Le Salon de lecture

 

Des textes des membres de l'équipe ou invités surgis aux hasard de nos rencontres...








 

 Mohamed Loakira


Né en 1945 à Marrakech (Maroc). Il a produit et animé deux émissions culturelles à la RTM, participé à la conception et à la réalisation de spectacles suggérant l’interaction et l’alliance entre la danse contemporaine et sa poésie, comme il a conçu et fabriqué plusieurs montages audio-visuels de lectures croisées, s’articulant autour de la poésie, la peinture et la musique.
Il a assuré dans l’Administration marocaine plusieurs fonctions, notamment responsable du Département de la Coopération Universitaire et Directeur des Arts au Ministère de la Culture.
Parmi ses publications : L’horizon est d’argile (1971), Marrakech-poème (1975), Chants superposés (1977), L’œil ébréché (1980), Moments (1981), Semblable à la soif (1986), Grain de nul désert (1994), Marrakech : l’île mirage (1997), N’être (2002), Contre-jour (2004), L'esplanade des saints & Cie-récit (2006)






CONTRE-JOUR
(Extraits)


Le sommeil me dégrippe.
Il me laisse parcourir, à loisir, lieux-dits, tanières, vents et armoise,
glisse d’entre les paupières et s’éclipse comme il était apparu.
Subtil et malicieux.
Je demeure en mal de sillage et marmonne rêves et enfers d’ici-bas,
renâcle et m’apprête à changer de côté, quand ta cuisse frôle ma
muraille d’où chuintent des joyaux, galets incrustés d’étoiles et
d’horizons brodés de risettes et d’incorrigibles va-et-vient.
Tu me souris.
J’acquiesce,
intègre le revers de mes voilures et choisis,
de bonne grâce, la destinée que tu me désignes.
Je vois le levant raser les murs.
Il y dépose une saveur aigre-douce, divague, m’invite à porter un
nouvel âge de la vie.
Voici le jour qui se lève.
Comme un voile bigarré qui tend à grignoter ses nœuds pour laisser
apparaître la franchise ;
Comme une solitude s’abreuvant du partage, à l’idée de quitter enfin
sa retraite ;
Comme le vœu d’aller, aussi loin que possible, véhément.
D’étourdissement en extase.
Je me surprends heureux
A mi-chemin entre l’oreiller et la cuvette
T’aperçois
Mi-sirène
Mi-chamelle
Je m’accouple avec les oiseaux en passe de mourir d’exil.
Exil cruel, impudique, languissant
Exil métallique
Tant ont-ils été déplumés par des promesses changeant
De ton, de visage
Les voilà exilés dans la demeure même de leur naissance.
… et flottons tous au-dessus d’un cyclone qui préfigure l’échéance.
Il se promet des ravages
A commencer par les proches
Or je retrouve sur ma route
Le même chien écrasé
Le même peuplier déraciné
La même étoile filante fourchue
Le même appel lointain des supposés
La même surdité
La même grâce malicieuse
Le même durillon et la pente raidit
Les mêmes ciseaux pierres oubli
Le même handicap simulé
Devenu commerce
A chaque carrefour
Au tournant de chaque rue
La même vie ne valant un oignon
La même lèche
Les mêmes nombrils de perles scintillant
Les mêmes oasis aux abords des décharges
Me remémore
Le désert
Quand il était océan
Les arbres
Quand ils étaient chevaux
Les poissons
Quand ils étaient oiseaux
Ne craignant ni exil
Ni contrainte par corps
Qu’il suffisait de caresser dans le sens des arêtes pour les voir affluer
de toutes parts,
s’engluer dans la paume pour être grillés
A même le soleil du couchant
Je ralentis le rythme de mon escapade
Enfonce l’index dans le froufrou
de mon oreiller
Motte d’oubli
Et pleure
Pleure d’un seul œil

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LE BLANC DE LA VIE

Je soussigné
Complice du mot   ivre de la mouvance
Brûlure à la limite du rêve et du poignard
Déclare
Avoir volé à l’éclat du soleil
Le cri probant
La sonorité de la pierre isolée
Tant le firmament tarde à se montrer du côté de l’Orient
Et moi de me mordre les dents
Et moi de limer ma langue de bois
Qui sans rougir salive le quelconque
Parfois la surenchère

Et voilà qu’éclate ma bouche
Par l’enflure du mot interdit

Car s’allumant quelque part
Une lumière
Quasi aube, quasi opaque, quasi native d’arcanes
Ou lamelles de flammes
Faufilant l’écume    l’étincelle    le noir broyé
Et la hâte

Et si la suée du temps inquiète l’horizon de mire
Recueille-toi au Sud
Même si le soleil se lève de quelque part

cesse, m’as-tu dit, de chauler les falaises et les détroits lointains,
interroger les cycles, la poussière des astres et le parchemin
Harnache les cavales
Monture contre monture
les sellettes échangent leurs dorures
pour une poussière
qu’est-ce donc cette cendre brumant  mes endurances
les variances du mensonge prétendument nécessaires
qui retiennent la passade de l’œil
interrogent le charme de l’indifférence du voile
m’emportent
les épaules accoudées aux caprices des vents
alors que naît promptement des braises mâchées
le  RRRRRRRRRRRRRRRRRRAAAAAAle

A en folir

Que se lève le jour
Au pire
Que la nuit continue

… car je m’en vais cajoler le soleil au grain de beauté
sur le front droit
attendant le moment propice d’attraper la lune à la main
puis ajourer à l’envi
le cailloutis
le diaphane
la laine écrue
à l’arrière-goût de terre et de sueur
qui larmoie

Cesse, m’as-tu dit, d’attirer toutes les nuances avoisinantes,
sans pour autant fourvoyer les couleurs flottantes

Le piège, c’est le mi-chemin
Il te fait suivre les plis de la taillade
Jusqu’au vide ivre d’avoir féculé
Les grains de nul désert
Va à l’annonce d’autres correspondances
Vers l’imbrication de continents encore souterrains
Et accroche-toi
Accroche-toi aux rênes de ce grain esseulé

Au bout de l’océan, le désert

Je quitte le bord du parcours certain 
me transforme en chien à qui on a coupé les cordes vocales
pour qu’il ait l’impression d’aboyer
et crie… hurle… très… très fort
La barque sur le dos
Parfois cadavre   
Parfois étoile
Souvent voyage
A contre-voie d’un vent outrancier, d’un ressac, d’un songe
J’y découvre
des ombres au regard d’argile fissuré
allongées sur les vagues de l’océan
océan miroitant ce qu’il ne contient pas
d’où percent des cris
cris tus par la magie
gît le mensonge
mensonge du report s’entassant à hauteur de l’oubli
oubli à usage courtisan
J’y croise l’odeur du vide à demeure
Elle m’enveloppe tel un prématuré venu une nuit d’hiver
m’égare
entre le cliquetis des vers et les ronflements de l’oreiller
La barque sur le dos
Je parcours la traversée du désert
ponctuant mon errance par une divagation aux abords écumeux :
La sécheresse ravage mes yeux   s’agite le léger sommeil   les reptiles s’incrustent dans les brèches du corps   s’aigrissent les ruisseaux  s’évide le frisson   renaît le râle  s’échange la virginité des fillettes contre des litres de gasoil   noix vides  supercheries  traîtrises  dédits   dépeçage    
est-ce le nord   est-ce le sud   est-ce toi    est-ce moi    c’est la menthe devenue opium   c’est la corde devenue vipère   c’est le grenier devenu repaire de hiboux   chauves-souris  araignées venimeuses   c’est toi   moi
réduits à être moins que nombre   moins que poussière   moins que rien c’est le temps du gâchis
s’égrène le long de la consumance  s’empresse de croître sur les débris des
espérances   éparpillés   sans   bienveillance 
La barque sur le dos
Je laisse les chemins s’illimiter au gré de la mouvance 
longe le désert en passe de devenir océan  
sillonne les rivages 
le vivre éclaté de toutes parts 
Il se peut que j’y trouve réponse à cette flamme qui m’a pris en otage,
que je couve intimement, allant d’attisement en attisement, entretenant
mon rêve, tiré par une jument n’ayant pour repère que l’horizon

J’aurais tant aimé dormir un siècle

Quitte à céder
Mon corps aux vautours
Mes cendres à l’océan

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Mohamed Loakira    
pour francopolis juin 2007

Créé le 1 mars 2002

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