Le Salon de lecture

 

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Des cailloux pour la route

par

Jean-Marc La Frenière

 

 

 

 

 



Deux ou trois mots



Avec dix ou vingt mots,
Avec des images
Découpées dans la soif,
Je résiste à la mort,
Au masque du silence,
Aux yeux de verre fumé.

Avec une langue de feu
Passant de main en main
Je résiste à la neige,
Au froid des certitudes,
Aux engelures du temps.

Je découpe un oiseau
Dans le papier du ciel.
Il vole dans ma tête
Ouverte aux quatre vents.

Avec dix ou vingt mots,
Avec quelques virgules,
Avec un chien d'aveugle
Et des chaussures trouées
Je résiste à la haine,
Au calcul des banquiers,
Aux creux dans le chemin,
À l'immobilité.
Je résiste à la faim
Avec des miettes de pain.

Avec un peu d'amour,
Une poignée d'espoir,
Avec les lèvres nues
J'embrasse sur la bouche
Le bonheur qui passe
Et fait rêver les hommes.

Avec le bruit des ombres
Découpant la lumière,
Avec des pages blanches,
Le maigre feu des lampes
Je résiste à la nuit.

Je me tiens droit
Dans la courbe des vents.
J'avance à pas de larme
Sans honte ni remords.

Avec les billes bleues
Dans un sac d'enfant,
Un vieux bout de crayon,
Les paroles brisées
À coups de crosse froide
Je résiste à la peur,
À la colère, aux cendres.

Avec le poing du jour
Enfoncé dans le cœur,
La neige qui avance
À pas de souris blanche
Je donne ma langue aux loups,
Mon vertige aux fontaines
Et le feu de mes mains
Aux rides qui s'éteignent.
 

 

 

 


Poste restante


Demain c'est décidé
Je laisse mes idées
Courir la galipote.
Je marche sur la tête,
Un chapeau sur le cœur.
Je vois avec ma peau.
Et mes orteils chantent
À travers les trous de bas.

Je serai le cheveu
Dans la soupe des riches,
L'assassin du pouvoir
Dans leurs matelas de peur,
Le chien sale qui jappe
Quand le silence frappe,
Les yeux sans fond d'un chat
Qui griffent le réel.

Je serai le trou de beigne
Dans le sourire d'un Big Mac,
Le menu qu'on égorge
Sur la table de lois,
Le téléphone qui sonne
Derrière l'invisible,
Le mur qu'on abat
Au pied du merveilleux.

Je serai la lumière
Dans les flocons de suie,
Les cristaux de l'espoir
Sur la glace des cœurs,
La mouche qui se noie
Dans un bouillon de culture
Et l'eau claire des yeux
Rinçant le paysage.

Demain c'est décidé
Étant déjà timbré
J'enveloppe le silence
Et je me poste avec.
 

 

 



Sur un fil




Quand l'idée du bonheur
Se jette sous le train
À 5 heures du matin.

Quand l'infini bascule
Du côté noir des choses
À 5 heures du matin.

Quand un fleuve d'oiseaux
Perd ses vagues en volant
À 5 heures du matin.

Quand la fiancée des fleurs
Perd sa bague d'odeurs
À 5 heures du matin.

Quand on marche sur un fil
Qui ne tient plus à rien
À 5 heures du matin.

Quand la chair des mots
N'est qu'une peau de chagrin.
Quand le cuir des bottes
N'est qu'une chair de poule.

Quand le sommeil abat ses rêves
Comme des cartes truquées
À 5 heures du matin.

Quand personne ne m'attend.
Quand les morts me rejoignent
À 5 heures du matin.

J'invente à l'espérance
Une sœur jumelle.
 

 

 



Comme un oiseau qui rêve



Il y a des fruits qui meurent
entre l’arbre et l’écorce,
des caresses qui caillent
à l’entaille du cœur.

Il y a des yeux qui brûlent
derrière leurs paupières,
des mots qui se retirent
dans l’ombre du silence.

Il y a des jours qui passent
sans retenir le temps,
des sources qui se perdent
sans trouver de rivière.

Il y a des pas perdus
qui laissent leurs empreintes
dans l’herbe des haillons,
des pétales de joie
qui finissent en linceul.

Les racines qui pleurent
ont la forme des arbres.
Je t’écris sans espoir
comme un oiseau qui rêve
déborde de son nid.


 



Si le fleuve se tait



Il suffit d'un grain de sable
Assoiffé d'infini
Pour qu'une plage entière
Fasse éclater le verre
Au sablier du temps.

L'oiseau pris dans mon coeur
S'envole par ma voix.
Sous tes larmes de pluie
Les poings de la colère
Se transforment en fleurs.

Enlaçant le meilleur
Avec tes bras ouverts
J'abandonne le pire
Aux vagues du passé
Ressassant son naufrage.

Même sans mur
Sans fenêtre sans porte
Je défendrai ma route
Contre les bâtisseurs de ruine.

Si le fleuve se tait
J'aurai tes bras de mer,
Tes marées, tes ressacs
Pour parler aux étoiles.


 

 

 

 

 

Créé le 1 mars 2002

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