Le Salon de lecture

 

Des textes des membres de l'équipe ou invités surgis aux hasard de nos rencontres...








 

 ALEXANDRE


Le chemin


Hier j’ai vidé mon corps


chaleur et vent
agitaient mes combats

ce matin
j’ai repris le chemin

à présent mon pas connaît chaque empreinte
                comme un bonjour

de par la terre        une trace
une pensée que je délaisse.


 ****


Je ne veux pas


Je porte un corps

             boutonné de violence

un corps
           au souffle court

Je ne soutiens aucun ciel
aucune mer

pourtant je plie

gens de ma famille comme ça
qui crèvent

je ne veux pas.


***

La pastorale


L’école à Martigues        Nous habitions La pastorale, un grand bâtiment blanc et marron – Tout en rondeur.


Principale entrée – couloir grand – droite toilette – parents chambre gauche – couloir droite – bain de salle droite – moi à chambre face – couloir gauche – jardinière balcon grand accès ami chambre fond – couloir grand retour – salon droite – manger à salle gauche – ordure vide cuisine gauche – salon retour – bar gauche – jardinière balcon accès droite.

J’ai onze ans au collège Pagnol, je redouble et je joue encore aux billes. Je me cache aussi dans les arbres en fond de cour.
J’ai un ami, Adam, deux bâtiments plus bas. Un jour de course il traverse une vitre. Ici tout est en pente.
Adam vit avec sa mère toujours en pyjama.
Chez lui on lit Vingt mille lieues sous les mers. Chez moi Play-Boy.

***


Ce soir là


Tendu        ce soir-là
il dit qu’il va acheter des cigarettes
elle dit qu’il est trop tard qu’à cette heure-là il n’y aura rien d’ouvert
il dit qu’il y va quand même.

On habite Marignane, dans une grande maison que mon père loue, il a fini de refaire les tapisseries et le crépi. Il veut s’installer.
J’aime bien cette maison. Le quartier est calme, je joue contre la porte du garage des parties de tennis. Il y a de grands sapins sur le côté, un puits. Je m’occupe du potager, je fais pousser des tomates et j’en suis fier. Elles donnent à plein. C’est le voisin qui m’a donné les plants et mon grand-père m’a aidé à bêcher.
Mes parents vont se marier …
Dans le jardin il y a une tortue, mon père l’a découverte par hasard, il faut faire gaffe quand on tond la pelouse. Le soir, avec ma mère, on coupe de la menthe et on prend une infusion sur la terrasse avant de se coucher.
Je crois que je suis heureux …

Les pâtes sont froides. J’ai fini de manger. Maman appelle un copain. Raccroche.
Elle me dit : « Ton père ne veut pas revenir. Il perd la tête ! Va te coucher, je rentrerai tard ».
Je fais ce qu’elle me dit et cette nuit-là je dors bien.
Le matin quand j'arrive dans la cuisine pour prendre mon petit-déjeuner, ça sent fort la cigarette. Je vois ma mère blanche : « Ton père ne reviendra pas. Il est parti avec cette femme, celle du théâtre. Je savais qu’ils couchaient ensemble ».
Moi, je ne retiens rien à part « ton père ne reviendra pas ». Je ne comprends pas le sens des mots. J’ai treize ans, je suis à dix jours du mariage de mes parents, je suis en grandes vacances et je suis heureux.


***


Un jour il viendra


Un jour il viendra
frappera à ma porte

je le regarderai par la fenêtre        là-haut

ses yeux seront sans larmes et il aura dans ses mains le teint pâle des nuits sans sommeil

je le regarderai en silence

il attendra que ma porte s’ouvre
je ne l’ouvrirai pas.


***


Je ne sais


Je ne sais    parler de toi
tout me semble si bas
pour te dire

je ne sais    surprendre ton visage
l'éclat des yeux
le jour qui s’accroche

je ne sais    effeuiller ton corps
au froid du soleil
à l’angle de ta peau

je ne sais    le quotidien
l’amour partagé
nos silences

je ne sais
autrement
ma vie avec toi.

***


Solitude

 
Seul  comment   oublier  ta   peau  de   langage  tes
mains au ventre comment  oublier  la  noirceur de
tes cheveux la décadence de ton pas la vulgarité de
ton sexe comment me sauver sans  tes mots sans ta
voix  comment  m’échapper de ton  regard  de  ton
odeur  acharnée  partie  sans  un  bagag la  faim au
ventre  avec  la peur  fuir  mes poings qui  blessent
souffrir  sans  mon  bras de  protection consoler et
reconstruire sans moi l’avenir des pleurs plein les
mains  le  teint   pâle   d’un   homme   peut   blesser
encore   un  homme  pour  revenir  de  l’ombre   un
homme  battu  peut consoler seul  je ne peux  pas je
recommencerai.

***


Les cicatrices


Il était né la nuit où Boris Karloff était mort. Sa mère très marquée l’appela Boris. Au cours de sa troisième année, sans qu’aucune radio n’évoquât la mort d’une célébrité ce jour-là, il eut un frère.
Très vite Boris apprit à manger peu et à se battre les pieds en avant. « Va chier, Frankenstein ! » était la seule phrase que son père concédait. Quand il faisait beau, il partait jeter les cailloux dans les cicatrices des arbres.
Au soir de son treizième anniversaire son père mourut. Le jour de l’enterrement, sa mère pleura car  c'était son devoir et Boris vomit sa deuxième cuite.
Confiné dans sa chambre, il passait son temps à écrire sur des cahiers sans carreaux ou à lire.
Un après-midi de canicule, sa mère s’était remariée. Boris, depuis peu, avait fui dans la forêt. Petit à petit il s’était habitué à dormir sur la parmélie, à écouter sa faim l’envahir. Parfois il se battait au passage des noctules. Au-dessous des cicatrices des arbres, il marquait ses proies. Au village, avec le temps, les uns disaient de lui qu’il faisait le trottoir dans la grande ville. Les autres, eux, l’avaient vu ramper auprès de leur maison à l’affût des déchets.

Depuis quatre minutes son verre était vide et l’homme pesta : « Moi, Boris, je vous le dis ! Je serai  écrivain. Foi de Frankenstein ! »

Dans les années qui suivirent, Boris passa cinq fois à la télévision. A chaque émission il suait beaucoup et remerciait peu. Chez lui, il écrivait surtout le midi, près de la cheminée éteinte. Dans ses moments de crise, il claquait facilement les portes et allait brûler ses personnages dehors, près de la grange. Fatigué car il buvait beaucoup, Boris pleurait au bas des carreaux cassés.
Année après année, loin de lui, les bouches s’appropriaient sa poésie décharnée en murmurant ses lents requiem de mots.
Au soir de ses quarante ans, seul dans sa maison solognote, Boris se regarda longuement dans la salle de bain. Avec son maigre reflet et son visage décati par la drogue, ses yeux sombres saillaient comme des cicatrices dans l’arbre. Les poings serrés, il souffla sur la vitre puis inscrivit avec fougue un « f » majuscule avant de s’enfuir.
Au bout de six jours les recherches étaient abandonnées. Son éditeur, lui, attendait. Le sept du mois qui suivit, dans le brouillard des croix, près de son géniteur, était inscrit :
« Mort de Frankenstein ! »





Alexandre   
pour francopolis avril 2007

Créé le 1 mars 2002

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