentaient, selon les types de phrases etc. Puis je les mettais au travail. Ils devaient écrire chacun quatre haïkus : un par saison, un par type de phrases. Ils passaient à mon bureau quand ils avaient fini. J'étais très exigeante avec eux. Je voulais qu'ils comprennent l'esprit haïku. J'ai obtenu des merveilles certaines années. C'était joyeux. Ça  rend heureux de travailler de cette manière.

Avec mon 3ème, pour faire écrire des poèmes, je créais des contraintes qui les obligeaient à sortir des sentiers battus. Ils se prenaient au jeu; une année, j'ai pu obtenir de mes 3èmes des poèmes d'une rare qualité juste en leur imposant dix mots qu'ils tiraient au sort. Certains ont écrit autant de poèmes que de listes de mots: on aurait dit qu'ils ne touchaient plus terre!


 
M.G. : Faites-vous un rapport entre écriture et transcendance (ou spiritualité) ? Lequel ?

D.Z. Pour moi il n'est réellement question d'écriture que si l'acte lui-même élève. De quelle manière, je ne sais. Est-ce une recherche transcendantale? Peut-être, mais elle n'est pas vraiment consciente et elle ne m'intéresse pas en tant que telle. Je suis sans cesse en quête de justesse, de tentative de traduction d'émotions, de sentiments, de pensées, en images, en rythmes, en mises en pages  suffisamment saisissantes pour combler le manque ou crier son élémentaire présence. On vit de vertige, d'élan, d'approche fascinée avec Éros et Thanatos et il faut bien trouver un moyen stylistique pour que ça suinte et vibre dans les textes que l'on écrit. C'est donc sans doute par les interstices que le spirituel pénètre et nimbe, éventuellement, les proses et poésies qu'on écrit. Je ne suis pas loin de croire en un état de grâce, parfois, mais un état de grâce préparé par une lente, ingrate, aléatoire maturation de tout ce qui entre dans la préparation énigmatique du poème.

  M.G. : Même question pour écriture et collectivité

D.Z. Je ne comprends pas ce que veut dire « écriture et collectivité ». Je réponds donc à l'aveugle. Pas de tour d'ivoire. Un sentiment d'exil peut-être, mais pas d'indifférence aux autres. Parfois une grande intimité avec des souffrances particulières, des drames humains qui surviennent et affolent l'actualité. C'est très variable. Ça peut me submerger, comme ne pas vraiment m'atteindre. Je ne comprends pas moi- même pourquoi telle catastrophe me fait écrire en un cri de douleur et telle autre me laisse imperturbablement sans réaction d'écriture.

 
M.G. : Auriez-vous quelque chose à dire de l'intervention dans votre écriture de langues autres que le français (je pense, sans exclusive, au latin) ?

D.Z. Les langues étrangères chantent en nous un refrain sous-jacent et délivrent un parfum, une scansion qui devraient pénétrer la langue que nous utilisons pour écrire. Dans quelle mesure cette invasion d'autres langues dans la nôtre se fraye-t-elle un chemin, je n'en sais rien. Je le sais d'autant moins que je n'ai pas connu parallèlement deux langues à la fois dans mon enfance comme les enfants qui parlent des langues différentes à la maison et à l'école. J'en ai un peu l'idée grâce à l'espagnol que je parlais pendant deux mois l'été quand j'étais jeune fille et je finissais même par rêver en cette langue, à pouvoir penser en espagnol alors. Je ne sais qu'une chose : toute langue étrangère me fait frémir et me parle en secret sans que je ne comprenne rien. Je sais une autre chose : on ne pense pas de la même manière en français, en anglais ou en espagnol et l'on recherche parfois un mot étranger pour exprimer avec une plus grande force et justesse telle ou telle pensée.

  Le latin est lointain, indisponible et pourtant indispensable. Il est langue souterraine, structure souterraine, il fait partie de ma culture mais de façon invisible. Il agit à la manière de l'inconscient, c'est-à-dire très fortement, mine de rien!


 
M.G. : Auriez-vous quelque chose à dire des rapports entre votre écriture et l'image, ou les images ?

D.Z. Je voudrais que mes textes donnent à voir mais aussi à entendre. Je ne sais pas si j'y parviens. Je décris peu. Je ne m'intéresse pas à l'aspect technique de la description. Je ne sais pas le faire parce que le faire m'ennuie. Ce sont plus des  flashs ou des visions qui me viennent que de véritables tableaux réalistes avec force détails à l'appui. Je cherche plus à transposer par des impressions visuelles, auditives ce que je ressens qu'à donner à voir comme si je faisais une photo. Mais donner à voir des volumes, des couleurs, des formes, des lumières, oui, c'est ce que j'aimerais. Mais donner à entendre la musique du vent, de l'orage, du cœur qui gronde ou soupire, du pas précipité ou lent du marcheur, oui, c'est ce que j'aimerais! Je n'ai pas l'esprit assez philosophique pour jongler avec l'abstraction de concepts et n'être que dans l'entendement. Je n'y tiens d'ailleurs pas. Je préfère penser en images, en assonances et allitérations, en rythmes et gestes plutôt que de façon abstraite.

 
J'espère, chère Myrto, que j'ai répondu à ton attente...

***

                         Les coulisses d'un entretien. (D. Zinenberg)

Myrto Gondicas est une personne que je connais depuis des années. On se voit, se côtoie, se perd de vue, se retrouve, mais tout compte fait, au fil du temps, se tissent entre nous  peu à peu des liens sans contraintes, sans lourdeur, un fil ténu mais solide en constante liaison avec le labyrinthe de la poésie.

Il lui est venu à l'esprit au printemps, cette année, d'organiser une rencontre entre François Bordes (poète ayant publié Le Logis des passants de peu de biens aux Éditions de Corlevour), Jérôme Villedieu (poète ayant publié Procédures du silence chez Lucie éditions) et moi (qui venais de publier Fissures d'été aux Éditions du Cygne) une rencontre à la Librairie de La Lucarne, à Paris, rue de l'Ourcq.
Pour préparer cette soirée-poésie, Myrto nous a fait parvenir un questionnaire. Ce sont mes réponses à ces questions que je vous présente. La soirée a eu lieu le 6 juin 2015.

***

   Présentation de Myrto Gondicas.


Myrto est traductrice, essayiste et poète.

Elle traduit parfois de l'anglais ou de l'américain (deux ouvrages), mais surtout du grec (ancien et moderne) et s'est spécialisée dans le théâtre. On compte à son actif six traductions du grec ancien chez Arléa dont Épictète et elle a en chantier deux traités de Plutarque. Elle a traduit pour le théâtre des Treize Vents l'Alceste d'Euripide.

Voici ce qu'elle disait à Françoise Salamand de la traduction en 1998 pour la revue Filigranes : «  Traduire, c'est chercher à retrouver un sens dans un contexte historique, en se disant que, si c'est possible, et une fois réalisé, ce sera tout aussi parlant pour nos contemporains. »

Par ailleurs, Myrto Gondicas est poète et publie régulièrement dans diverses revues : L'Atelier du roman, Filigranes, Brèves, N4728, Fario, Phœnix (dont elle est membre du comité), La passe, Borborygmes ainsi que sur le site des revues Coaltar et Levure littéraire, Les Carnets d'Eucharis. Elle collabore à l'édition de l'œuvre posthume de Cornelius Castoriadis, au seuil. Elle a créée en collabation avec Emmanuelle Bollack des livres d'artistes.

Myrto sait voir et donne à voir. Ses poèmes (principalement en prose) sont ouverts sur le réel, captent la sensualité et/ou  la dureté de l'instant, ne refusent pas le lyrisme mais elle sait le lier au trivial, au cruel et presque au surnaturel qui surgit au détour d'images insolites, d'oxymores inattendus.

Voici un un extrait de Cairn, 2008, paru dans la revue N4728 de Myrto Gondicas

  «  Le ruisseau gai né d'un soir fourbu promène, depuis, son cours indocile. Ses rives, insensiblement, s'ouvrent. Il se fait oued, ravine l'âme au passage, après l'avoir un temps abreuvée: soûle comme une grive, la voilà qui chante. Puis s'affole, a perdu le bord. Où nager ? Chansons derechef, éplorées, ahanant à contre-pente. Et l'âme s'imagine ensevelir le fleuve sous ses alluvions ! Rêve-t-elle ? Le corps (qu'elle est) n'est pas dupe: l’eau, il connaît. On ira selon le fil, bon gré mal gré, reprenant pied quelquefois, éclaboussée par les résurgences; et l'on consent à peiner, mais on est secouée de hoquets, sentant la mer à une distance improbable. »



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Présentation de Dominique Zinenberg

Née à Paris, elle vit en Normandie, enseignante en collège, membre de la Revue Francopolis depuis 2014 où elle a publié quelques poèmes et participation à différentes rubriques. Publications aussi  dans différentes Revues : Arpa - L'Arbre à Parole - Friches - et dans le recueil Poètes pour Haïti.

Publications : Fissures d'été aux Éditions du Cygne.





         pour Gueule de mots octobre2015
Dominique Zinenberg-France
           

 

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