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MAI 2017


Guy ALLIX

Les poèmes de la terre.

 

« …planter un silence en terre. Jusqu’à ce que pousse un arbre. Jusqu’à ce que murisse un fruit.»

Gert_Paysage_5

Photo : Gertrude Millaire

 

 

Patience de la terre

 

Juste une poignée de terre

Et un peu d’eau

Juste une poignée terraquée

Et tu attends

Que germent les premiers mots

Entre tes doigts

Dans le silence recueilli de cette main

Qui consent  à l’humus

A ce cycle terrible

Où toute vie est terrassée

Pour que renaisse le vivant

 

***

 

Épreuves

 

1

A l’affut du moindre soupçon

De ce qui ne se dit pas

De ce qui n’ose se prononcer

De ce qui t’épouvante

 

Fouiller les entrailles obscures

Et ramener la lave au jour

Pour qu’elle s’érode sous le soleil et la pluie et le vent

 

Jusqu’à faire un sol meuble prêt pour la charrue

Et ta sueur et ton sang

 

2

Le murmure en toi

Parfois comme en jachère

Se gonfle de silence

 

Tu pénètres en avance d’une mort

Sourdement le mystère

 

3

Tu continues le sillon

Comme si tu creusais jusqu’au bout

De cet horizon blanc

Qui t’enracine

Jusqu’au centre de ce nom

 

Et cela grouille très profond

Tu as avitaillé de restes de vie

La terre qui te nourrit

Et que tu nourriras de toi

 

4

Terre pleine de pourriture et de feu

Comme en avance de ta putréfaction

Et c’est cela qui produira le miracle

Cette fumure naturelle comme dans les livres qui t’amendent

 

La terre a-t-elle mémoire des morts qui l’ont nourrie ?

*** 

 

Les cris des bêtes dans la nuit

Comme un écho de l’énigme

 

Tu te blottis encore un peu

Dans l’âtre de ta mémoire

 

Cette terre inconnue au fond de toi

 

La pulpe du jour

Se répand comme une flaque

 

Ton ombre sidérée

Se signe une dernière fois

 

*** 

 

Et cela même qui dans la mort

Révèle un peu ce qui passa

Et toi qui sans croire

Croyait encore un peu

Et qui étais sans foi

Plus que foi

 

Toi étendu là terrassé

Prêt à l’ultime don

Dans la sublime chute

 

***

 

Et toi qui ne fus

Que le peu

Tu donneras force

A la terre

 

Force jusqu’à cet arbre

Qui tutoie le ciel

 

Ta trace ici-bas

 

*** 

 

Terrare humanum est

 

1

Et tu te terres

Et tu te tais

Et t’étonnes de ce dit sonore d’entre les morts

De cette fleur terrible

Levée au-dessus de l’humus

 

Cette fleur que tu as commise

 

2

Tu arraches des bribes

Douloureusement

Comme des lambeaux du monde

Et tu les plantes là

 

Tu n’es qu’un arracheur de mots

Un cracheur de sang

 

3

Labeur de la page

A l’épreuve de la main

 

Et le sillon des vers

Le terreau de la langue

 

*** 

 

Le poème n’est pas cette force

Que l’on croit au-dessus de nous

Mais cette fragilité

Qui sourd au bord du vide

Et qu’importe

-        Oser dire qu’importe 

Il reste cela qui ne reste pas

Ce souffle qui t’emportera

 

Alors oser simplement

Cette incertitude ce rien

Cette ineffable fragilité

Comme un ultime orgueil

 

Oser le peu

Cette terre aimante entre les bras

 

***

 

L’ombre que je suis

 

Parfois je ressemble de moins en moins à ce que je suis

Et une ombre me suit qui me ressemble comme un frère

 

Me suit cette ombre que j’ai semée

Murmure obstiné sur la page

Qui restera après moi juste un peu

L’autre plus que moi

La vie plus que ma vie

 

Plantée là en terre 

 

*** 

 

1

Telle est la terre

Que tu agrippes

Et qui t’agrippe

 

Telle est la terre

Qui t’obsède et te pétrit

Ce ventre grouillant de vers et d’eau

 

Vous deux enchaînés

A jamais dans la liberté grande

De n’être que rien de plus

De n’être qu’au nom de la terre

 

2

Et consens à l’humble

Quand tu es avec elle

Quand tu es sur elle

Quand tu l’ensemences

 

Ne tente pas de forcer son miracle

 

***

 

La terre est une femme

Que tu travailles et que tu creuses

 

C’est cette faim de son ventre

Qui te fait courber l’échine et ahaner

Et suer sang et eau

 

Tu lui rends hommage

Dès que le temps le permet

Dès qu’elle est humide pour ta caresse

Creusant toujours ce sillon

La pénétrant au plus profond

L’ensemençant

 

En attendant un jour de te coucher en elle

Comme tu l’étais avant le premier jour

***

 

C’est la terre qui t’a appris à l’aimer, qui guide tes gestes sur elle quand tu la pénètres.

Qu’est-ce à dire si ce n’est

Ce qui ne peut venir qu’à l’impromptu

 

Tu travailles sans savoir

C’est le centre qui te fouille

Et t’éparpille

 

Quand la charrue

Te prolonge d’un instant secret

***

 

Et quand tu crois pousser

Ce cri jamais venu au monde

Tu ne fais que répercuter

L’écho infiniment

De tous ces cris jamais venus au monde avant toi

 

De tous ces cris jamais poussés par cette terre

La terre en toi

 

***

 

Pousser toujours plus loin

Dans le désert et la fatigue

Et le dénuement

 

Sonder l’irréparable

Loin des mots convenus

Faire de l’absence un présent

De la mort cette naissance

 

Travailler la terre en toi

 

*** 

Tu plantes un arbre

Là où rien ne pousse

Et tu recules le désert

 

C’est là ton défi sans cesse

Ton vain combat

 

Jusqu’en toi-même

 

***

 

Et retrouver le rythme lent de cette poussière qui te porte

La terre porte le nom du monde

Le nom de la vie dans l’univers

C’est ici sous ton pas ce souffle qui te porte

Ce souffle au-dedans de toi

 

Ce souffle sans savoir même le nom du monde

 

***

 

La seule présence

N’est pas là où tu crois vivre parfois

Mais dans ce qui se fera jour

Dans la nuit de demain

Dans le temps mystérieux

Qui rumine sous ton pas lent

Tu recueilles le sang de la terre

Tu trempes tes mains dans ce sang

Et c’est tout ton sens que cela

Que tu ne peux lire

Mais qui vient de très loin

Jusqu’à cette feuille que tu lacères

 

*** 

 

Le peuple de la terre

 

A mes ancêtres, paysans.

On l’appelait le peuple de la  terre

Mais le plus souvent on ne l’appelait pas

Tant il fallait se pencher pour trouver un nom

A ce peuple sans gloire

A ce peuple courbé

Enraciné là

 

Le peuple de la terre

L’humble

Ces hommes ces femmes

Les très bas

Toujours à hauteur de ce sol

Qui les avait vus naître

Et n’être que si peu

Au regard de ces puissants qu’ils nourrissaient

 

Peuple de ces yeux scrutant toujours le ciel

En attente d’une éclaircie ou d’une pluie

 

Le peuple de la terre

Au  plus près de la mort

Pour donner la vie

Au plus près de l’humus

Au plus près de l’humain

 

Peuple de mains rudes

Dans le rythme exact des saisons

 

Peuple de patience et de consentement

Peuple du pays et du paysage

Qu’il dessinait inlassablement

 

Les très bas

Les atterrés

 

***

 

GuyAllix-Bretagne.jpg

Guy Allix en tournée poétique dans les gares de Bretagne

(avril 2017)

 

 

Les dits de la terre 

 

1

Tu marches ici-bas sur ce sol meuble. Tu consens enfin au pas, au passage.

2

Te taire et te terrer un jour en ce terreau.

3

Aimer et je transforme le hasard en nécessité, dans le jeu, dans le feu de tes lettres.

4

Le poète est cette force qui peut planter un silence en terre. Jusqu’à ce que pousse un arbre. Jusqu’à ce que murisse un fruit.

5

Et n’être que ce cri porté de la terre que l’on avitaille.

6

Ici était le lieu. Ici était le temps qui n’existe pas. Ici était maintenant.

7

Notre terre qui es ici, donne-nous notre pain quotidien.

8

Toute la terre en toi qui travaille la terre.

9

Refuse l’artifice, ce qui croyant nourrir la terre, la pourrit, la corrompt. Porte ton vers au plus fragile, au très-bas.

10

Ne jamais mettre la terre à genoux.

11

Étreinte toujours et rêver de l’étreinte encore. Tu n’es vivant que couché dans ce partage.

12

Et le temps t’appelle encore toujours plus en toi. En cette terre où tu t’épuises, où tu épèles ton nom.

Où tu essaies d’ensemailler un sens.

13

Ils t’ont oubliée, ils vont trop vite. Ne savent plus ton rythme et patience. Ils t’ont profanée, déversant du poison dans tes entrailles.

14

Tu travailles le poème comme on travaille un champ. Avec toute la lenteur nécessaire. Tu ratures la terre pour ne garder que la justesse.

15

Ce miracle de la sève venue de ton ventre. Et qui remonte ta sueur et tout le sang versé des hommes.

Ce miracle d’une levée végétale, comme un premier vers qui vient après la nuit.

16

Et tu vis cette terre qui te porte, te travaille, t’incline vers elle comme une page. Et tu vas cette terre au-devant de toi. Fragile est ton nom, ton nom à peine et qui s’envole dans un souffle. Et tu peines pourtant à inscrire ce sillon.

 

 

Poèmes inédits, extraits de Au nom de la terre

(volume en préparation)

 

 

GuyAllix

Photo : Yvon Kervinio

Né en 1953 dans le Nord de la France où il vit jusqu’en 1968. Enfance difficile dont il ne se remet pas. Guy Allix écrit une œuvre rugueuse et exigeante dans l'affrontement d'un destin précaire. Une œuvre nocturne mais sans lamentation, creusée dans le sillon des mots les plus simples, parsemée de quelques éclaircies et de cette « force du doute » (Marie-Josée Christien), de cette énergie de l’amour qui couche sur le papier des poèmes de sang et de sueur. Sans effusion lyrique, une singulière crispation du langage ne le détourne pas d’un souci de limpidité. J.M.G Le Clézio parle de « détermination » et de « force » et dit d'un recueil de Guy Allix que c'est « un livre comme un bûcher ». Chez ce poète agnostique et rebelle, il y a cependant comme un souffle mystique et le poème s'impose parfois comme une prière… de mécréant où l’on apprend « selon les heures la dérision de l'existence ou son exaltation. » (Gilles Perrault). A l'écart des salons, des intrigues et des intellectuels de parade, l'auteur, pour qui la poésie doit plus être rebelle que belle, continue un travail secret sur le chemin de l’inaccessible humilité. Un travail alimenté par la seule raison qui vaille : la vie même entre douleur et douceur, entre fragilité et espérance, celle-ci toujours plus passagère. Toute la vie. L’amour.

Guy Allix porte aussi ses mots, de même que les mots des autres poètes, dans des récitals poésie et chansons, accompagné ou non de musiciens.

***

Bibliographie sélective :

La Tête des songes, éditions de l'Athanor, 1974 (1ère éd.), 1975 (2ème éd.)

L'Éveil des forges, avec cinq illustrations d'Aldo Guillaume Turin, éditions de l'Athanor 1976.

La grande forge, poème affiche, atelier La Feugraie, 1977.

Mouvance mes mots, éditions Rougerie, 1984.

Fragments des fuites, éditions Rougerie, 1987.

C'est quand rêve l'heure, Poème-affiche illustré par Janladrou, éditions Motus 1991.

Lèvres de peu suivi de Le Nord, préface de Pierre Dhainaut, éditions Rougerie, 1993 (Prix Théophile Gautier 1994)

Le Déraciné, éditions René Rougerie, 1997.

Solitudes, avec une préface de Bernard Noël, éditions Rougerie, 1999.

Le poème est mon seul courage, éditions Le Nouvel Athanor, préface de Jean-Luc Maxence, 2004.

Guy Allix, anthologie, présentation par Jean-Luc Maxence, éditions Le Nouvel Athanor 2008 (collection Poètes trop effacés).

Le Nord, Atelier de Groutel, 2010, ouvrage précieux à tirage limité.

Oser l’amour (autres extraits), Atelier de Groutel, 2010, ouvrage précieux à tirage limité.

Correspondances, en collaboration avec Marie-Josée Christien, collection Dialogues, éditions Sauvages, 2011.

Survivre et mourir, éditions Rougerie, 2011.

Le sang le soir, éd. Le nouvel Athanor, 2015 (prix François Coppée 2016).

 

Son site : http://guyallixpoesie.canalblog.com/

Autres liens :

Découvrir Le Petit Peintre et la vague (texte de Guy Allix, illustrations de Martine Delerm) : http://guyallixpoesie.canalblog.com/pages/le-petit-peintre-et-la-vague/27814249.html

Conte de Noël (Le Petit Grand Père, texte de Guy Allix et Eléonore de Monchy): Conte de Noël de Guy Allix sur YouTube

Poèmes pour Robinson (Le Papy, chanson, texte de Guy Allix et Clémence, adapté d'un des poèmes pour Robinson, musique de Guy Allix, voix et guitare : Guy Allix) : http://guyallixpoesie.canalblog.com/pages/poemes-pour-robinson/31408543.html

Retrouvez-le sur YouTube : http://www.youtube.com/channel/UCs2AaF_THmAldOCVWIOzLIQ

Cette force (poèmes de Guy Allix, musique d'Olivier Mélisse, voix Guy Allix) : https://www.youtube.com/watch?v=4-gD2QdcewY

 

 

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Créé le 1 mars 2002

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