Patience de la terre
Juste une poignée de terre
Et un peu d’eau
Juste une poignée terraquée
Et tu attends
Que germent les premiers mots
Entre tes doigts
Dans le silence recueilli de cette main
Qui consent à
l’humus
A ce cycle terrible
Où toute vie est terrassée
Pour que renaisse le vivant
***
Épreuves
1
A l’affut du moindre soupçon
De ce qui ne se dit pas
De ce qui n’ose se prononcer
De ce qui t’épouvante
Fouiller les entrailles obscures
Et ramener la lave au jour
Pour qu’elle s’érode sous le soleil et la pluie et
le vent
Jusqu’à faire un sol meuble prêt pour la charrue
Et ta sueur et ton sang
2
Le murmure en toi
Parfois comme en jachère
Se gonfle de silence
Tu pénètres en avance d’une mort
Sourdement le mystère
3
Tu continues le sillon
Comme si tu creusais jusqu’au bout
De cet horizon blanc
Qui t’enracine
Jusqu’au centre de ce nom
Et cela grouille très profond
Tu as avitaillé de restes de vie
La terre qui te nourrit
Et que tu nourriras de toi
4
Terre pleine de pourriture et de feu
Comme en avance de ta putréfaction
Et c’est cela qui produira le miracle
Cette fumure naturelle comme dans les livres qui
t’amendent
La terre a-t-elle mémoire des morts qui l’ont
nourrie ?
***
Les cris des bêtes dans la nuit
Comme un écho de l’énigme
Tu te blottis encore un peu
Dans l’âtre de ta mémoire
Cette terre inconnue au fond de toi
La pulpe du jour
Se répand comme une flaque
Ton ombre sidérée
Se signe une dernière fois
***
Et cela même qui dans la mort
Révèle un peu ce qui passa
Et toi qui sans croire
Croyait encore un peu
Et qui étais sans foi
Plus que foi
Toi étendu là terrassé
Prêt à l’ultime don
Dans la sublime chute
***
Et toi qui ne fus
Que le peu
Tu donneras force
A la terre
Force jusqu’à cet arbre
Qui tutoie le ciel
Ta trace ici-bas
***
Terrare humanum est
1
Et tu te terres
Et tu te tais
Et t’étonnes de ce dit sonore d’entre les morts
De cette fleur terrible
Levée au-dessus de l’humus
Cette fleur que tu as commise
2
Tu arraches des bribes
Douloureusement
Comme des lambeaux du monde
Et tu les plantes là
Tu n’es qu’un arracheur de mots
Un cracheur de sang
3
Labeur de la page
A l’épreuve de la main
Et le sillon des vers
Le terreau de la langue
***
Le poème n’est pas cette force
Que l’on croit au-dessus de nous
Mais cette fragilité
Qui sourd au bord du vide
Et qu’importe
- Oser
dire qu’importe –
Il reste cela qui ne reste pas
Ce souffle qui t’emportera
Alors oser simplement
Cette incertitude ce rien
Cette ineffable fragilité
Comme un ultime orgueil
Oser le peu
Cette terre aimante entre les bras
***
L’ombre que je suis
Parfois je ressemble de moins en moins à ce que je
suis
Et une ombre me suit qui me ressemble comme un frère
Me suit cette ombre que j’ai semée
Murmure obstiné sur la page
Qui restera après moi juste un peu
L’autre plus que moi
La vie plus que ma vie
Plantée là en terre
***
1
Telle est la terre
Que tu agrippes
Et qui t’agrippe
Telle est la terre
Qui t’obsède et te pétrit
Ce ventre grouillant de vers et d’eau
Vous deux enchaînés
A jamais dans la liberté grande
De n’être que rien de plus
De n’être qu’au nom de la terre
2
Et consens à l’humble
Quand tu es avec elle
Quand tu es sur elle
Quand tu l’ensemences
Ne tente pas de forcer son miracle
***
La terre est une femme
Que tu travailles et que tu creuses
C’est cette faim de son ventre
Qui te fait courber l’échine et ahaner
Et suer sang et eau
Tu lui rends hommage
Dès que le temps le permet
Dès qu’elle est humide pour ta caresse
Creusant toujours ce sillon
La pénétrant au plus profond
L’ensemençant
En attendant un jour de te coucher en elle
Comme tu l’étais avant le premier jour
***
C’est la terre qui t’a appris à l’aimer, qui guide
tes gestes sur elle quand tu la pénètres.
Qu’est-ce à dire si ce n’est
Ce qui ne peut venir qu’à l’impromptu
Tu travailles sans savoir
C’est le centre qui te fouille
Et t’éparpille
Quand la charrue
Te prolonge d’un instant secret
***
Et quand tu crois pousser
Ce cri jamais venu au monde
Tu ne fais que répercuter
L’écho infiniment
De tous ces cris jamais venus au monde avant toi
De tous ces cris jamais poussés par cette terre
La terre en toi
***
Pousser toujours plus loin
Dans le désert et la fatigue
Et le dénuement
Sonder l’irréparable
Loin des mots convenus
Faire de l’absence un présent
De la mort cette naissance
Travailler la terre en toi
***
Tu plantes un arbre
Là où rien ne pousse
Et tu recules le désert
C’est là ton défi sans cesse
Ton vain combat
Jusqu’en toi-même
***
Et retrouver le rythme lent de cette poussière qui
te porte
La terre porte le nom du monde
Le nom de la vie dans l’univers
C’est ici sous ton pas ce souffle qui te porte
Ce souffle au-dedans de toi
Ce souffle sans savoir même le nom du monde
***
La seule présence
N’est pas là où tu crois vivre parfois
Mais dans ce qui se fera jour
Dans la nuit de demain
Dans le temps mystérieux
Qui rumine sous ton pas lent
Tu recueilles le sang de la terre
Tu trempes tes mains dans ce sang
Et c’est tout ton sens que cela
Que tu ne peux lire
Mais qui vient de très loin
Jusqu’à cette feuille que tu lacères
***
Le peuple de la terre
A mes ancêtres,
paysans.
On l’appelait le peuple de la terre
Mais le plus souvent on ne l’appelait pas
Tant il fallait se pencher pour trouver un nom
A ce peuple sans gloire
A ce peuple courbé
Enraciné là
Le peuple de la terre
L’humble
Ces hommes ces femmes
Les très bas
Toujours à hauteur de ce sol
Qui les avait vus naître
Et n’être que si peu
Au regard de ces puissants qu’ils nourrissaient
Peuple de ces yeux scrutant toujours le ciel
En attente d’une éclaircie ou d’une pluie
Le peuple de la terre
Au plus près
de la mort
Pour donner la vie
Au plus près de l’humus
Au plus près de l’humain
Peuple de mains rudes
Dans le rythme exact des saisons
Peuple de patience et de consentement
Peuple du pays et du paysage
Qu’il dessinait inlassablement
Les très bas
Les atterrés
***
Guy Allix en tournée poétique dans les gares de
Bretagne
(avril 2017)
Les dits de la terre
1
Tu marches ici-bas sur ce sol meuble. Tu consens
enfin au pas, au passage.
2
Te taire et te terrer un jour en ce terreau.
3
Aimer et je transforme le hasard en nécessité, dans
le jeu, dans le feu de tes lettres.
4
Le poète est cette force qui peut planter un silence
en terre. Jusqu’à ce que pousse un arbre. Jusqu’à ce que murisse un fruit.
5
Et n’être que ce cri porté de la terre que l’on
avitaille.
6
Ici était le lieu. Ici était le temps qui n’existe
pas. Ici était maintenant.
7
Notre terre qui es ici, donne-nous notre pain
quotidien.
8
Toute la terre en toi qui travaille la terre.
9
Refuse l’artifice, ce qui croyant nourrir la terre,
la pourrit, la corrompt. Porte ton vers au plus fragile, au très-bas.
10
Ne jamais mettre la terre à genoux.
11
Étreinte toujours et rêver de l’étreinte encore. Tu
n’es vivant que couché dans ce partage.
12
Et le temps t’appelle encore toujours plus en toi.
En cette terre où tu t’épuises, où tu épèles ton nom.
Où tu essaies d’ensemailler
un sens.
13
Ils t’ont oubliée, ils vont trop vite. Ne savent
plus ton rythme et patience. Ils t’ont profanée, déversant du poison dans
tes entrailles.
14
Tu travailles le poème comme on travaille un champ.
Avec toute la lenteur nécessaire. Tu ratures la terre pour ne garder que la
justesse.
15
Ce miracle de la sève venue de ton ventre. Et qui
remonte ta sueur et tout le sang versé des hommes.
Ce miracle d’une levée végétale, comme un premier
vers qui vient après la nuit.
16
Et tu vis cette terre qui te porte, te travaille,
t’incline vers elle comme une page. Et tu vas cette terre au-devant de toi.
Fragile est ton nom, ton nom à peine et qui s’envole dans un souffle. Et tu
peines pourtant à inscrire ce sillon.
Poèmes inédits, extraits de Au nom de la terre
(volume en préparation)
Photo : Yvon Kervinio
Né en 1953 dans le Nord de la France où il vit
jusqu’en 1968. Enfance difficile dont il ne se remet pas. Guy Allix écrit
une œuvre rugueuse et exigeante dans l'affrontement d'un destin précaire.
Une œuvre nocturne mais sans lamentation, creusée dans le sillon des mots
les plus simples, parsemée de quelques éclaircies et de cette « force
du doute » (Marie-Josée Christien), de cette
énergie de l’amour qui couche sur le papier des poèmes de sang et de sueur.
Sans effusion lyrique, une singulière crispation du langage ne le détourne
pas d’un souci de limpidité. J.M.G Le Clézio
parle de « détermination » et de « force » et dit d'un
recueil de Guy Allix que c'est « un livre comme un bûcher ». Chez
ce poète agnostique et rebelle, il y a cependant comme un souffle mystique
et le poème s'impose parfois comme une prière… de mécréant où l’on apprend
« selon les heures la dérision de l'existence ou son
exaltation. » (Gilles Perrault). A l'écart des salons, des intrigues
et des intellectuels de parade, l'auteur, pour qui la poésie doit plus être
rebelle que belle, continue un travail secret sur le chemin de
l’inaccessible humilité. Un travail alimenté par la seule raison qui
vaille : la vie même entre douleur et douceur, entre fragilité et
espérance, celle-ci toujours plus passagère. Toute la vie. L’amour.
Guy Allix porte aussi ses mots, de même que les
mots des autres poètes, dans des récitals poésie et chansons, accompagné ou
non de musiciens.
***
Bibliographie sélective :
La Tête
des songes, éditions de
l'Athanor, 1974 (1ère éd.), 1975 (2ème éd.)
L'Éveil
des forges, avec cinq
illustrations d'Aldo Guillaume Turin, éditions de l'Athanor 1976.
La grande
forge, poème affiche, atelier La Feugraie, 1977.
Mouvance
mes mots, éditions Rougerie, 1984.
Fragments
des fuites, éditions Rougerie, 1987.
C'est
quand rêve l'heure, Poème-affiche
illustré par Janladrou, éditions Motus 1991.
Lèvres de
peu suivi de Le Nord, préface de Pierre Dhainaut,
éditions Rougerie, 1993 (Prix Théophile Gautier
1994)
Le
Déraciné, éditions René Rougerie, 1997.
Solitudes, avec une préface de Bernard Noël, éditions Rougerie, 1999.
Le poème
est mon seul courage, éditions Le
Nouvel Athanor, préface de Jean-Luc Maxence, 2004.
Guy Allix, anthologie, présentation par Jean-Luc Maxence,
éditions Le Nouvel Athanor 2008 (collection Poètes trop effacés).
Le Nord, Atelier de Groutel,
2010, ouvrage précieux à tirage limité.
Oser
l’amour (autres extraits),
Atelier de Groutel, 2010, ouvrage précieux à
tirage limité.
Correspondances, en collaboration avec Marie-Josée Christien, collection Dialogues, éditions Sauvages,
2011.
Survivre
et mourir, éditions Rougerie, 2011.
Le sang le soir, éd. Le nouvel Athanor, 2015 (prix François Coppée 2016).
Son
site : http://guyallixpoesie.canalblog.com/
Autres
liens :
Découvrir
Le Petit Peintre et la vague (texte de Guy Allix, illustrations de
Martine Delerm) : http://guyallixpoesie.canalblog.com/pages/le-petit-peintre-et-la-vague/27814249.html
Conte
de Noël (Le Petit Grand Père, texte de Guy Allix et Eléonore de Monchy): Conte
de Noël de Guy Allix sur YouTube
Poèmes pour Robinson (Le Papy, chanson, texte de Guy Allix
et Clémence, adapté d'un des poèmes pour Robinson, musique de Guy Allix,
voix et guitare : Guy Allix) : http://guyallixpoesie.canalblog.com/pages/poemes-pour-robinson/31408543.html
Retrouvez-le
sur YouTube : http://www.youtube.com/channel/UCs2AaF_THmAldOCVWIOzLIQ
Cette
force (poèmes de Guy Allix, musique d'Olivier Mélisse, voix Guy
Allix) : https://www.youtube.com/watch?v=4-gD2QdcewY
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