Il
était né la nuit où Boris Karloff était
mort.
Sa mère très marquée l’appela Boris. Au cours de
sa
troisième année, sans qu’aucune radio
n’évoquât
la mort d’une célébrité ce jour-là, il eut
un
frère.
Très
vite Boris apprit à manger peu et à se battre les pieds
en avant. « Va chier,
Frankenstein !
» était la seule phrase que son père
concédait.
Quand il faisait beau, il partait jeter les cailloux dans les
cicatrices
des arbres.
Au
soir de son treizième anniversaire son père mourut. Le
jour
de l’enterrement, sa mère pleura car c'était son
devoir
et Boris vomit sa deuxième cuite.
Confiné
dans sa chambre, il passait son temps à écrire sur des
cahiers sans carreaux ou à lire.
Un
après-midi de canicule, sa mère s’était
remariée.
Boris, depuis peu, avait fui dans la forêt. Petit à petit
il
s’était habitué à dormir sur la parmélie,
à
écouter sa faim l’envahir. Parfois il se battait
au passage des noctules. Au-dessous des cicatrices des arbres, il
marquait
ses proies. Au village, avec le temps, les uns disaient de lui qu’il
faisait
le trottoir dans la grande ville. Les autres, eux, l’avaient vu ramper
auprès
de leur maison à l’affût des déchets.
Depuis
quatre minutes son verre était vide et l’homme pesta : « Moi, Boris, je vous le dis ! Je serai
écrivain. Foi de Frankenstein ! »
Dans
les années qui suivirent, Boris passa cinq fois à la
télévision.
A chaque émission il suait beaucoup et remerciait peu. Chez lui,
il
écrivait surtout le midi, près de la cheminée
éteinte.
Dans ses moments de crise, il claquait facilement les portes et allait
brûler
ses personnages dehors, près de la grange. Fatigué car il
buvait
beaucoup, Boris pleurait au bas des carreaux cassés.
Année
après année, loin de lui, les bouches s’appropriaient sa
poésie
décharnée en murmurant ses lents requiem de mots.
Au
soir de ses quarante ans, seul dans sa maison solognote, Boris se
regarda
longuement dans la salle de bain. Avec son maigre reflet et son visage
décati
par la drogue, ses yeux sombres saillaient comme des cicatrices dans
l’arbre.
Les poings serrés, il souffla sur la vitre puis inscrivit avec
fougue
un « f » majuscule avant de s’enfuir.
Au
bout de six jours les recherches étaient abandonnées. Son
éditeur,
lui, attendait. Le sept du mois qui suivit, dans le brouillard des
croix,
près de son géniteur, était inscrit :
«
Mort de Frankenstein ! »
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