Le Salon de lecture

 

Des textes des membres de l'équipe ou invités surgis aux hasard de nos rencontres...








 

 

Mary Telus

deux histoires de Stan

 

J’ai rencontré Stan à Ostende sur la jetée
J’y errais nu
Ou bien c’était à Brighton
à Portsmouth ou à Calais
Je ne sais plus
C’était peut-être au comptoir d’un café
Entre deux verres
Ou dans la salle de bain devant la glace
Le lieu n’a en fait aucune importance,
On finit toujours par rencontrer Stan
Stan, c’est vous, c’est moi
C’est pas idéal, faut pas rêver
Mais Stan ne ment pas pour faire joli
Stan est  Vrai  

(photo et présentation de Stan de Jean Pierre Clémençon)

 





RIEN


….. Stan flâne en ville, regarde les autres courir, se précipiter quelque part et il se demande où ? Il aurait aimé pouvoir les suivre et voir tout ce qu'ils font, connaître leurs occupations.
Lui, il n'a absolument "rien" à faire.


…..Il se souvient de la phrase d'Alphonse Daudet : "Et tandis qu'on philosophait sur le rien de cette existence, il triomphait, ce rien, jusque dans la mort."

…..Il décide d'aller au parc et de réfléchir sur le sens du mot 'RIEN'.
Il essaie de plonger dans ses souvenirs d'école. C'est vrai, souvent ils parlaient de 'rien', toutefois ils n'ont jamais défini ce mot. Lors d'un examen Stan n'avait 'rien' écrit, ceci est sûr, mais on ne peut pas dire qu'il n'avait 'rien' rendu, il a rendu une feuille blanche. Il ne peut même pas se vanter de n'avoir 'rien' écrit car malheureusement il a été obligé d'écrire son nom.


….. Stan décide de se rendre à la bibliothèque et de faire des recherches.
En chemin, il analyse des chansons qui contiennent le mot 'rien'. Là, il est un peu embêté car en général 'rien', dans ces chansons, sous-entend une douleur. Edit Piaf " Non, rien de rien, non, je ne regrette rien"
Mais ce 'rien' semble avoir un passé bien lourd.
Julien Clerc, lui, dédramatise le temps qui passe :
"Ce n'est rien, tu le sais bien, le temps passe et ce n'est rien (…)
Et ce n'est qu'une tourterelle qui revient à tire d'aile en rapportant le duvet qui était ton lit un beau matin"
D'ailleurs ne dit-on pas "ce n'est rien" quand on se fait mal ? Ah, le problème se complique.


…..Bon, ce n'est 'rien', les philosophes ont certainement inventé une théorie, ils sont capables de tout. A la surprise de Stan, les philosophes sont décevants dans ce domaine, ils ne se sont pas penchés sur le sujet. A force de recherches, Stan trouve dans une encyclopédie une loi "Tout ou rien" mais elle concernait un phénomène de fibres nerveuses et Stan n'a rien compris.


Ah ! Ce n'est pas si facile de décourager Stan, il va chercher dans le nouvel outil miracle qu'est le net : en recherche simple il a quand même trouvé 86 pages contenant le mot 'rien', mais 'rien' de concluant.
Il y avait bien un site "rien" mais l'annonce était claire : "Le site rien est mort de sa belle mort". Tout ceci n'avançait pas beaucoup Stan.
Il lance donc une recherche avancée et là au moins il trouve une phrase qui lui convient "Un Ricard sinon rien"
Bon, tout ceci ne le rapproche guère de la vérité tant recherchée.


Récapitulons : les philosophes ne disent 'rien' sur 'rien', les encyclopédies non plus et Internet propose un Ricard. Stan commence à se dire que la dernière solution sera la meilleure.
Mais attention, pour avoir la conscience tranquille il faut encore vérifier les dictionnaires.


……Bien sûr il trouve rapidement la définition :
"RIEN : pronom indéfini, nom masculin et adverbe.
Quelque chose (dans un contexte qui n'est pas affirmatif). - Chose (quelque chose), quoi (que ce soit). "
Alors si 'rien' "est quelque chose que ce soit", il n'est qu'un TOUT ?
Ah non ! Là, Stan refuse catégoriquement cette solution. 'Rien' a toujours été pour lui le contraire de tout. Mais cette fois-ci il ne va pas faire la recherche sur Tout, ce sera pour une autre fois.
…… Sur le chemin du retour Stan, s'arrête dans un bar pour boire son Ricard bien mérité.
Il y rencontre son copain Romejko qui est constamment dans de bonnes dispositions pour boire et pour discuter. Stan partage avec lui son souci.
Romejko n'en n'est pas à son premier Ricard, cet état le rend d'une humeur plutôt lyrique et sentimentale. Ils commencent à penser à leur enfance et se souviennent …
- Mais oui, peut -être cela va t'aider, tu ne te souviens pas du poème de Szymborska ?
Nous étions obligé de réciter par cœur un poème. Romejko, un fois échauffé, ne va pas se gêner. Il monte sur la table afin de partager tout avec tout le monde sa science et récite :


"Vivre c'est au moins une fois
Trébucher sur une pierre
Recevoir la pluie
Perdre ses clefs dans l'herbe,
Suivre du regard une étincelle du vent
Et
Rester sans rien savoir"


…..Stan est fatigué et plus du tout réceptif. Il n'a pas envie d'entendre la phrase de Socrate et on ne sait pas quoi encore.
Il rentre à la maison tout abattu. Il est inquiet.
S'il n'est pas capable de parler de 'rien' alors il est bon à 'rien' !

….. En s'allongeant sur son lit, il se dit :
Combien de temps peut-on penser à 'rien' ?

Sa tête était vide. 'Rien' de plus normal, quand Stan avait passé sa tête dans un scanner, le diagnostic des médecins avait été unanime : "Vous n'avez 'rien' dans le cerveau !"
Il prend un livre, pour lui le meilleur des somnifères. Il va lire "Proverbes dramatiques" de Carmontelle.
Et que lit-il ?


"Vous ignorez donc combien un rien a d'empire sur nous. Un rien nous attriste, un rien nous console; un rien nous élève, un rien nous détruit. Un rien révèle les charmes d'une jolie femme, un rien nous fait perdre ses bonnes grâces; mais un rien nous fait adorer d'elle. Près des femmes avec un rien on obtient tout, et bientôt le dégoût de la possession succédant au plaisir, ce tout charmant n'est plus à nos yeux qu'un rien très ordinaire qui n'a de prix que pour celui qui ne le connaît pas."

 








LA LUMIERE



Stan se réveilla de bonne humeur : la journée promettait de ne pas être ennuyeuse.
A Paris les Arabes commettaient des attentats, en Algérie les intégristes gardaient le pouvoir.
Il se passait des choses…
C’était excitant !
Stan se frotta les mains, il aura des sujets de conversation avec son ami Romejko.
Il pourra présenter, expliquer, analyser la situation et en tirer des conclusions.
En bref, il donnera une petite conférence.
Après une soigneuse toilette, bien arrosée d’eau de cologne, Stan appela enfin son ami.
Le désastre, l’angoisse ! Romejko n’est pas chez lui. Un autre téléphone, il n’est pas non plus chez sa première femme,
ni chez son fils,
ni chez sa seconde et dernière épouse.
La situation commençait à être sérieusement grave. Il restait cependant un dernier espoir :
peut-être : tout simplement Romejko est allé au travail ! C’est une éventualité à prendre en compte.
La réponse ne tarda pas. : effectivement selon la standardiste il était en train de réparer des télés chez le client. Stan n’était pas dupe, ces clients ils ses connaissaient bien !
Il commença alors énergiquement à préparer sa chambre pour la visite de Romejko.
Ce travail in n’était pas vraiment difficile, il fallait juste vider une chaise et le cendrier, dégager un coin de la table et laver les deux verres qui demeuraient là depuis la dernière visite. Aucun coup de fil ne gâcha ces heureux préparatifs.
Une heure passa et tan était au comble du désespoir. Il savait déjà : Romejko ne viendra pas.


- « Mais où il est putain de merde ! » - explosa Stan.
Sérieusement inquiet il se met à appeler partout. Il n’était dans aucun l’hôpital, ni aux urgences, ni même dans un commissariat de police ni dans une de nombreuses «salles de dessaoûlement ».
Il restait un dernier endroit, peut-être ? Ils se connaissaient bien tous les deux, ils y allaient souvent chercher tantôt un tantôt l’autre. Sa décision était vite prise et quinze minutes après Stan était déjà assis dans un taxi pour voler au secours de son ami.
Tout était clair désormais : Romejko, selon son habitude, s’était fait choper complètement soûl, en train de rendre le jugement dernier, d’injurier le monde entier jusqu’à ce que le «Comité de la défense nationalité » intervienne.
Le taxi s’arrêta devant le panneau : «Camps de redressement », mais cette fois-ci rien n’était comme avant. La direction du camp avait changé, et sa politique également.
Après une douche froide les détenus ne passaient plus leurs temps à lire «Instruction de bon comportement du citoyen ». Maintenant, on appliquait les nouvelles méthodes, la thérapie de groupe. Le séjour dans le camp était toujours obligatoire, mais après le changement, il était devenu très long, comme une véritable thérapie.
La direction, avant de renvoyer le patient chez lui, devait être absolument rassurée quand à son retour dans le droit chemin. Dans ces conditions Romejko risquait de ne jamais revenir.

Stan avait obtenu le droit de rentrer dans le camp et de participer aux animations, mais il n’avait pas la permission de parler de son ami ni à quiconque.
Il n’était guerre difficile de distinguer Stan au milieu des autres : il était seul, dans cette immense salle remplie des gens, à être habillé d’un vieil imperméable sale et aussi le seul d’avoir des cheveux. Tous les autres portaient de longues blouses blanches et avaient le crâne rasé. On n’apercevait aucun surveillant et pourtant a discipline était parfaite. Chacun, les yeux mi-clos, tournait lentement sur lui-même en marmonnant doucement. Chacun créait son propre monde, s’immergeant dans ses propres pensées.
Tout un coup tout s’arrêta. Un personnage entièrement doré apparut. Tous les yeux se tournèrent vers lui. Il parlait à vois basse, mais l’écho amplifiait ses paroles :
- « Je vous le promets, nous vous le promettons : la sortie du tunnel est proche.
Vous allez avoir le privilège de voir la lumière du jour … voir la lumière du jour…la lumière du jour…du jour… »
Romejko tout pâle est tremblant, tira la manche de Stan et chuchota : « On se casse ».
Personne ne les arrêta ; tous envoûtés, contemplait le plafond dans l’attente de la lumière.
- « Pourquoi partir ? » - demanda Stan avec un ton de reproche, - «juste quand je commençais à m’amuser. Peut-être aurais-je pu donner ma conférence, les gens avaient l’air d’être prêt à écouter. »
-« Dépêche-toi » répondit Romejko en le tirant encore plus fort. – «Ils sont complètement barjos, tu donneras ta conférence plus tard »




Ils s’installèrent confortablement dans un bar du coin et, tout en buvant un coup, purent enfin s’adonner à leur occupation préférée.

- « Tu sais combien je suis fragile » commença Romejko - «dès que j’ai bu un peu il faut absolument que j’évacue alors, à peine arrêté, tant pis pour le programme de rééducation : j’étais obligé d’aller au cabinet. Et là, au bout d’un moment, j’entends des bruits, des cris, des injures je grimpe sur la cuvette des chiottes, et qu’est-ce que je vois ?
Une vraie salle de tortures !
Moi, sensible et délicat, ça ma traumatisé de suite. Tous ce que j’ai vu pouvait me provoquer un grand malaise, tu t’imagines ?
On chargeait les gars dans les grandes machines et au bout de dix minutes de lavage ils sortaient tout propre, tout gentil et …tous pareils.
Ça c’est une invention !
Ils secouaient, je crois, les chromosomes, les atomes, les protons, les neutrons, les électrons, les gênes et hop ! les gens sortent comme des jumeaux ou dans l’armée, tous pareils. Moi, avec ma santé fragile, mes problèmes de circulation, mes migraines, mon début de l’asthme et Dieu sait quoi encore je ne pouvait pas m’adonner à des expériences pareilles. Cela aurait ruiné ma santé. A moins de me décider de ma sacrifier pour les civilisations futures. Mais je n’étais pas de bonne humeur. J’avais mal à la tête, au ventre et en plus j’avais sommeil car j’avais passé une nuit blanche. »

Et ils bavardaient ainsi, heureux de ne pas avoir eu à contempler «la lumière de jour » ;
maintenant, cela les faisait bien rire.

Mais à leur grande surprise, au petit matin, quand le barman en eut vraiment assez d’eux et les mit dehors, ils découvrirent «la lumière du jour » …au ras du caniveau.



 

 

Créé le 1 mars 2002

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