Le Salon de lecture

 

Des textes des membres de l'équipe ou invités surgis aux hasard de nos rencontres...








 
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Poèmes d'

André FILOSA

 

 

 


VER

Ce pauvre ver qui rampe-
pourquoi faut-il qu’ayant
tourné la page, on le trouve
au verso ? Lui qui s’inspire de l’eau,
des méandres et du sang pour
irriguer la terre : lui qui offre
à la boue sa molle nudité,
le cède-t-il, pour toi ,
à celle, sur le toit
qui respire, fumée. Pourquoi
le mépriser ?

N’est-il pas plutôt,
aussitôt que le souffle s’y couche,
l’échangeur des humeurs,
plus intime qu’un doigt
d’enfant qui fouille son dessert ?

Moins digne de l’enfer
où ce cœur me suppose
-corruptible à l’instant-
il est, plus fermement,
le serviteur en rose
qui aère nos pieds.

Ne tient-il pas de l’onde
dans ses déhanchements,
et son terme n’est-il appendu
par un fil au piège des poissons ?
N’est-il pas humble et nu
le verseau solitaire
au creux des galeries ?


Inlassable bêcheur
grâce à qui le sol sec
peut imiter la mer.
Ici, sur nos clôtures,
il tient fraîches les mûres
et les plans négligés.

Est-il ce corps sans manche
qui œuvre par la bouche
et signe par le ventre ?

N’est-il pas la pensée
oléeuse et mobile
qui rêve de loger
dans un cerveau humain ?

N’est-il pas la pensée
fouisseuse, incorruptible,
qui exhume les mondes
et couche les humains ?

Debout je m’interroge,
glaise et je m’assieds.

Demain ?


 

PARLER

1
Le poète
n’apprend ses manières
qu’au pied d’un inconnu
comme un cireur de bottes-

et traverse un désert.

N’a-t-il de ses cheveux,
essuyé sous la table
les cous-de-pied aimables
d’un dieu ? Peut-être,
son cœur de dromadaire

est enflé d’un mystère
que nous comprenons
peu ; non plus que dans ses spas
un rythme l’accompagne.

……………………………..

Vous me reprochez le lait que je filtre
et moi, je vous dis que parler n’est
pas de ce monde. Si parler était de ce monde,
la douleur m’offrirait une branche. Je
chanterais comme un oiseau. Parler

est étranger à ces bords. Le corps
en est conscient, qui l’expulse et le mord,
lui reprochant de vivre sous la peau
la vie la plus ingrate dans un idiome
étrange ; le poids de chaque instant incline
sa balance vers des bords exotiques aux doubles
résonnances. Ce jour, pourtant, est délicieux.

Parler est étranger par tout ce qu’il respire ;
et je tiens à vous dire que parler ne vit que de vous,
s’il se peut, plus encor qu’un œil un cheveu ;
ceux-ci n’épuiseront jamais
l’effort du premier à vous rejoindre
Parler ne donne à boire
qu’à celle qui se penche
et oublie sa cruche.

Quand il m’aurait tout dit,
l’en aimerais-je plus ?
Parler est bon à croire
ce dont témoigne la fibre,
plus qu’à toucher du doigt
l’étoffe du rideau.
Parler n’est pas ici pour déployer le monde
ni pour révéler que les lois qui le fondent
n’apportent rien de plus
que ce que vous voyez.


2
Croyez-vous que parler
fut aux hommes donné
pour rejoindre ses frères

comme mulots en leurs terriers ?

Tandis que vous creusez vos galeries
et devisez, d’un soin particulier
Dieu stimule votre solitude.

Il y a plus de silence dans les mots
que d’eau, que de fraîcheur
dans une cruche !

Chaque mot endossé lui revient
par nature ; chaque son proféré
porte sa signature. Plus vous progressez
dans votre parlement, plus le sel
vous sature,
comme une onde imbécile,
une mer inféconde.

Un dieu qui vous séduit
écoute votre élan :
-Arrête ton babil misérable !
-O Père, étiez-vous prisonnier ?
-Délivre-moi, enfant.

 

 

Je suis comme un galet;
ma chair au fond de l'eau
exulte.Dieu me garde des mains
qui ont des catapultes.

J'attends mieux - une joie-
qu'un jet sur une joue
giflée par des enfants.

Mon grain rivalise avec,
sous le burin, la peau
d'un Praxitèle -exquise.
Tant de marbres léchés
que les oublis aiguisent
vieillissent à l'envers;
quand,moi,sous la chemise
d'un ruisseau,je montre
un ventre clair aux traits
plus doux qu'un sein
que je ne peux défendre.
Qui dirait qu'un visage
eût ,plus net, un ovale,
ou que ,nu,meilleur moule
méritât son épouse

au creux de votre main?

 

 

 
PAYSAGES

1
Le sentier est tracé sobrement,
au crayon. Les lointains
retranchés à la gomme.
On devine une gloire
où, dans notre substance,
nous pénétrons.

Ce qui doit exister
se tient à nos genoux :
ce rayon nous retranche
de tout superflu.

Ce qui mérite d’être vu
se voue à ce secret.

Si le sommet surgit
d’une nuée,
c’est encore pour toi.

Mais les cœurs incessibles
se partagent la brume.

2
le soleil est en miettes d’hélianthèmes
c’est le thème de l’or si facile à jouer,
ici, gratuit comme l’amour, propice
à ce vallon. Le soir s’en approprie la gloire,
troublé comme un garçon.

3
Il monte du piémont
un air marin, sans sel ;
un pain blanc de nuée,
léger comme une gaufre.

 

 

DE L’EXCELLENCE D’UNE EPOUSE


Qu’on se taise et laisse Pénélope tisser fidèlement !
Quel homme jamais mérita l’aventure
ou quel roi ? d’une reine pliante
remportant chaque soir les traits de son amant
sous sa courtine vierge ?

Pénélope, épouse sans rature dont le récit relu
eût mérité Vinci ! Insouciante du temps qui froisse son visage,
elle crée
le plus beau des mensonges que femme osa jamais !

Et c’est l’amour toujours défait. Nu, non pas, dénoué brin à brin chaque soir,
l’amour se continue sous les secrets devoirs.

Ses doigts modestes seuls à son cœur consistant
s’unissent ; et sa chair a frémi à chaque contrevent
qui se laisse émouvoir. Ah ! connue d’elle seule,
la trame de ses jours est demeurée intacte.
Son rêve est aussi clair
que dans le port d’Itaque les navires à quai.

« Devrais-je, moi, ployer quand les marins du roi
viennent hisser les voiles ? Le soleil prétend-il
compenser ton absence ? –Ou m’offre-t-il le vrai mensonge
à tendre aux prétendants ?
Devrais-je me repentir ou tisser mon visage d’un plus nocif mensonge ?
Je ne crains pas l’espoir. Le nom de toi que je tiens
peut vieillir une veuve mais non pas te trahir !
Mes repentirs sont l’œuvre où tisser
me convoque dès que tu n’es plus là. »


Un brin de Pénélope vaut tous les liens d’Ulysse !

Hommes ! Intrigants à genoux qui feignez des trésors,
vos désirs sont-ils plus qu’un vain tissu de sphaignes ?



 

 

Vous êtes belle.Cette loi me contente.
Le silence s’y plaît.

Vous êtes belle, dix fois mieux accomplie
qu’une ronde ou l’harmonie des astres.
Qu’un doigt se pose sur les lèvres
de chaque babilleur ; que chaque humain jaseur
glisse sous un pilastre et admire
l’essor de si vivantes voûtes !
Que du poète aussi se marque l’abstinence
car l’oiseau qui se pose signe cette abondance :
le terme de l’éloge et le but du rivage ;
car les mains sont unies au bout
de leur voyage et le monde achevé !
Vous êtes belle ; et le monde le sait.

Vous savoir être belle justifie son emploi
et le mien. Depuis longtemps je sens
que rien ne compte plus que de vous
regarder. Mes yeux en ont goûté
le parfait équilibre où le soleil s’arrête.
Plus rien ne hâte plus le cours du temps ;
le monde n’a qu’un disciple à vos pieds
et je suis l’innocent

Tout u n monde, hors de moi
a fui ses ateliers, uni, débauché.

Etre belle , de vous, l’inquiète
comme une balle qui viendrait rebondir
sur des murs impalpables.

Etre belle, de vous,
me fait-il amoureux
ou me fait-il languir ?


 

Créé le 1 mars 2002

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